A l’attention de Monsieur Mohamed Yassine Mansouri
Note sur le rapport relatif à la régionalisation avancée
Cette très brève note exprime un point de vue personnel et ne prétend pas rendre compte des travaux de la commission consultative de régionalisation. N’étant pas un spécialiste du droit administratif, je me garderai de commenter certains passages du rapport présenté par la CCR.
Les deux points originaux du projet de régionalisation avancée présentée par la CCR se rapportent au mode d’élection et subsidiairement à l’agence d’exécution. L’extension des compétences ne me paraît guère d’une originalité bouleversante même si elle risquerait de poser quelques problèmes aux agents du Ministère de l’intérieur. Il en est de même de la coordination des administrations au niveau régional et du découpage.
1/ Le premier point concerne l’élection au suffrage universel direct des futurs représentants de la région dont le président aura des pouvoirs exécutifs importants mais non totalement originaux par rapport à l’actuelle loi relative à l’organisation de la régionalisation. Les présidents des futurs conseils régionaux disposeront d’une autonomie par rapport à l’autorité du Wali dans la mesure où ils seront notamment les ordonnateurs des recettes et des dépenses.
2/ Le deuxième point a trait à la création d’agences d’exécution des projets placées sous l’autorité et le contrôle des conseils régionaux. La CCR ne fait rien d’autre que reprendre à son compte une procédure que l’on présente comme une panacée contre la bureaucratisation étatique mais qui risque d’avoir des effets pervers. J’estime pour ma part que cette proposition coûteuse de la commission contrevient à plusieurs principes dont j’avais du reste développé les arguments dans une note écrite que j’avais envoyée à tous les membres de la CCR. Je vous la soumets à titre d’information.
Les autres « nouveautés » me semblent secondaires par rapport à la loi actuelle qui régit les régions. Je ne discuterai pas du découpage proposé qui cherche à limiter le nombre de régions mais qui se réduit finalement à mon sens à une simple adaptation du découpage administratif actuel. Ce qui n’enlève rien à son intérêt.
Seul le premier point satisfait l’un des deux principes fondamentaux énoncés par Sa Majesté dans son discours de janvier 2010 sur la régionalisation avancée, j’entends le principe de l’approfondissement de la démocratie dans le pays. La partie sur l’équité-genre (donner aux femmes une place plus importante dans les conseils régionaux en instituant une liste qui leur serait réservée à l’instar des élections législatives) et sur la démocratie participative ne me paraît pas d’une importance capitale même si elle rappelle quelques points intéressants. Cependant, je tiens là encore à prendre en partie mes distances par rapport au texte pour les raisons que j’ai développées dans une courte note que je vous transmets également.
Le deuxième principe énoncé dans le discours de Sa Majesté, faire de la régionalisation avancée un levier du développement économique et social, n’est nullement, à mes yeux en tout cas, respecté par le projet soumis par la CCR. A cela plusieurs raisons qui sont indépendantes de la CCR.
Comme je l’avais explicité dans une note écrite que j’avais également adressée à la CCR et que vous trouverez en annexe, aucune étude n’a véritablement démontré que la régionalisation impacte le développement économique. Je crois pour ma part que seul l’Etat est capable de promouvoir ce développement. On peut à ce sujet solliciter les exemples des réalisations des grandes puissances économiques, Etats-Unis, France, Allemagne, Chine, Brésil, etc. Dans tous ces cas, c’est bien le centre qui initie le développement et non la périphérie dont les moyens et la vision sont si limités qu’elle ne pourrait contribuer significativement et efficacement à la croissance économique. Nos communes et régions actuelles ont-elles contribué tant soit peu au développement économique alors que la loi actuelle les y incite ?
On a prétendu que la régionalisation pourrait être à l’origine d’une augmentation annuelle du taux de croissance du PIB de 2,5 points. Ce chiffre est fantaisiste. Il correspond en fait à l’éventualité de la création d’un Maghreb Arabe aux frontières ouvertes et aux échanges idéaux, comme le montrent les études de la Banque Mondiale, de celles de Stuart Eizenstat et de ses collaborateurs.
Par ailleurs, je me permets de rappeler que le développement social auquel se résout finalement le texte de la CCR relève du domaine d’implication de Sa Majesté. Sa Majesté n’a pas attendu la CCR pour le mener à bien. Tout ce que les élus régionaux pourront faire, c’est de prolonger l’action du roi à la condition qu’ils gagnent la confiance des populations ; ce qui n’est guère le cas aujourd’hui, alors que la confiance est une condition nécessaire à la réalisation et au succès de toute politique publique. Ma remarque vaut également pour l’administration.
Enfin, le texte de la CCR rappelle, il est vrai, la nécessité d’une mise à niveau des régions économiquement les plus mal-loties. La justice sociale et la solidarité nationale requièrent le transfert des moyens financiers et humains pour qu’elles ne sombrent pas dans la pauvreté et qu’elles ne connaissent pas une accélération de la saignée démographique qui a d’ores et déjà commencé depuis de nombreuses décennies et qui risque de s’aggraver. Ce point relève toutefois du social, non du développement économique. Il concerne la répartition non la croissance des richesses.
Je regrette que le texte sur la régionalisation avancée n’ait pas tenu compte de certaines remarques sur les transferts des pouvoirs du centre vers les régions, notamment des les domaines de l’enseignement, de la formation et de la santé, qui deviendraient des compétences propres du conseil régional. Pourquoi le centre continuerait-il à décider de ces problèmes alors qu’ils pourraient être résolus au coup par coup par chacune des régions en fonction des besoins locaux ? Que ce transfert soit progressif, cela est raisonnable ; mais il faudra le programmer pour soulager le centre et pour que les élus régionaux en assument la responsabilité devant leurs électeurs.
J’illustrerai mon propos par un exemple simple. Pour résoudre, en partie du moins, les problèmes éducatifs principalement au niveau postsecondaire, les régions pourraient créer, à l’instar des « Community Colleges » américains, des institutions régionales qui prendraient en charge une grande partie des diplômés de l’enseignement secondaire pendant deux ans et leur offriraient une formation professionnelle de bon niveau. Ses institutions éducatives seraient fortement intégrées au tissu économique et social de chaque région. L’Université serait ainsi désengorgée au lieu d’être le lieu de confluence de tous et l’une des origines de toutes les frustrations.