Le Royaume enchanté de M6 devrait se réveiller fissa (Nicolas Beau, 2011)

Nicolas Beau*

Lorsqu’avec Catherine Graciet nous écrivions en 2007 « quand le Maroc sera islamiste », tout le monde était persuadé à Paris que le Royaume enchanté était le maillon faible du sud de la Méditerranée. Attentats de Casa en 2003, attentats de Madrid l’année d’après dont les exécutants sont tous marocains, dérive d’un régime où les sécuritaires ont cédé la place aux quasi maffieux affamés d’argent, à l’image du clan Trabelsi, éloignement du monarque des préoccupations gouvernementales, retombées de la crise mondiale.

Un des patrons de l’anti terrorisme en France confiait: « Le Maroc, c’est la Russie en 1916 ».

Or à l’époque que lisait-on dans la presse française? Et bien, dans le Nouvel Observateur par exemple, on découvrait que le Maroc était « un Royaume en mouvement », avec un dossier d’une dizaine de pages à la gloire du royaume chérifien, à l’exception de deux papiers de Sarah Daniel et Farid Aichon, qui, in extremis, et malgré l’opposition de la direction, cadraient un peu ce publi-reportage.

Ce dossier de l’Obs était le résultat de l’activisme d’un communicant du régime marocain à Paris, Olivier le Picquart, P-DG d’une société honorablement connue, Communication et Institutions.

Depuis des années, Laurent Joffrin qui dirigeait déja la rédaction de l’hebdomadaire, où il revient ces jours ci, triomphalement élu par 93% de la rédaction, avait pris l’habitude de faire du bateau avec ce communicant et ami. L’idée de cette une sur le « Royaume en mouvement », absurdité évidente pour qui connait la réalité marocaine guettée par une « benalisation » des espaces de liberté et de pluralisme qui existaient encore il y a quelques années, a germé sans doute pendant ces vacances nautiques.

Réconfortant de lire dans Libé, ces jours-ci, les papiers ciselés et assassins de Joffrin sur Moubarak et Ben Ali. De la belle prose. A quand, cher Laurent Joffrin, le même édito sur M6, dont l’inaction, ces dernières années, est responsable du désastre marocain? La remarque vaut autant pour les BHL, DSK, Ségolène Royal, Jack Lang et combien d’autres qui profitent des délices épicés du Royaume enchanté. Ou encore pour notre président qui résidait à Marrakech à Noel dans un des palais du Roi Mohammed VI.

Pourquoi en rajouter aujourd’hui sur la Tunisie et l’Egypte et se taire sur le Maroc, autrement plus explosif? Pourquoi ce silence général, sauf Plantu dans le Monde, quand le dessinateur de Bakchich, Khalid Gueddar, a écopé de quatre années de prison avec sursis pour avoir dessiné une BD sur le site retraçant, de façon amusée, les exploits de jet ski du souverain marocain?

Si le Maroc ne bouge pas rapidement, l’onde de choc qui a gagné les pays voisins ne l’épargnera pas. Et le résultat, dans un pays où la moitié de la population vit au dessous du niveau de pauvreté, risque d’être particulièrement violent. Seule aujourd’hui la symbolique du Trône marocain, que respecte encore profondément la quasi totalité des citoyens et sujets de ce pays, protège le Maroc d’un déferlement annoncé.

Les vrais amoureux du Maroc devraient, dès aujourd’hui, tirer le signal d’alarme. Il faut à tout prix contraindre le Palais marocain à amorcer les réformes qui ont trop longtemps attendu.

*Nicolas Beau ; ancien journaliste au Canard enchaîné, il était également le directeur du site Bakchich.info