Le monarque marocain change ses habitudes pour donner l’impression d’être revenu pour prendre les rênes d’un pays où grandissent le mécontentement social et les actes de protestation
Les bateaux encombrés de Marocains en partance constante vers l’Espagne; la révolte du Rif a été écrasée, mais les manifestations sont endémiques dans une bonne partie du pays; La croissance économique du Maroc (2,8%) traîne par rapport aux besoins d’un pays en développement, l’image du monarque s’est fissurée non seulement dans les réseaux sociaux, où il est critiqué à la tâche, mais dans la même rue où les manifestants ont osé, quelques fois, protester devant l’entourage royal.
C’est ce qu’il y a peut-être de pire aux yeux du palais royal. Même un éditorialiste résident au Maroc, Reda Zaireg, a osé écrire le 13 octobre dans le journal numérique Yabiladi: « (…) La critique du roi suit des voies plus directes et acquiert des proportions sans précédent. » « L’évolution la plus frappante est la suivante: la monarchie ne semble plus être imprenable », a-t-il souligné.
Le roi Mohamed VI semble avoir pris note de la déterioration de son image et du fait que quelques indicateurs sont en rouge. Il a changé d’habitude depuis qu’il est rentré le 15 septembre de son dernier long voyage à l’étranger, aux Seychelles et aux Émirats arabes unis. Premièrement, à l’exception d’une très courte excursion à Paris, cela fait presque un mois et demi qu’il ne voyage pas en dehors du pays. La classe politique a spéculé avec discrétion qu’après avoir inauguré, le 11 octobre, l’année législative avec un discours au Parlement, il allait repartir. Il y avait des précédents. En 2017, il a passé près de la moitié du temps hors du pays et dans les premiers mois de cette année, il semblait qu’il allait battre ce record.
Ça n’a pas été comme ça. Non seulement le roi est resté au Maroc, mais il a un agenda assez intense avec lequel il essaie de montrer qu’il a repris les commandes. Sans passer par le Premier ministre, l’islamiste modéré Said el Othmani, le souverain Alaoui a convoqué jeudi à Marrakech deux ministres, le ministre de l’Agriculture, Aziz Akhnouch, et Moulay Hafid Elalamy, à qui il a donné des instructions. Jusqu’à présent, le seul interlocuteur dans le palais d’une bonne partie des membres du gouvernement était le principal conseiller royal, Fouad Ali el Himma. Il a également reçu le président du groupe Renault, Carlos Ghosn, qui lui a annoncé une bonne nouvelle: il augmentera sa production d’automobiles pour atteindre un demi-million en 2022. En Espagne, le groupe a fabriqué 546000 véhicules l’année dernière.
Pour ceux auxquels Mohammed VI n’a pas encore trouvé une place dans son agenda ce sont les rois d’Espagne, dont la visite d’Etat a été reportée sine die en janvier, et pour le président Pedro Sanchez, qui a demandé une audience en juin dès qu’il a été investi au moment où la migration irrégulière montait en pic. Ce n’est pas un camouflet pour l’Espagne. La chancelière allemande, Angela Merkel, a voulu faire une visite double au Maroc et en l’Algérie en septembre. A Alger on lui a donné un rendez-vous, mais pas à Rabat.
Plus les inaugurations augmentent, mieux c’est
Au chapitre des audiences royales s’ajoute celui des inaugurations. Elles permettent de montrer un roi près de son peuple et de bénéficier d’une couverture télévisée plus importante. Il n’y a pas toujours de grandes chantiers à inaugurer à l’instar du train à grande vitesse marocain, qui reliera Tanger à Casablanca, à bord duquel le roi montera bientôt aux côtés du président français Emmanuel Macron. La France a financé le projet ferroviaire et l’a réalisé.
Le palais royal demande aux gouverneurs de lui soumettre des listes de tout ce qui est susceptible d’être inauguré et le souverain finit parfois par couper le ruban de chantiers modestes pour un chef d’État et même des chantiers inachevés. En Europe, ce serait plutôt un conseiller ou tout au plus un maire qui couperait le ruban. Mohamed VI a par exemple inauguré la semaine dernière la piscine semi-olympique Sidi Youssef à Marrakech et a été photographié entouré d’enfants pratiquant la natation. Il y a exactement dix ans, il a fait de même avec une simple piscine municipale, celle du parc Lalla Aicha de Oujda. « C’est une nouvelle illustration du soin que le souverain manifeste constamment envers le sport et la jeunesse », écrivait à l’époque et à nouveau la presse officialiste marocaine.
Aux réseaux sociaux on ne voit plus de nouvelles photos de Mohamed VI avec des artistes ou avec Abu Azaitar, le boxeur allemand d’origine rifaine avec lequel il a passé une partie de l’été à Tanger, dans les Émirats ou à bord du yacht de l’émir du Qatar. La seule photo téléchargée en octobre sur Instagram était celle du roi avec sa fille, la princesse Lalla Khadija, âgée de 11 ans. C’est Mehdi Benkirane, fondateur de l’Association des amis du roi, qui l’a mise en circulation avec très probablement le feu vert du palais. Lalla Khadija a réapparu avec son frère, le prince héritier Moulay Hassan, le 18 octobre, lors d’une cérémonie à Rabat consacrée à la réforme de l’éducation. Sa mère, cependant, Lalla Salma n’a plus été vue en public depuis décembre, trois mois avant que le magazine « Hola » n’annonce son divorce de Mohamed VI.
La réapparition du monarque pendant plusieurs semaines consécutives est source de paix pour les élites et même pour la classe politique marocaine. Pour eux, sa présence est un gage de stabilité. Certains expriment publiquement leur soulagement via des réseaux sociaux et envoient également des messages privés. « Nous espérons que vous passerez un bon moment avec nous », pourrait-on lire dans certains des envois qui sont parvenus à ce journaliste.
Ignacio Cembrero
Source : El Confidencial (traduction non officielle de Maghreb Online)
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