Note sur l’agence
Lorsque notre collègue Noureddine Omari avait, pour la première fois, exprimé l’intention de proposer la création d’une agence d’exécution et d’aide au président de région, je lui avais amicalement fait savoir que j’avais quelques réserves à ce propos.
Je n’ai pas eu la possibilité de le faire publiquement pour les raisons que vous connaissez, qui, au reste, ne m’empêchent pas de me tenir au courant des travaux de notre commission. Je voudrais les formuler très brièvement ici en vous priant de ne les considérer que comme modeste contribution au débat sur l’agence puisque, selon l’ordre du jour de jeudi et de vendredi de la semaine dernière, le groupe de travail chargé de l’introduire est invité à proposer d’ultimes ajustements. Il va sans dire que je me rallierais à votre décision si vous jugiez qu’une telle création est utile et nécessaire.
Mes remarques renvoient aux deux principes de démocratisation de la vie et d’efficacité économique qui sont au cœur du discours royal de janvier 2010.
Je conçois bien l’importance d’une telle agence : face aux compétences techniques des services déconcentrés et décentralisés, le président du conseil régional aurait besoin d’une institution capable de dialoguer avec eux, de veiller au suivi des réalisations des décisions du conseil régional, voire d’aider à la formulation de la vision économique dont le dernier texte présenté par le groupe transversal « Compétences » dit un mot.
J’ai parfaitement compris qu’une telle agence serait le bras armé de la présidence de la région et dépendrait directement d’elle, que son directeur serait choisi par le président et son conseil et lié par un contrat qui en ferait le subordonné.
Je crains cependant deux dérives.
1/ Comme toute bureaucratie, l’agence risque de s’autonomiser progressivement et devenir indépendante du pouvoir régional. De moyens rationnels, comme instruments d’exercice du pouvoir et organisations à travers lesquels les sociétaires adaptent les moyens aux fins qu’ils entendent poursuivre et atteindre, elle devient sa propre fin, mettant ainsi en danger la démocratie locale naissante.
Nous connaissons tous le dilemme des sociétés démocratiques modernes : de par son essence, la démocratie s’oppose à la bureaucratie ; mais celle-ci se développe de façon inévitable. Personne à ma connaissance n’a identifié de solution à ce problème de l’autonomisation de la logique bureaucratique par rapport à la logique démocratique, sauf à prôner la révolution permanente à la Trotsky, ou à adopter le « spoils system » américain inadapté à notre culture et à nos élites politiques.
Enfin, je ne veux pas jouer les Cassandre ; mais il convient de réfléchir aux probables collusions entre la nouvelle organisation bureaucratique et les autres administrations qui auraient mêmes fonctions, même culture, mêmes intérêts. Si ce tableau, noirci intentionnellement quelque peu, avait une quelconque vraisemblance de devenir réel, je souhaiterais que nous réfléchissions ensemble aux moyens permettant de renforcer le pouvoir démocratique face au nouveau Léviathan.
2/ Je ne suis pas sûr que les coûts que la création de l’agence occasionnerait compenseraient les avantages qu’elle procurerait. J’aimerais être rassuré sur ce point d’autant que, au moins dans un premier temps, non seulement les moyens financiers de la région seront vraisemblablement limités mais qu’en outre son action sera, par conséquent, modeste. Par ailleurs, je ne voudrais pas vous inviter à discuter de l’organisation d’une telle agence qui n’est peut-être pas de notre ressort et qui risque de nous mener trop loin (e.g. nombre de fonctionnaires, salaires, type de hiérarchie), mais l’on aimerait être rassuré sur ses dimensions, ses limites d’action et son efficacité réelle.
Il me semble prudent de tirer des leçons du fonctionnement des agences de développement, des maigres résultats de leurs actions, bien qu’elles disposent de budgets très conséquents. J’ajoute que, à ma connaissance, les seules expériences probantes qui sont à mettre à l’actif des agences sectorielles sont celles de l’ANRT (Agence National de Réglementation des Télécommunications) et TMSA (Tanger Méditerranée S.A.). On pourrait donc concevoir que telle région qui fait face à des problèmes spécifiques pourrait être dotée de structures sectorielles (e.g. problème de la gestion de la circulation dans une ville comme Casablanca) mais non d’une agence multisectorielle sur laquelle je reviens rapidement plus bas.
3/ Si le rôle de l’agence consistait seulement à dresser le tableau de bord du suivi des réalisations décidées par le conseil régional et à en contrôler l’exécution selon les cahiers des charges, le bureau du conseil régional pourrait parfaitement s’en charger. Je ne vois pour ma part aucun inconvénient à ce que le sommet de la hiérarchie de l’administration territoriale l’aide dans ce sens au moins durant les premières années de l’expérience de régionalisation. Par ailleurs, rien n’interdirait à ce que, à cette fin, chaque région sollicite notamment les compétences que comprendraient l’université régionale et les autres institutions régionales publiques et privées.
Si en revanche l’agence devait contribuer à la formulation de la vision de la politique économique et sociale de la région, je doute qu’une institution de taille réduite soit en mesure de le faire. Une telle tâche nécessiterait à vrai dire la concentration de telles compétences scientifiques, administratives et techniques que chaque région aurait une administration pléthorique qui viendrait s’ajouter à celles de l’Etat. Afin d’éviter la multiplication de telles institutions dont les coûts seraient prohibitifs, ne pourrait-on pas penser à en créer une au niveau national qui aiderait toutes les régions selon leurs demandes respectives ?
Mohamed Cherkaoui