Par John Laughland – Le 10 janvier 2019
Source: RT
Charles Maurras, philosophe monarchiste français du début du XXe siècle, a écrit : ” La République est un régime qui gouverne mal mais se défend bien.” Rarement ces paroles n’ont paru plus vraies que lors des manifestations des Gilets jaunes.
J’habite en plein cœur de Paris, dans un appartement qui surplombe le cabinet du Premier ministre à l’Hôtel Matignon, à quelques encablures des scènes de violence dont nous avons été témoins samedi dernier. Depuis que les Gilets jaunes ont commencé à manifester au début du mois de décembre, j’ai constaté la présence massive, juste devant ma porte d’entrée, de policiers chargé de défendre le siège du gouvernement pendant que le reste de la ville, et même le reste du pays, était laissé à la merci des émeutiers.
Les rangs serrés de CRS (police spéciale) étaient consciencieusement occupés à empêcher les piétons d’aller faire leurs courses, pendant que des voitures étaient brûlées à quelques rues de là, et que la porte d’un ministère était défoncée avec un chariot élévateur à seulement cinq minutes à pied.
Aujourd’hui, après le huitième acte de manifestations du week-end, le gouvernement français a annoncé de nouvelles lois pour empêcher les manifestations avant même qu’elles aient lieu. Quatre-vingt mille policiers doivent être mobilisés pour la manifestation prévue samedi prochain, le 12 janvier, alors qu’on nous a dit qu’il y avait moins de 4 000 manifestants samedi dernier. Cela signifierait 20 policiers pour chaque manifestant.
Y a-t-il plus de manifestants que les chiffres officiels ne l’indiquent, ou l’objectif est-il de les dissuader totalement de manifester ? Et une porte ministérielle cassée constitue-t-elle vraiment une menace pour les valeurs de la République, comme l’a affirmé le porte-parole du gouvernement, ou cette menace est-elle exagérée pour justifier des mesures de répression politique comparables à celles qui ont valu tant de violentes attaques, à l’ancien président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, de la part de l’Occident, quand il a essayé d’endiguer, assez mollement, la vague croissante d’opposition de la rue, lors des manifestations de Maidan fin 2013 ?
Il ne fait aucun doute que les manifestations des Gilets jaunes ont été systématiquement entachées de violences. Des voyous ont pillé, frappé la police, incendié des voitures et insulté des résidents devant chez eux.
Lors de la première manifestation, des anarchistes sont entrés dans notre immeuble et ont dessiné le symbole anarchiste (un A dans un cercle) sur la porte avant de notre appartement. Il ne fait donc aucun doute que cette violence doit être évitée si possible et punie quand elle a lieu.
D’un autre côté – je peux en témoigner – on n’a jamais connu une présence policière d’une telle ampleur. Certainement jamais une action policière préventive de cette envergure, dans toutes ces malheureusement très nombreuses régions de France qui sont, dans un consensus général qui remonte à loin, des zones de non-droit où le crime et l’islam radical prospèrent, comme dans ces fameuses banlieues [en français dans le texte, NdT] qui entourent de nombreuses villes françaises.
Il est tout simplement impensable que les “jeunes” de ces banlieues, (le mot “jeunes” est un euphémisme), soient soumis à des contrôles du type de ceux qui ont été opérés dans les quartiers chics de Paris. Au contraire, la police se tient bien à l’écart de ces zones.
Les conséquences d’une telle faiblesse sont très claires. J’étais à Strasbourg le jour de l’attentat terroriste, le 11 décembre. Le lendemain matin, j’ai rencontré quelqu’un qui connaissait la première victime de l’agresseur, une jeune fille qu’il avait touchée au bras avant de tuer un homme devant elle. C’est une violence d’une ampleur qui éclipse tout ce que les Gilets jaunes ont fait.
Pourtant, à peine le terroriste a-t-il été abattu qu’on a appris qu’il était connu de la police et qu’il était sous surveillance pour extrémisme. Il n’avait pas encore 30 ans, mais il avait près de 30 condamnations à son actif. Il a néanmoins réussi à échapper à la police pendant plusieurs jours après l’attentat en disparaissant dans son quartier où il avait sans doute de nombreux amis, tout comme les terroristes algériens des années 1950 pouvaient disparaître dans la casbah après leurs attaques.
Tout le monde sait qu’il existe des centaines de zones de non-droit comme celle-ci dans toute la France, où la police est interdite d’accès par ses supérieurs, de peur de provoquer un retour de bâton de la part des habitants. Ces territoires ont été effectivement confisqués.
Pour que personne ne croie que j’exagère en disant cela, rappelons-nous la vision apocalyptique de la situation sécuritaire qu’a donnée Gérard Collomb, l’ancien ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron et l’un des premiers à rejoindre son nouveau parti en 2016, lorsqu’il a démissionné en octobre dernier.
Il a dit devant le Premier ministre qu’une grande partie du territoire français n’est plus régie par les lois de la République, mais par la loi de la jungle. “La loi des plus forts… trafiquants de drogue et islamistes radicaux.” Il ne dépeignait rien de moins qu’un pays au bord de la guerre civile.
“La situation est très dégradée… demain, elle sera incontrôlable.” Il avait fait des remarques similaires officieuses en février, mais elles n’ont été publiées qu’après sa démission en octobre.
Collomb ne faisait que dire tout haut, en public, ce que les gens savent depuis des années et ce que des experts comme Thibault de Montbrial et Laurent Obertone ont documenté scrupuleusement dans leurs livres.
Le poisson pourrit par la tête. Emmanuel Macron aime faire la leçon à des jeunes gens inoffensifs, qu’il accuse de manquer de respect envers la présidence, ou de ne pas essayer de trouver un emploi, tout en se faisant photographier avec des braqueurs de banques et des ex-détenus.
En clair, la France est forte avec les faibles et faible avec les forts. Un tel régime ne mérite que le mépris dans lequel le tiennent les Gilets jaunes. Une telle colère ne sera pas facile à juguler, et la police française n’y parviendra pas.
John Laughland, qui a un doctorat de philosophie de l’université d’Oxford et qui a enseigné à des universités de Paris et Rome, est historien et spécialiste des affaires internationales.