Les pays du Maghreb ont désespérément besoin d’idées neuves pour combler les lacunes et les défaillances constatées dans leurs systèmes politiques et économiques. D’où la nécessité de créer des think-tanks -ces institutions d’experts destinées à faire des études et des propositions dans le domaine des politiques publiques- qui soient porteurs d’idées nouvelles, aptes à apporter des changements.
C’est l’idée qui ressort du débat animé hier à l’Ecole supérieure algérienne des affaires, autour du «rôle et de la place d’un think-tank dans les pays du Maghreb», à l’initiative du Cercle d’action et de réflexion autour de l’entreprise (Care) en partenariat avec le journal des finances hebdomadaire Les Afriques et la fondation Friedrich Naumann.
Les intervenants affirment que des tentatives de think-tank existent en Méditerranée mais qu’en réalité, elles ne jouent pas vraiment leurs rôles. «Des organisations se créent au Maghreb en prétendant être des think-tanks et en même temps, rejettent l’idée de se mêler des affaires de l’Etat. Or, la mission d’un think-tank est justement d’aider les décideurs politiques à améliorer leurs systèmes, à organiser la pensée politique. D’autant plus que nous vivons dans une période où la démocratie traditionnelle et les partis politiques s’essoufflent, n’étant plus représentatifs», affirme la politologue Khadidja Mohsen Finan. Celle-ci précise qu’au Maghreb, les Etats n’ont pas su capitaliser leurs élites qui sont, pour la plupart, parties ailleurs.
Dans le même contexte, un universitaire d’Alger fera remarquer qu’il sera très difficile de créer des think-tanks au Nord de l’Afrique alors que nos universités ne sont plus, depuis fort longtemps, productrices d’idées. Tout en reconnaissant que ce facteur est un handicap sérieux pour l’émergence des think-tanks, non seulement au Maghreb mais dans le monde, Mme Mohsen Finan expose un autre obstacle, à savoir le refus des pouvoirs d’être à l’écoute de ces clubs de réflexion. LA MAUVAISE INFLUENCE FRANÇAISE
«Le Maghreb a hérité du système français. Or, ce dernier ne fait pas confiance à la société civile, ne l’écoute donc pas. Il ne donne pas non plus les moyens pour les pensées indépendantes. Vendre ses idées est très mal vu en France et par conséquence, au Maghreb», explique-t-elle. Cela dit, les think-tanks conçus dans les normes peuvent être écoutés d’une façon indirecte. Toutefois, leur influence est très difficile à être mesurée. «Nous n’avons pas d’instruments pour mesurer l’impact d’une idée nouvelle ni être sûrs qu’elle provienne vraiment d’un think-tank car généralement, les décideurs ne dévoilent pas la source de leur innovation politique», précise-t-elle.
Pour répondre aux normes, les acteurs de think-tanks ne doivent pas être décideurs, opposants ou financiers mais doivent évoluer dans la sphère politique tout en effectuant régulièrement des recherches appliquées dans la société civile. «Ils doivent observer une distance envers les décideurs sans pour autant être neutres. Ils doivent s’impliquer pour provoquer un débat et faire en sorte que ce débat soit pris en compte, en proposant non des conseils mais des recommandations et ce, par le bais de formules lapidaires», précise-t-elle en soulignant qu’il est fort possible qu’un think-tank soit tout de même d’accord avec le pouvoir en place, par coïncidence. Mais pas dans tous les cas. «Il faut être très vigilant. Un think-tank peut être perverti. Le pouvoir peut l’exploiter pour manipuler l’opinion publique. Dans ce cas-là, il n’y a pas meilleur médiateur que l’opinion publique elle-même», conclut-elle.