Pacte migratoire de Marrakech : Les réserves d’Alger
Le pacte migratoire soumis à 159 États ce 10 décembre à Marrakech divise aujourd’hui fondamentalement les nations. Présente à l’événement, l’Algérie a, de son côté, présenté de sérieuses réserves sur ce texte aux contours obscurs.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Comme son nom l’indique, le document élaboré par les Nations-Unies se veut offrir au monde un cadre pour une «migration sûre, ordonnée et régulière». Comme tout pacte controversé, il n’est pas contraignant juridiquement et ne soumet, en apparence, les Etats à aucune obligation. Son objectif : humaniser la migration et la transformer en phénomène naturel et régulier.
Tout signataire s’engage, toutefois, à accepter de facto un large programme envers les migrants : éducation, droit au logement, regroupement familial… Il impose aussi un contrôle de la terminologie utilisée dans le cadre des débats à venir autour du sujet, un point que de nombreux médias internationaux comparent déjà à de la censure.
Pour mieux cerner les enjeux de ce pacte, nous avons contacté le responsable du dossier de la migration clandestine auprès du ministère de l’Intérieur. «Il s’agit d’une déclaration très controversée, dit-il, et qui ne fait pas l’unanimité sur le plan international.
Environ 12 pays européens se sont abstenus et n’étaient pas présents à Marrakech, pour des raisons évidentes liées à la migration massive qui remonte vers l’Europe. Leur opinion publique est d’ailleurs de plus en plus excédée par ce phénomène invasif et qui, maintenant, devient un enjeu électoral déterminant.
Les Etats-Unis ont boycotté cette réunion et ils s’opposent à une telle approche, considérant l’Etat comme seul compétent pour définir la politique publique migratoire». «L’Algérie, poursuit Hassen Kacimi, est aussi préoccupée par l’évolution de ce phénomène qui menace la sécurité et la stabilité de notre pays. Les pouvoirs publics algériens ont exprimé à Marrakech leurs réserves sur plusieurs points.»
L’Algérie demande ainsi à ce que «le droit de définir les politiques publiques migratoires revienne à l’Etat concerné. C’est également à l’Etat de définir les concepts juridiques de migration régulière et travailler.
Alger, poursuit la même source, a également demandé d’établir la distinction entre les migrants économiques et migrants humanitaires, régis par deux cadres juridiques différents».
Hassen Kacimi ajoute : «On ne doit absolument pas mettre sur un pied d’égalité les Etats et les ONG de même que le dossier migratoire ne doit pas être instrumentalisé et constituer un moyen de pression ou d’ingérence, au nom du droit humanitaire. Nous ne voulons pas non plus que les mécanismes d’évaluation et de mise en œuvre de ce pacte évoluent vers une forme devant transformer ce pacte en instrument juridiquement contraignant.»
A Marrakech, l’Algérie a également relevé les points non pris en compte par le document. «Ce pacte élude les grands défis liés aux évolutions climatologiques et démographiques et ne prévoit aucune mesure pour le règlement des crises et des conflits dans les espaces sahélo-sahariens, pour stabiliser ces territoires. Il ne met pas l’accent sur le développement durable et les mécanismes à mettre en place au niveau des pays pourvoyeurs de migration.
Il faut, cependant, souligner que le rôle de l’Algérie dans le volet humanitaire et dans le soutien des populations subsahariennes en détresse a été mis en évidence.» Les réserves émises par l’Algérie ne sont pas isolées de celles soulevées par de nombreux autres pays.
Un peu partout à travers le monde, les tendances hostiles à ce pacte y voient une manière insidieuse d’imposer aux gouvernements la migration et de la transformer en phénomène naturel. Ce pacte n’est qu’une étape, affirment ces tendances, convaincues que sous l’aspect humanitaire que l’on veut lui donner, l’enjeu est davantage économique car lié au remplacement de la main-d’œuvre et aux compétences. A travers le monde, les réactions d’hostilité s’enchaînent.
En Belgique, la décision du Premier ministre de se rendre à Marrakech a provoqué une grave crise politique. Le Brésil a fait part de son intention de se retirer tout comme l’Autriche, la Pologne et la Suède.
D’autres pays comme l’Italie et la Suisse veulent des consultations internes.
La Russie est, quant à elle, opposée au concept de «responsabilité partagée», que doivent subir les pays n’ayant aucun lien avec les causes migratoires.
«Ce sont les pays impliqués dans les ingérences de manière active qui doivent en porter la responsabilité la plus lourde», a déclaré l’ambassadeur de Russie au Maroc.