Les hommes sont mortels. C’est le lot ordinaire d’une humanité ordinaire. Mais certains ont le bonheur d’échapper à ce destin : ce sont les hommes d’exception. Moulay Ahmed Alaoui était de ceux – ci. « Ne meurent que les gens, grands et modestes, riches ou pauvres, dont on ne se souvient plus après leur disparition » , disait-t-il. Moulay Ahmed Alaoui n’était pas de ceux –là.
Car cette parole du défunt, prononcée comme une sentence et couramment reprise dans les cercles politiques marocains, témoigne de sa conception du passage de l’homme sur cette terre, et de la densité qu’il se doit de donner à son existence. C’est là toute la différence, entre l’insignifiant et le sensationnel, entre le banal et l’exceptionnel, entre l’acte de vivre et le mérite d’exister.
Evoquer la mémoire de ce personnage hors du commun dont l’existence tout entière fut un ardent et juste combat et qui fortement pesé, pendant un demi siècle, sur la vie politique marocaine et Maghrébine, me comble de sentiments mêlés d’émotion*, d’affection et d’admiration, tant il était à la fois charismatique, attachant et pétillant de vie.
J’ai connu Moulay Ahmed Alaoui depuis le début des années soixante. J’ai eu l’immense plaisir, en de nombreuses circonstances, d’échanger avec lui nos appréciations aussi bien sur le combat commun pour l’indépendance, que sur l’évolution lente de nos sociétés, sur l’affirmation de nos identités ou sur des questions d’actualité relevant de situations politiques tendues ou complexes.
Il occupait déjà dans celui des hommes de ma génération, une place toute particulière pour ses positions nationalistes et ombrageuses contre le colonialisme et pour son soutien durant notre guerre de libération nationale.
Nous menions alors et bien plus tard encore, avec de nombreux amis et frères, le même combat pour le respect de la dignité et de la liberté des peuples.
C’est dire l’exemplarité des liens qui nous réunissent en tant que compagnons de lutte dans l’épreuve et qui nous ont toujours rapprochés par- delà nos parcours intellectuels, politiques et professionnels différents et ce, en dépit des vicissitudes et des bouleversements qui ont marqué la région et affecté le monde depuis une quarantaine d’années pour nous plonger dans celui, incertain et radicalement différent, d’aujourd’hui.
J’aime donc à dire, ici, ma fierté d’avoir compté parmi ses amis. Bien des choses nous séparaient sans doute, mais ces divergences prenaient sans doute, mais ces divergences prenaient toujours, avec lui, avec moi, les couleurs de la complicité intellectuelle et du respect mutuel.
Figure emblématique d’une période chargée de notre vie ou, au – delà des problèmes, nous étions franchement heureux parce que souvent complices dans la confection des solutions que nous nous efforcions de trouver pour les proposer à l’approbation de nos chefs d’Etat respectifs.
Il assumait la gravité des problèmes comme celle de ses positions ; mais il consacrait une ingéniosité incroyable et une attention méticuleuse à les résoudre. Aucunement dogmatique ; il avait sans doute, au-delà de toute considération de construction et d’intégration régionale après les graves accidents de l’histoire Algéro-Marocaine, compris avant tout le monde, que le Maroc était là et qu’il n’avait pas l’intention de déménager. Que l’Algérie aussi. Nul plus que lui ne connaissait personnellement les responsables algériens. Il partageait avec eux la conviction que la stabilité et la sécurité du Maroc passaient par la stabilité du trône.
Les graves événements des années 70 au Maroc avaient largement corroboré ses convictions et ses analyses.
La biographie de Moulay Ahmed alaoui est dans l’internet, les journaux et les livres d’histoire, avec une profusion de citations et de détails sur sa vie qui renseignent sur le parcours de cette figure prestigieuse qui irradia le Maroc mais aussi le Maghreb et la méditerranée de sa verve et de sa vitalité.
Son œuvre la plus remarquable, de mon point de vue, est vérifiable tous les jours dans la préservation et l’affirmation quotidienne de l’identité marocaine et de toutes les composantes qui imposent sa spécificité et étalent, avec panache, la différence culturelle du royaume.
L’anecdote, pour éloquente qu’elle soit, ne m’autorise pas à enfermer cet homme d’exception dans les limites réductrices de la narration anecdotique, factuelle ou allégorique. C’est dans la perception que j’ai pu avoir d’un ami depuis l’indépendance de mon pays je vais me réfugier pour cerner- pour autant que cela soit possible- la complexité du personnage.
Je l’ai d’abord connu comme un homme dont la pensée n’a cessé d’être en mouvement vers le progrès et l’avenir, évolution permanente dans la réalisation d’une œuvre qui, bien qu’éclectique, s’inscrit dans une seule et même vision, au-delà de sa richesse et de la variété. Perfectionniste à souhait et sobre. Un sens inné de l’esthétique et de la beauté.
Un homme libre, décidé à se frayer, quel qu’en soit le prix, les chemins de sa liberté à travers l’ambiguïté des situations et des hommes.
Le 20ème siècle fut riche en débats politiques. Aucun d’eux ne lui était étranger : la guerre du rif, la seconde guerre mondiale, la guerre d’Indochine et bientôt celle du Vietnam, l’exil de Mohamed V et ses prolongements nationaux et internationaux, la conférence de bandœng, Ghandi et la non – violence, la guerre de Corée, la nationalisation du canal de Suez, la grande marche de Mao-Tsé-tong, la guerre d’Algérie et le processus de décolonisation, et j’en passe.
Prise de conscience irrépressible de l’homme de vision et d’action face à l’histoire qui se fait, ici au Maroc, et ailleurs dans le monde, et qui, de plus en plus, enferme le militant comme l’homme de bonne volonté dans un engagement irréversible et radical. Pour autant, les mouvements anti-impérialistes laissent clairement, chez lui, le pas à un tiers-mondisme généreux, transparent, lucide.
D’instinct, il savait quand il fallait se projeter en avant, corps et âme, vers les causes, vers les choses, les événements, les hommes et l’avenir.
D’instinct, il savait mettre à distance ; prendre de la distance ; et par un savoir – vivre qui pouvait faire appel à tous les artifices, jusqu’au folklore, il était capable, à n’importe quel moment, d’annihiler cette distance.
Il avait de fausses absences qui ne l’arrachaient jamais au monde, ni au réel, qu’il pouvait ne pas affectionner, mais qu’il savait incontournables.
Il tenait toujours compte de l’existence des autres. Non point par ce qu’ils étaient. La liberté à laquelle il ne pouvait renoncer se confondait toujours pour lui avec le respect de l’autre. Il maîtrisait l’art de moduler la liberté qu’il voulait entretenir avec les autres.
Où donc avait –il appris à maîtriser, dans sa vie quotidienne, la capacité de contrôler les limites de l’impossible et de l’intolérable ?
Sans orgueil ni vanité, avec assurance toutefois, il ne connaissait aucune forme de vertige, il est dans son culte du respect de la liberté d’autrui, il allait d’un pas sûr, lorsque cela était nécessaire, vers des concessions qu’il enrobait d’une convivialité et d’un savoir – faire dont lui seul avait le secret.
Moulay Ahmed alaoui, c’était un style, un tempérament, on ne peut plus personnels. Inimitables.
Un raffinement achevé et un humour intarissable, parfois décapant. Non point le rire pour le rire. Chez lui, l’anecdote comme l’allusion parabolique vise constamment la transmission d’un message qu’il fallait savoir déchiffrer. De la subtilité encore et toujours, mais quand il voulait rire, il cherchait à faire partager son humeur, son rire devenait alors sonore, contagieux, source juvénile de joie, de jubilation spontanée et de bien –être. Exactement à l’égal de ses colères. Avec ses coups de tête, Moulay Ahmed ne peut des comparer à personne d’autre qu’à lui – même.
L’humaine condition ne peut se parer exclusivement de qualités. Son charisme n’a jamais souffert de ses fausses colères et quand ronchon, il grommelait des mots inintelligibles, malgré sa voix chaude et rauque , il gardait un charme de jouvence qui le rendait irrésistiblement attachant . L’élégance du cœur l’immunisait contre rancœur et rancune. Et quelle énergie ! Quel dévouement ! il était le plus humble parmi les plus chaleureux, à chaque rencontre, vous donnaient le sentiment que vous le connaissiez depuis toujours, que vous veniez à peine de le quitter et par une coquetterie spécifique, il vous réservait constamment un accueil personnalisé .
Vous mesurez aisément le vide abyssal qu’il laisse derrière lui, malgré la+– permanence de son omniprésence dans notre profonde affection et dans nos cœurs.
Moulay Ahmed Alaoui avait une capacité d’analyse hors du commun, agrémentée d’un goût naturel pour la créativité. Il pouvait se trouver devant le pire de ses adversaires sans jamais verser dans la moindre inimité. Bien plus, il ponctuait son propos de pointes taquines franches, mais jamais blessantes. Le sourire illuminait son visage et le geste méditerranéen lui conférait une posture théâtrale.
Aristocrate dans l’attitude, populaire dans le geste, provocateur craint et bienvenu à la fois, polémiste impitoyable tout autant que fraternel, humoriste dévastateur et attachant à la fois, critique redoutable et humain en même temps, intransigeant et tendre, tel était Moulay Ahmed Alaoui dans sa riche et ondoyante personnalité. Et s’il est des hommes que l’on n’aimerait avoir ni pour amis ni pour adversaires, Moulay Ahmed Alaoui était au contraire de ceux, bien rares, avec lesquels l’on voudrait nourrir un permanent commerce intellectuel et fraternel, car l’on savait que chez lui, l’adversaire redoutable qu’il pouvait être ne cachait pas longtemps l’ami hautement estimable.
Homme de caractère, il a fait montre d’une liberté d’esprit et de parole d’une hardiesse déconcertante. Il n’en était que plus à l’aise pour apporter la contradiction et dire sa vérité quoi qu’il lui en coûtait, avec une perspicacité peu commune.
Lorsqu’il faisait son entrée quelque part, quelque chose d’indéfinissable se transformait imperceptiblement dans l’air, par je ne sais quelle magie qui lui était propre. La langue était aussi musclée que raffinée. La voix douce, tonitruante, altière, caustique. Le regard. Toujours curieux et pénétrant, fouillait tous les horizons et, d’un seul trait, ramassait terre et ciel à la fois. Il dénudait les âmes et pénétrait les cœurs.
Visionnaire, il était. Réaliste, il savait l’être. Homme avant tout. Mais de la meilleure extraction, en dépit ou peut-être même à cause de ses orages feints et de ses apaisements déconcertants. Son moi n’est jamais resté éteint.
Son engagement politique remonte à la saga épique des nationalistes maghrébins du milieu du 20ème siècle ou, déjà étudiant, il se fait remarquer par son militantisme actif dans les milieux politique et journalistique en faveur de l’indépendance du maroc.
C’est dans ce creuset que se formèrent les élites maghrébines. Toute une génération fit ses premières armes dans la lutte commune pour l’indépendance et se trouva ainsi, pour bon nombre d’entre eux, propulsée aux responsabilités à la tête de jeunes nations.
Moulay Ahmed Alaoui fut de ceux –là.
Homme de conviction, et comme bon nombre de jeunes maghrébins appelés par le devoir, il sacrifia ses études en médecine, pour se consacrer à ses activités de militant pleinement engagé à défendre la cause du Maroc et du maghreb. Il en tirait une certaine fierté. Mais toujours enclin à la conciliation. Il dira : « j’ai étudié la médecine politique ».
Cette cause, il l’a défendue avec talent, avec éclat. Ses articles acerbes et argumentés, ses billets pamphlétaires et fougueux au service de la cause sont toujours ancrés dans nos mémoires.
La déportation du Sultan Mohamed V à Madagascar avec sa famille, il l’avait durement ressentie, non seulement comme une violation flagrante du traité du protectorat de 1912, non seulement comme une offense politique de la puissance coloniale, mais comme une humiliation préméditée de tout le peuple marocain, de son passé et de son présent.
Qui n’a pu déceler chez Moulay Ahmed Alaoui, dès le premier abord, un amour passionné pour la monarchie et pour l’histoire de son pays, un amour qu’il s’acharnait, à chaque occasion, à faire connaître et partager ? Fermement attaché à l’héritage culturel, il en évoquait les différentes étapes avec une méticuleuse érudition.
La mémoire de la nation était pour lui repère d’identité et référence de nationalisme.
D’une intégrité morale sans faille et homme politique avisé, il imposait ses analyses, fortement appréciées dans les sphères du pouvoir, faisant de lui – et ce n’était un secret pour personne – l’un des conseillers les plus éminents de feu le Roi Hassan II, que Dieu ait son âme.
Ayant un sens aigu du devoir, Moulay Ahmed Alaoui allait tout naturellement être appelé aux responsabilités dès l’indépendance du Maroc. S’il est resté aussi longtemps dans le gouvernement du Royaume, ce n’est pas seulement en raison de sa fidélité et de son sens de l’honneur. C’est aussi grâce à ses compétences et ses qualités de visionnaire dans la conduite des affaires de l’Etat. Un grand mérite lui revient dans l’expansion remarquable du secteur du tourisme et de l’artisanat dont il a mis en valeur la fonction et la portée économique au-delà de ses dimensions culturelle et ludique et qui occupe encore une place de premier plan dans la promotion de l’économie marocaine, mieux, dans l’affirmation de la spécificité de l’identité marocaine.
Il n’est que justice de reconnaître à cet homme d’envergure, conforté qu’il était par une double capacité intellectuelle et politique qu’il a su, mieux que la plupart de ses contemporains maghrébins, être au diapason des profondes mutations qui s’opéraient dans son pays.
Car ce qu’il y a d’admirable et de fécond chez Moulay Ahmed Alaoui, c’est ce formidable désir, cette ambition quasi-obsessionnelle, cette intransigeante exigence de prendre à bras le corps les défis que pose la modernité à nos sociétés pour initier un futur qui ne soit pas en contradiction avec notre passé. Lors d’un colloque sur la médicine et les structures sociales au Maroc, il avait explicité cette attitude en ces termes : « Au Maroc, l’éventail des pratiques médicinales va du scanner à la « Chouafa » (voyante). Il y a ici et maintenant, une non contemporanéité simultanée, avec quelques siècles de décalage ».
Faire de cette « non contemporanéité simultanée » un aiguillon pour la créativité et non pas un prétexte à de stériles antagonisme, telle est l’inspiration profonde qui a animé l’action de Moulay Ahmed Alaoui pendant plus de cinquante ans. Tel est aussi l’un des messages forts que nous a laissés celui qui a tenté, avec succès, d’être l’intellectuel et le maître d’œuvre d’une modernisation réellement innovante parce que mobilisant et reconfigurant le patrimoine culturel du peuple marocain.
Voyageur infatigable, il prenait grand soin à cultiver ses relations avec des personnalités étrangères. Celles-ci le lui rendaient avec autant de chaleur. Bénéficiant de la confiance permanente du palais royal il devint pour les uns un interlocuteur écouté, pour d’autres, un partenaire privilégié et incontournable.
Avec une constance remarquable, il est resté fidèle à ses convictions et à ses principes. Il a poussé, jusqu’à la passion, son dévouement et sa loyauté au service de la dynastie alaouite et de la pérennité monarchique. Il s’est fondu corps et âme dans sa patrie qu’il a aimée et servie jusqu’à la dévotion.
Fervent militant de la construction arpenteur du royaume, rapporteur fidèle des faits et gestes marquant l’évolution de la société marocaine, tel était Moulay Ahmed Alaoui .
Il n’a jamais voulu reconnaître le charme trop pâle des vertus de la diplomatie de la dissimulation. il prenait avec panache quelque malicieux plaisir à bousculer les convenances les mieux établis, les conventions les plus ancrées . L’homme des foucades souvent féroces déclarait volontiers qu’il ne se reconnaissait pas dans la diplomatie feutrée, habillée de faux – semblants et de jeux subtils, dans lesquels, selon lui, la vérité se cherche et se perd. Sa franchise et son ironie à la fois hilarantes et dévastatrices ; ses réparties cinglantes et pleines de sel, ses anecdotes bien à propos, faisaient de lui un interlocuteur fascinant.
Du reste, sa vertu première étant le culte du dialogue, il était toujours le maître du jeu : comme le musicien donne le « la », Moulay Ahmed Alaoui donnait le ton. il plantait le décor. Il élevait l’assistance à son niveau. Sa seule présence créait l’ambiance. Loin des hypocrisies et de la médiocrité. Pour lui, la vérité ne devait jamais se parer d’artifices.
Mais il avait, dans son comportement toujours franc et parfois brusque, que d’aucuns pouvaient juger singulier, quelque chose de bien à lui qui tempérait l’abrupt du propos, quelque chose d’indéfinissable peut être, mais enveloppé dans une immense et naturelle bonté. Ce personnage aux multiples facettes, toutes plus attachantes les unes que les autres, cultivait le dialogue comme vertu première. Quel que soit le rang de l’interlocuteur, il aimait le convaincre, lui faire partager sa vision des choses. Il voyait en lui l’homme. Et l’homme c’était la passion de Moulay Ahmed.
Il ya quelques années, après un parcours éprouvant mais bien rempli, il fut terrassé par la maladie. Brusquement, il perdait sa voix. l’homme pour qui la parole était instrument de combat, pour qui l’usage de la parole était d’expliquer, convaincre, dissuader, délivrer sans cesse des messages de convivialité et de concorde, était désormais plongé dans un silence pathétique. Le verbe du ténor talentueux s’est éteint. Pas la flamme. Il devint comme un rossignol qui se tait et dont le silence transmet encore plus de messages que la parole elle- même.
Les nombreux visiteurs maghrébins ou étrangers qui tenaient à lui rendre visite étaient reçus avec une muette mais chaleureuse courtoisie. Une hospitalité d’autant plus altière et attentionnée qu’il se savait diminué. Ce qui ne le dérangeait peut- être, c’était de ne plus être, à la hauteur de l’hospitalité du cœur, simple, authentique, chaleureuse, joyeuse et sereine.
Il répondait avec le langage du regard. Respecté de tous, affectueusement entouré des seins, Moulay Ahmed Alaoui a continué à égrener ses souvenirs comme un chapelet de prière jusqu’au dernier jour de sa vie .
Je l’ai revu pour la dernière fois quelques années avant qu’il ne soit ravi aux seins, à sa patrie et à ses amis, au moment ou nous enterrions le regretté hassan II, et j’ai vu dans la profondeur de son regard triste, l’eclat intact de sa vivacité légendaire, mais aussi une sorte de regret de ne pouvoir continuer son œuvre avec sa vision personnelle de l’avenir du royaume.
L’itinéraire de Moulay Ahmed Alaoui qui a su concilier ce qui apparemment paraissait inconciliable dans nos sociétés d’être à la fois un homme politique du makhzen et un « activiste » populaire, constitue une véritable source d’inspiration tant pour les gouvernants que pour les intellectuels engagés.
Moulay Ahmed n’aurait pas été issu de la famille royale et n’aurait pas détenu des titres officiels pour exercer son talent, il aurait incontestablement fait partie de ces hommes qui étaient nés pour avoir un destin prestigieux.
Même sans titre de noblesse, il aurait tout de même existé et compté dans la société marocaine et au-delà, dans la société internationale.
Les atouts et les privilèges de la naissance et de la responsabilité dont il a pu bénéficier lui ont tout juste permis de s’épanouir et de s’affirmer un peu plus. Ses capacités intellectuelles, son talent naturel, les traits saillants de son caractère, son comportement insolite, imprévisible, toujours surprenant, l’auraient tout de même désigné comme un homme d’exception parmi les hommes exceptionnels.
Voilà déjà quatre ans que Moulay Ahmed Alaoui « le plus populaire des princes « nous a quittés. Le pionnier est mort à la tâche. il s’est éteint, sans bruit, sans déranger, quelque temps après l’attaque qui le priva de la parole, son clairon et sa harpe, son bouclier et son glaive.
Il a emporté avec lui ses secrets et les riches mémoires qu’il n’a pas rédigés.
Qui relèvera le défi de les écrire à sa place ? a qui ne l’a pas connu, dans sa fraîcheur et dans sa vitalité, ce portrait que j’essaie de faire de lui pourra paraître quelque peu dithyrambique. Mais il faut l’avoir connu, il faut avoir subi sa fascination et sa séduction pour comprendre que l’on puisse difficilement trouver ses mots pour cerner son personnage aux dimensions multiples et si facile à admirer et à aimer.
Et vous, madame Moulay Ahmed alaoui, ma chère sœur, vous qui l’avez soutenu avec abnégation tout le long de son parcours politique qui avez supporté, sans répit malgré vos charges universitaires, le lourd fardeau d’assistance durant ces dernières années d’épreuves. Je sais avec quelle intensité vous êtes demeurée fidèle à sa mémoire, et je voudrais vous exprimer ici mes sentiments de haute estime et de fraternité avec mes hommages profondément respectueux.
A ses enfants, Lalla Nezha et Moulay Abdel Malek ; je voudrais dire qu’ils sauront, grâce à l’éducation reçue, non seulement conserver, dans sa plénitude, le capital moral inestimable que leur père leur à légué, mais qu’ils auront à cœur de le faire fructifier, perpétuant ainsi le nom du grand disparu.
Fait à Alger le, 29Avril 2006
Abdelaziz BOUTEFLIKA