Impensables il y a quelques mois, le report du scrutin présidentiel d’avril 2019 et, de facto, la prolongation du mandat d’Abdelaziz Bouteflika semblent désormais envisagés au sein du pouvoir politique algérien.
Il y a encore quelques mois, la tenue du scrutin présidentiel en Algérie en avril 2019 ne faisait aucun doute. Son déroulé non plus, tant la candidature d’Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat apparaissait comme une évidence. Mais depuis quelques jours, à quatre mois de la date annoncée de l’élection, un autre scénario se dessine au sein de la classe politique algérienne : celui d’un report du scrutin et de la prolongation, de facto, du mandat du président algérien au pouvoir depuis bientôt 20 ans.
Retarder la présidentielle serait désormais favorablement envisagé jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir, selon la presse algérienne, même si aucune annonce officielle ne le confirme. Joint par France 24, Chérif Rezki, l’ancien directeur du journal d’opposition El Khabar, estime qu’il s’agit, à ce stade, de « ballons-sondes » lancés par le palais présidentiel pour jauger les réactions. « La loi prévoit un délai de trois mois pour convoquer le corps électoral par décret présidentiel, donc on sera fixés vers la mi-janvier », explique-t-il.
Si l’option d’un report du scrutin fait son chemin au sein même du palaisd’El Mouradia, c’est à cause de l’état de santé plus que jamais préoccupant d’Abdelaziz Bouteflika, âgé de 81 ans. En 2013, un accident vasculaire cérébral a sévèrement affecté sa mobilité et son élocution et ses apparitions ont été de plus en plus rares au fil de son quatrième mandat. Il y a dix jours, il n’a pas été en mesure de recevoir le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohamed Ben Salmane, à cause d’ »une grippe aiguë », selon un communiqué.
Début novembre, alors que l’hypothèse d’une candidature à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika tenait encore la corde, l’opposante Zoubida Assoul, présidente de l’Union pour le changement et le progrès (UCP) et porte-parole du mouvement citoyen Mouwatana, évoquait sans détour, sur France 24, la santé fragile du chef d’État : « Cela nous peine en tant que citoyens algériens de voir l’image de notre président dégradée à ce point. Il faudrait qu’il parte se reposer. Il est irresponsable de dire que le président Bouteflika est capable de mener encore un autre mandat… D’autant plus que son quatrième mandat a été un blocage total pour le pays ».
« Ce serait une atteinte à la Constitution »
Quand le pouvoir algérien a-t-il commencé à douter ? La mise à l’écart, le14 novembre dernier, de DjamelOuld Abbes, le secrétaire général du Front de libération nationale (FLN), le parti de Bouteflika, est sans doute un premier signe. Connu pour ses déclarations à l’emporte-pièce, il avait annoncé quelques jours plus tôt qu’Abdelaziz Bouteflika serait bien le candidat du FLN à la présidentielle d’avril 2019. Une candidature qui n’a jamais été confirmée.
Quinze jours plus tard, le débat était relancé par Abderrazak Makri, le président du Mouvement pour la société de la paix (MSP), d’obédience islamiste. Plaidant pour un consensus national pour une transition démocratique et des réformes, il proposait de reporter le vote « pour une période qui sera déterminée d’une manière consensuelle. Aller vers ces élections, c’est aller dans l’inconnu », déclarait-il, affirmant avoir été en contact avec des proches du pouvoir. Ce qui avait fait dire à certains observateurs que l’idée émanait du cercle même de Bouteflika.
Dans la foulée de ces déclarations, une autre personnalité politique, Amar Ghoul, président du TAJ (Rassemblement pour l’espoir de l’Algérie), parti pro-pouvoir, formulait une proposition dans la même veine : la tenue d’une « conférence nationale » sous l’égide du président algérien « pour la mise sur pied d’une Algérie nouvelle, dotée d’institutions fortes et modernes ».
Toutefois, comme le relève le site d’informations TSA, un éventuel report de la présidentielle nécessiterait « un amendement constitutionnel devant passer par le Parlement réuni en congrès ».
Au-delà de cet obstacle, certains estiment que modifier la date du scrutin n’a tout simplement pas lieu d’être. « Pour reporter une élection, il faut des raisons valables et il n’y en a aucune. Ce serait une atteinte à la Constitution », estime Chérif Rezki. « La présidentielle de 1999 avait été maintenue alors qu’il y avait des attentats », insiste encore l’ancien directeur du journal El Khabar.