Par Mehdi Berbagui, avocat
La question est d’actualité et revient de manière très récurrente dans les discussions : quelle est la fiscalité applicable à un opérateur économique étranger qui n’a pas de présence « physique » en Algérie et qui fournit des services dans le cadre d’un contrat ou d’un ensemble de contrats au profit d’un client Algérien ?
Tout d’abord que signifie un établissement stable ?
A titre d’exemple, la convention fiscale franco-algérienne en date du 17 octobre 1999, également appelée dans le jargon convention « de non-double imposition », définit l’établissement stable par « une installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité » (article 5).
Ensuite, le même article donne des exemples d’installations (sièges de direction, succursales, bureaux, ateliers, magasins de vente, etc).
D’autre part, le code des impôts et taxes assimilées (C.I.D.T.A) parle d’entreprises étrangères « n’ayant pas d’installation professionnelle permanente » en Algérie (articles 161 à 165).
Force est de constater la divergence entre les définitions de l’établissement stable dans le Tout d’abord que signifie un établissement stable ?droit fiscal interne et le droit fiscal international Algériens.
En effet, la convention franco-algérienne considère l’établissement stable comme toute présence matérielle ou juridique dans l’autre État, et donne des exemples très larges, comme indiqué plus haut.
Or, ces définitions sont, de notre point de vue, trompeuses, car dans la définition générique et classique de l’établissement stable, il s’agit d’une présence non pas « fixe » ou « stable » mais au contraire temporaire, le temps de l’exécution d’un contrat de prestation de services, contrat qui est nécessairement assorti d’un terme *.
Malgré cela, la définition du code des impôts directs, même si elle demeure assez vague, car définissant le concept a contrario (entreprises n’ayant pas d’installation permanente), donc comprenez par cela (entreprises ayant une installation temporaire), la définition est, à notre avis, plus en phase avec l’esprit classique de la notion d’établissement stable. C’est d’ailleurs la même notion connue en droit fiscal Français.
L’entreprise étrangère qui conclut un contrat de prestation de services avec un client basé en Algérie suppose que le service soit fourni ou du moins utilisé en Algérie, ce qui satisfait à la condition de territorialité de la taxation Algérienne, un des principes de base du droit fiscal Algérien (articles 3 et 4 du CIDTA)*.
S’agissant du régime d’imposition, le code des impôts directs donne le choix à l’opérateur étranger : soit il opte pour le régime de la retenue à la source (i), régime de droit commun pour lui, ou bien il opte pour le régime d’imposition du réel, régime dérogatoire (ii).
Généralement en cas de silence de l’opérateur étranger ou si le contrat commercial n’aborde pas expressément l’aspect fiscal (ce qui est assez rare), c’est le régime de la retenue à la source qui est appliqué par l’administration fiscale, par défaut quelque sorte.
La retenue à la source est mal définie dans la pratique : on parle de retenue à la source à titre d’Impôt sur le Bénéfice des Sociétés (IBS) lorsque la société étrangère est une société de capitaux, et d’Impôt sur le Revenu Global (IRG) lorsqu’il s’agit d’une entreprise individuelle ou d’une société de personnes étrangères, et cela à mauvais titre.
En fait l’impôt se définit par lui-même comme une retenue à la source, donc d’un impôt hégémonique et global, incluant les taxes habituellement applicables à toute société de capitaux, à savoir l’IBS, la TAP et la TVA (récupérable ou non selon le cas). C’est un impôt sui generis unique et libératoire, qui n’a pas de parenté ou de lien juridique direct avec l’IBS ou quelque autre impôt.
Le taux de la retenue à la source est de 24% et son assiette est constituée par le montant brut du contrat, en dinars algériens, au taux officiel de change du jour de la conclusion du contrat.
Les textes font jouer un rôle de collecteur au client Algérien (article 149 / 2 et 3 du CIDTA), comme en matière de TVA, puisqu’il est censé retenir cet impôt libératoire sur les sommes qu’il verse à son prestataire étranger, et le reverser le 20 du mois suivant celui où intervient chaque paiement. L’entreprise clTout d’abord que signifie un établissement stable ?iente Algérienne est même considérée comme garante du paiement des impôts de son prestataire étranger en cas de défaillance de ce dernier…
Un certain nombre d’obligations comptables et fiscales sont prévues par la loi, à la charge de l’opérateur étranger, consistant en :
La remise de la copie du contrat commercial et de son avenant éventuel aux services fiscaux ;
La tenue d’un registre retraçant les opérations comptables accomplies au fur et à mesure (achats, recettes, salaires, commissions, etc) ;
La souscription d’une déclaration accompagnée d’un état des sommes versées au titre du contrat (locations, commissions, sous-traitance, etc) au plus tard le 30 avril de l’année suivante, enfin ;
L’obligation générale de retenir l’Impôt sur le Revenu Global (IRG) sur les salaires des employés susceptibles d’être recrutés par l’établissement stable pour l’exécution de sa mission contractuelle.
En effet la singularité de l’établissement stable est que, même si il n’a pas la personnalité juridique, il est en mesure de recruter du personnel algérien et d’avoir un compte bancaire CEDAC (devises convertibles) et/ou INR (compte en dinars non transférables).
La domiciliation du contrat auprès de l’administration fiscale ( la Direction des Grandes Entreprises en pratique), doit se faire dans le mois qui suit le jour de la conclusion du contrat, par la remise notamment d’une copie du contrat en main contre accusé de réception, puis la DGE procède à la création d’un dossier informatique avec un identifiant interne concernant cette entreprise.
Comme expliqué, il est également possible pour l’entreprise étrangère d’opter pour le régime d’imposition du réel, en manifestant sa volonté dans les 15 jours de la conclusion du contrat. Le délai de l’option est effectivement très court, d’où l’intérêt de consulter des professionnels avisés en amont.
Le régime fiscal du réel implique l’application soit d’un taux fixe de trois impôts cumulatifs (IBS, TAP et TVA) si l’opérateur étranger est une société de capitaux ou apparentée, ou bien le barème progressif de l’IRG s’il s’agit d’une entreprise individuelle ou une société de personnes, selon le résultat fiscal annuel de l’entreprise étrangère, c’est à dire après imputation des charges fiscalement déductibles (frais généraux de toute nature, amortissements, provisions et dépréciations sous certaines conditions). Dans le cas d’un établissement stable les charges seront surtout composées de frais généraux en réalité.
Il nous semble que l’option pour le régime du réel soit judicieuse si les montants prévus au contrat ne sont pas très importants et si les charges professionnelles sont élevées, afin de permettre de venir en soustraction du chiffre d’affaires dégagé et réaliser ainsi une économie d’impôt, ou, en termes plus à la mode, une « optimisation fiscale ».
Enfin, soulignons qu’il y a une exemption légale de ces différentes obligations susmentionnées si le personnel dépêché par l’entreprise étrangère ne séjourne pas plus de 183 jours sur une période continue de douze mois sur le territoire algérien.
Mehdi BERBAGUI
Avocat à la Cour d’Alger
http://www.taxandlaw-dz.com/
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