Le pétrole, variable de désajustement durable de l’économie algérienne

Le prix du pétrole a continué sa baisse rapide la fin de la semaine dernière sur les deux marchés, américain et européen. Le prix du Brent du spot européen – auquel se réfère le pétrole algérien – est passé vendredi dernier sous la barrière symbolique des 60 dollars le baril, alors qu’il avait atteint un pic à 85 dollars le 3 octobre dernier, laissant entrevoir la fin du contre-choc des cours entamé en juin 2014. Le plancher psychologique des 50 dollars le baril risque d’être crevé dans les prochains jours sur le marché américain ou le WTI a clôturé à peine à plus de 52 dollars en fin de semaine dernière.

Ce scénario de retournement à la baisse était contenu en filigrane après la 10e réunion ministérielle d’Alger OPEP-non OPEP du 23 septembre dernier, tant les producteurs avaient choisi de ne pas anticiper une bulle montante de l’offre dans le courant de 2018, que seules les sanctions annoncées contre l’Iran avaient masqué l’effet sur les cours.

Les anticipations de marché sur le retrait d’une partie importante de l’offre du pétrole iranien avaient permis aux cours de rester relativement soutenus tout au long de l’été dernier avant que le maintien de façade de l’accord de limitation de production d’Alger ne leur donne un coup de fouet supplémentaire pendant quelques semaines. Ces effets se sont dissipés lorsque la réalité des stocks américains de brut est redevenue depuis l’entrée en vigueur des sanctions contre l’Iran le premier référent des fixing à New York et à Rotterdam.

Les dérogations accordées aux exportations de l’Iran avaient entre-temps désamorcé la tension sur le risque de sous-approvisionnement du marché. Le fait est donc là. Un plafond de verre empêche le pétrole de retrouver ses cours d’avant juin 2014. Alger n’était pas préparée à un tel retour d’effet. Les autorités algériennes ne travaillent sur aucune prospective des revenus extérieurs de leur pays à dix ans.

Elles ne s’intéressent pas à comment marche le monde et comment les stratégies des acteurs vont influer sur la création et le partage de la richesse dans le monde. Conséquence, la chute du prix du pétrole ces deux dernières semaines est en train de provoquer le même effet en creux que celui de leur hausse il y a deux mois après la 10eréunion de OPEP-non OPEP d’Alger ; euphorie lorsque les prix sont montés, panique depuis que la baisse s’accélère.

L’horizon indépassable de la conjoncture économique est là. Pourtant, il existe un vrai intérêt à admettre que la marge de manœuvre de l’OPEP et des producteurs de pétrole plus généralement dans la régulation des cours du brut poursuit son déclin historique. Et que donc il n’est pas très sage de penser que les réunions d’Alger – celle de 2016 a relancé spectaculairement les cours – sont l’outil exclusif sur lequel il faudra se reposer pour évaluer la courbe de revenus en devises du pays.

L’administration Trump est un nouvel acteur pesant sur les revenus extérieurs de l’Algérie de court terme. Les Etats-Unis ont déjà chamboulé le marché pétrolier à partir de 2008 avec la montée de la production des huiles non conventionnelles liées à l’exploitation expansive du gaz de schiste sur le territoire américain. Aujourd’hui, Donald Trump conduit une politique de reconstruction d’avantages comparatifs pour l’industrie américaine qui intègre un encadrement des coûts énergétiques carbonés.

C’est le sens de son interventionnisme outrageant pour maintenir le prix du pétrole dans une fourchette optimale entre intérêts des producteurs américains et seuil d’inflation domestique. Illustration détonante de ce volontarisme, ses tweets pour demander au roi d’Arabie Saoudite de faire baisser les cours du brut devenus selon lui trop élevés. Puis pour le remercier de l’avoir fait.

Il faut comprendre de cette séquence que pour les deux prochaines années ou cette administrations sera en place, il sera difficile pour les plans du gouvernement algérien «d’espérer» une nouvelle envolée des cours au-delà des 80 dollars, sauf dans le cas d’un scénario de conflit majeur dans le détroit d’Ormuz par lequel transite le tiers du commerce mondial de pétrole. Le marché pétrolier regarde les politiques souveraines et les anticipe. Il a admis que Trump irait au bout de son idée de rétablir des sanctions sur l’Iran après sa dénonciation de l’accord sur le nucléaire avec ce pays.

Et Trump a été jusqu’au bout, ou presque. Il l’a vu mettre la pression sur une monarchie saoudienne en grande difficulté au Yémen, et sentant carrément le soufre depuis l’assassinat de Jamal Khasoggi. Et le robinet saoudien de brut s’est rouvert en douceur depuis la fin de l’été. Les pays producteurs peuvent toujours reprendre la main dans les prochaines semaines en reprenant une politique de limitation effective de la production. Même l’Arabie Saoudite, qui fait toujours face à un déficit budgétaire astronomique, y a intérêt.

Cela n’enlève rien à cette nouvelle donne qui veut que les pays producteurs doivent traiter directement avec l’agenda de l’administration Trump pour situer le plafond de prix – et donc de revenus – qu’ils peuvent espérer atteindre sur les 24 prochains mois. Lorsque la main est autant perdue sur le cours terme, il est un peu plus urgent de se concentrer sur le temps long de la prospective. Celui de la transition énergétique et des effets volumes sur le modèle énergétique algérien. Et là aussi, il convient de mieux suivre où va le monde.

La politique de réindustrialisation de l’Amérique passe également par le déploiement de mesures protectionnistes sans précédent. Si aucun progrès n’intervient dans les prochains jours dans les négociations avec Pékin, les Etats-Unis mettront en place le 1erjanvier prochain des taxes sur une liste d’importations provenant de Chine dont le solde annuel est de 200 milliards de dollars. Qui paye les surcoûts tarifaires imposés par Trump à la Chine ?

Une étude publiée la semaine dernière soutient que l’essentiel des premières mesures protectionnistes déjà engagées par Washington contre les produits chinois sur son marché ont été supportées «principalement» par les exportateurs chinois obligés de rogner sur leurs marges.

Est-ce que ce sera encore le cas pour les prochaines taxes prévues pour 2019 ? Les consommateurs américains pourraient bien finir par perdre une partie de leur confort d’achat des produits chinois bon marché surtaxés, estime la même étude. La riposte chinoise se prépare. L’avenir de moyen terme est une guerre commerciale en gestation. Quelle incidence sur le marché pétrolier ? Prospective, prospective !

EL KADI IHSANE, 26 NOVEMBRE 2018

 

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