Le document apporté aujourd’hui par Coleman est un compte-rendu de l’ambassadeur du Maroc à l’ONU, Omar Hilale, et l’Envoyé Personnel de l’ONU pour le Sahara Occidental, Christopher Ross. Un entretien jugé par le diplomate comme marocain comme « tendu ».
Les autorités marocaines ont la corde au cou. On y voit comment le Maroc cherche désespérément à empêcher que la MINURSO se charge de la surveillance des droits de l’homme au Sahara Occidental et aux camps des réfugiés sahraouis.
L’autre point qui agace le Maroc est le fait que le Secrétaire Général Ban Ki-moon ait rappelé dans un de ses derniers rapports que le Sahara Occidental est un territoire non-autonome. Cela rappelle aux marocains qu’aucun pays ne leur reconnaît un titre de propriété sur ce territoire riche en ressources naturelles.
Et enfin, le compte-rendu reflète les craintes de Rabat sur un éventuel passage du Chapitre VI au Chapitre VII dans le traitement de la question du Sahara Occidental, ce qui briserait à jamais le statu quo dont s’accommodait le Maroc afin de poursuivre la répression et la spoliation des richesses sahraouies.
Objet : Entretien avec M. Christopher Ross.
J’ai l’honneur de vous informer que j’ai eu, ce midi, un déjeuner de travail, à sa demande, avec M. Christopher Ross, Envoyé Personnel du Secrétaire Général pour la question du Sahara. L’entretien a porté sur les points suivants:
I: Visite au Maroc:
* Ross estime que les situations dans les camps de Tindouf et dans la région sahélo-saharienne sont très dangeureuses et risquent de converger, avec des conséquences graves.
* II souhaite une reprise rapide, sinon préliminaire du processus de négociations.
* Son ambition est de visiter soit le Maroc uniquement, soit toute la région, avant le début du débat général de la 69éme session de l’Assemblée Générale, ou juste après sa clôture, au mois d’Octobre.
* II a décliné ses objectifs pour ses prochaines visites comme suit:
• Œuvrer à rassurer le Maroc pour ce qui est du contenu du questionnaire.
• Solliciter de chacune des parties, à formuler des messages à le ou les autres parties, sur leurs souhaits.
• II est disposé à retenir toute proposition du Maroc, d’inclure des points à débattre lors de cette visite.
– Je lui ai immédiatement répondu que la question de la reprise du processus est, désormais, entre les mains du Secrétaire Général qui a proposé trois options au Maroc pour régler les problèmes qui ont provoqué le blocage actuel. Par conséquent, toute décision sur sa prochaine visite est tributaire des résultats des discussions proposées par le Secrétaire Général.
II: Briefing d’Octobre:
* II a fait part de son vœu d’éviter, lors de ce briefïng, d’expliquer ce qu’il a pu, ou non pu, faire depuis Avril dernier. Ajoutant qu’il ne souhaite pas dévoiler qu’il n’a pas pu se rendre dans la région à cause de l’absence de réponse d’une partie.
– Je lui ai répondu que: • Sa réponse n’est pas juste car il doit expliquer pourquoi cette partie n’a pas répondu à sa demande de visite. Il doit ajouter que cette visite n’a pas eu lieu du fait des dérapages du dernier rapport et de l’absence de réponse du facilitateur au questionnaire du Maroc.
• Son briefing devrait être bref, factuel et juste.
• II doit préciser que, animé de bonne volonté, le Maroc a dépêché une délégation de Haut niveau à New York pour préparer minutieusement avec M. Ross, son déplacement à Rabat.
* II a réagi à ma mise au point en précisant qu’il adhère à ma requête de brièveté du briefing et qu’il va dire qu’il a eu des réunions (pensant déjà que son déplacement dans la région est garanti) et qu’il est top tôt pour tirer des conclusions.
* II pense que « le polisario » veut qu’il y ait une annonce bouleversante lors de ce briefing. Mais ce n’est pas son intention. ni:
Blocage du processus: * M. Ross a déclaré que l’absence de résultats des négociations, huit ans après sa prise de fonctions, provoque chez lui une souffrance intellectuelle. Et que le blocage actuel le gène énormément en tant que facilitateur.
– Je lui ai répondu que le Maroc n’assume aucune responsabilité dans ce blocage. Bien au contraire, c’est lui et le Secrétariat qui l’ont provoqué avec ce rapport désastreux.
* II s’est trahi en reconnaissant que les responsables du Secrétariat ont pensé qu’il était temps de faire pression sur le Maroc pour faire avancer le processus.
– Ma réponse était frontale: tous les hauts responsables du Secrétariat ont admis qu’ils n’avaient pas lu le rapport avant sa publication et ceux qui veulent faire pression sur le Maroc étaient lui, son entourage et des petits fonctionnaires du DPA et du DPKO. Par conséquent, il est la première victime de ce rapport, car il s’est tiré une balle dans le pied. Ce qu’il a concédé.
IV: Questionnaire:
* II m’a confié qu’il souhaite, désormais, travailler dans la transparence et l’absence de surprises, et éviter le précédent d’Avril dernier.
* II ne pourrait pas répondre au questionnaire en ra
ison de la nature délicate et sensible des questions, qui touchent au rôle de l’ONU, à son mandat de facilitateur et au résultat final de la négociation.
ison de la nature délicate et sensible des questions, qui touchent au rôle de l’ONU, à son mandat de facilitateur et au résultat final de la négociation.
* Le questionnaire a fait l’objet de plusieurs réunions des hauts responsables du Secrétariat, car c’est la première fois qu’un pays adresse un tel document à un représentant du Secrétaire Général.
* II a essayé de donner des réponses en vrac au contenu du questionnaire, et ce comme suit:
A. Le mandat de facilitateur: II a convenu qu’il est facilitateur et non médiateur, et ce après avoir entendu mon interprétation des deux rôles.
B. Chapitre VI ou VII: il a souligné que son mandat est sous le Chapitre VI de la Charte. Comme par le passé, il a nié avoir la moindre intention de demander le passage au Chapitre VIL
C. Le changement des paramètres de la négociation: cela ne relève pas de ses attributions, mais de celles du Conseil de Sécurité, avec bien sûr, concède-t-il, l’accord préalable du Maroc.
D. « Statut de territoire non-autonome »: il a exprimé le fond de sa pensée, en déclarant qu’il a toujours eu un problème avec la référence à la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Ajoutant qu’il est un représentant onusien.
* Je lui ai répondu que le Maroc ne lui a jamais demandé de clamer que le Sahara est marocain. Le mandat qui lui est octroyé par le Conseil de Sécurité n’a aucune relation avec un quelconque statut de « territoire non autonome ». Rappelant qu’aucun rapport du Secrétaire Général, depuis 23 ans, n’a fait une telle mention.
* II est revenu à la charge en précisant que l’Assemblée Générale considère le Sahara en tant que « territoire non-autonome ».
– J’ai tenu à lui rappeler que son mandat émane du Conseil de Sécurité et non de l’Assemblée Générale.
E. Implication de l’Algérie: Pour M. Ross, l’Algérie n’est pas un partenaire de la négociation. Le Maroc se trompe. Comme d’habitude, il conseille au Maroc d’être plus discret s’il souhaite une implication de l’Algéri. –
– Je lui ai répondu que pour le Maroc, l’Algérie reste le responsable premier du différend sur le Sahara et que personne n’a le droit de lui donner un récépissé de dédouanement, et encore moins lui.
F. Rôle de l’Union Africaine: II a indiqué que le dossier relève du Conseil de Sécurité. Il a été précisé à l’Union Africaine qu’elle ne peut pas y interférer, mais qu’elle sera tenue informée.
G. La transparence du processus de négociations: il prétend n’avoir jamais tenu de double langage aux parties et qu’il leur a toujours rappelé deux principes cardinaux: un accord mutuellement acceptable et « l’autodétermination du peuple sahraoui », sans en préciser le modus operandi.
– Je lui ai répondu que le Maroc détient les preuves que le langage qu’il tient à Rabat est totalement opposé à celui qu’il tient à Alger ou à Tindouf. Il n’a pas réagi à cette affirmation.
H. Rapport d’Avril 2015: II a fait part de sa disposition à préparer, ensemble, le rapport d’Avril prochain, si, toutefois, le Secrétariat le permettra. Il s’est demandé si le contenu du rapport ne pouvait pas être limité aux activités de la MINURSO, car cela correspondra au renouvellement de son mandat. II se limitera à faire un briefing oral sur le volet politique.
V: Problèmes avec la MINURSO:
A. Droits de l’Homme:
* II estime que le Maroc se trompe en empêchant la MINURSO de s’occuper de la question des droits de l’Homme, car d’après les récentes résolutions du Conseil de Sécurité, elle doit entreprendre des contacts avec tous ses interlocuteurs. En même temps, le Représentant spécial à deux casquettes, celle de Chef de la MINURSO, et celle de représentant du Secrétaire Général. Par conséquent, il est habilité à se pencher sur les droits de l’Homme, dont le Secrétaire Général fait une priorité dans le cadre de son initiative Rights Up Front/priorité aux droits de l’Homme.
– Je lui ai répondu que: • le mandat de Chef de la MINURSO et de Représentant spécial est un et uni. C’est la première fois que le Maroc entend ce distinguo, qu’il rejette catégoriquement.
• L’initiative Rights Up Front du Secrétaire Général a été élaborée à des fins politiques et même le HCDH n’en maîtrise pas tous les contours.
• Aucun des précédents Représentants spéciaux ne s’est occupé de la question des droits de l’Homme. Le Maroc s’opposera avec fermeté à tout élargissement de facto, de son mandat.
• Le Sahara ne vit pas une situation de violations massives et systématiques des droits de l’Homme. Les sympathisants du « polisario » s’expriment, circulent et se réunissent librement. Le Sahara accueille régulièrement les procédures spéciales du Conseil des droits de l’Homme, sans aucune réclamation de leur part sur une quelconque limitation de leurs mouvements ou de leurs contacts.
B. Traitement égal du Maroc avec le « polisario »:
* II a reconnu que le « polisario » a fait des pressions pour qu’il n’y ait plus de tampons des titres de voyage du personnel onusien à Laayoune, au risque de l’imposer à « l’Est du mur ».
* II a été fermement recommandé au « polisario » de ne pas commettre cette erreur. L’idée du Secrétariat de passer au Sahara via des aéroports du nord du Maroc, reste, à sa connaissance, au stade de simple proposition.
– Je lui ai répondu que le Maroc n’acceptera jamais un traitement égal qui vient violer 23 ans de principes et de pratiques de la MINURSO. Tout changement est une ligne rouge pour le Maroc. La MINURSO en assumera les conséquences. Elle risque de se retrouver de l’autre côté du mur, avec le « polisario » qu’elle a tendance à satisfaire..
Conclusions:
* L’entretien s’est déroulé dans une ambi
ance tendue. L’argumentaire de part et d’autre était frontal et les réponses, sans concessions.
ance tendue. L’argumentaire de part et d’autre était frontal et les réponses, sans concessions.
* M. Ross veut désespérément se rendre dans la région. Comme par le passé, il cherche ses objectifs chez les parties. Il n’a aucune feuille de route pour la reprise des négociations, sinon celle de se déplacer dans la région.
* II reste attaché mordicus à ses convictions (souveraineté du Maroc/territoire non-autonome et rôle de l’Algérie).
* II s’est trahi à plusieurs reprises dans nos échanges en ce qui concerne la paternité du rapport, son orientation anti-marocaine, et l’allusion, pour la première fois, à certaines questions hautement sensibles.
* II a été très fragilisé par le rapport. Il a confié que le Secrétariat cherche toujours à déterminer les responsabilités dans ce dérapage. Cette fragilité s’est accentuée par la prise en main du dossier par le Secrétaire Général et ses trois options de sortie de crise.
* II a essayé, maladroitement, de m’amadouer en déclarant que son option préférée est celle de l’entretien du Secrétaire Général avec moi-même. Avant de se trahir et déclarer que l’option du voyage de M. Feltman au Maroc serait plus appropriée. Ce qui dénote sa crainte d’une rencontre entre Sa Majesté Le Roi et M. Ban Ki-Moon.
Haute considération
L’Ambassadeur, REprésentant Permanent
Omar Hilale
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