Au Maroc, se faire dépouiller de son bien immobilier, c’est « légal » !

Maroc : Comment lutter contre la spoliation foncière légale?

Par Asmâa Bassouri

Se faire dépouiller « légitimement » de son bien immobilier (Frédéric Bastiat parlait de spoliation légale), c’est possible au Maroc. Non seulement la loi comporte des failles exploitables par les spoliateurs, mais les autorités se sont longtemps renvoyées ‘la patate chaude’. Cette inertie a nécessité l’intervention du monarque qui, par une lettre adressée au ministre de la justice, a suscité la mise en place de quelques mesures. D’aucuns se réjouiront des réformes entreprises depuis l’injonction royale, qui vont dans le bon sens, mais ont-elles pu arracher le mal à la racine ?

Une législation défaillante

Les affaires de spoliation foncière sont des affaires à tiroirs en ce sens que plus on creuse dans leur instruction criminelle, plus on découvre leur caractère ramifié, impliquant un circuit mafieux issu des rouages administratif, notarial et parfois même judiciaire. D’où le caractère complexe de ces infractions, en faisant des crimes parfaits où l’établissement de la preuve de fraude relève parfois de l’utopie. Outre le fardeau de la preuve, l’actuelle législation, à savoir la loi 39-08 portant code des droits réels, comporte une disposition des plus cyniques, qu’est son article 2 : il limite le délai de prescription pour tout recours en justice à 4 ans seulement (alors qu’un délai plus long limiterait les dégâts) ; de plus, il comptabilise ledit délai à partir de l’inscription de la transaction sur les livres fonciers (et non celui de la découverte de la fraude, ce qui aurait été plus favorable au propriétaire spolié) ; et a surtout donné lieu à une grande insécurité juridique avec une jurisprudence oscillante qui donne tantôt raison au propriétaire originel, tantôt à l’acquéreur de bonne foi (alors que si les deux étaient de bonne foi, il n’en demeure pas moins que la première personne de bonne foi est le propriétaire spolié). En somme, rien de plus scandaleux pour une loi régissant un domaine aussi important que le droit foncier.

Des réformes insuffisantes

Dire qu’il n’y a pas eu d’avancées pour suppléer aux failles de la loi 39-08 serait un mensonge. À partir de 2017, sur initiative du Parlement et du gouvernement, certains amendements à ladite loi ont été réalisés, au même titre que pour la législation pénale. Seulement, ces réformes s’occupent beaucoup plus de la répression que de la prévention. Quant au code des droits réels, l’amendement de son article 4 bannissant les procurations sous seing privé pour en exiger désormais la forme authentique (établies devant un notaire ou un avocat agréé près la Cour Suprême) serait louable, en ce qu’il viendrait compliquer la tâche aux spoliateurs, mais quid de l’usurpation d’identité ? Qui plus est, l’article 2 qui est au cœur de la polémique reste intouchable. Ce qui implique pour les propriétaires (en tout cas les plus avertis) de vérifier régulièrement à la conservation que leurs biens leur appartiennent toujours. Une totale aberration!

Pour ce qui est des projets de lois adoptés en conseil du gouvernement et présentés au Parlement en septembre 2018 pour approbation : le premier modifie et complète le code de procédure pénale en conférant au parquet la prérogative d’ordonner des mesures conservatoires pendant l’instruction de l’affaire (e.g. gel, interdiction de cession), que ce soit sur auto-saisine, requête des juges ou des parties au procès ; le second se donne pour but d’unifier les peines relatives aux crimes de falsification pour tous les professionnels spécialisés dans l’élaboration des contrats (notaires, avocats et adouls). La dissuasion générale s’en dégageant serait certes propice à l’amélioration du traitement judicaire des affaires de spoliation, mais nombre d’aspects restent omis.

Encore du pain sur la planche…

En effet, la situation piétine tant les autorités ne prennent pas le taureau par les cornes. Nous entendons par cela des mesures visant d’une part une meilleure lutte contre l’impunité, d’autre part, une intervention en amont pour prévenir et ce au niveau de l’agence de Conservation foncière.

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