Ces dernières années, nous assistons à un vrai déferlement d’écritures de tous genres: romans, nouvelles, essais… écrits par de nouveaux romanciers et essayistes. Des romanciers en herbe qui s’essayent à un genre dont les tenants et les aboutissants ne coulent pas de source. En effet, les arcanes du genre ne se laissent pas déceler et même démêler par le premier profanateur du temple.
Vous allez dire qu’il suffit d’essayer, que tout le monde est passé par là, qu’on apprend de nos propres erreurs, que personne ne naît romancier, essayiste ou dramaturge, qu’il suffit d’avoir un faible pour un genre, de se documenter sur ses spécificités, d’en lire les ténors pour passer du lecteur au créateur. Et bien, non! Balivernes que tout cela! Si les choses étaient aussi faciles et évidentes comme le veut cette logique, on aurait un Barthes romancier, un Umberto Eco dramaturge, un Maurice Blanchot pourquoi pas nouvelliste, un Vladimir Propp conteur et un Henri Mitterand poète, eux qui ont une parfaite maîtrise de toutes les ficelles et des techniques de la littérature.
Non, il n’en est rien: A ces grands analystes et critiques, il leur a toujours manqué, dans leurs écrits, cette pulsion créatrice qu’on peut imiter, développer, parfaire mais qui, en vérité, reste innée à quelqu’un et non à un autre.
C’est cet élan vital , cette désobéissance à la raison, ne dit-on pas que l’écriture est un état second. C’est cette pulsion qui tend vers le beau, le sublime et surtout l’original. Ce sublime qui se fait envelopper par un style qui n’est ni moins sublime, ni moins original créant ainsi une harmonie, que dirais-je une symbiose poétique , romanesque ou dramatique.
C’est encore cet état second qui sollicite incessamment la fiction et tout l’univers illimité de l’imaginaire de l’auteur. Autrement, comment expliquer la description de l’état d’âme de Alexeï, personnage principal de F. Dostoevski dans son roman « le Joueur » et sa décadence dans l’ivresse du jeu; ou celle de Raskolnikov dans « Crime et châtiment »: Comment imaginer qu’on puisse consacrer deux tomes de plus de 400 pages chacun, rien que pour décrire la psychologie du personnage meurtrier avant le passage à l’acte qu’il a longtemps ourdi.
En principe, une autre langue doit voler au secours de la première pour réussir cette prouesse romanesque, mais il n’en est rien, l’artiste est là pour réussir toutes les combinaisons syntaxiques possibles et imaginables. Oui, c’est cet élan vital qui, quand il arrive à sa béatitude , son point sublime, génère des jaillissements créateurs comme l’a soulevé Bergson dans son Évolution créatrice.
Cette élévation créatrice qui, même en dépeignant la réalité, la transcende et la magnifie à nos yeux. On est en admiration devant la description des faubourgs de Paris par Zola, Balzac ou Baudelaire à tel point qu’on oublie leur côté hideux, répugnant et sordide.
L’écrivain est un artiste, que dirais-je un enchanteur qui nous ensorcelle pour canaliser notre regard et notre jugement vers la beauté et l’originalité en nous trouvant un échappatoire de la réalité crue qu’on abhorre ou qu’on aime. Comme quoi, il faut se rendre à l’évidence, on ne peut que se comparer à ces albatros, ces condors, ces maîtres des nuées qui condescendent, par la ferveur de leur plume, à ressembler aux communs des mortels mais on peut rarement les égaler. D’ailleurs La critique littéraire n’a t-elle pas fini par établir la distinction entre écrivain, écrivant et écrivaillon?
Abdelouahed Marchoudi
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