Rif : Les barons de la drogue ne veulent pas d’une économie alternative et légale

Hocine Smaali
Rachid RAHA est président de l’Assemblée Mondiale Amazigh (AMA), basée à Bruxelles, membre fondateur et ex-président du Congrès Mondial Amazigh, président de la Fondation « MONTGOMERY HART » des Etudes Amazighs de Melilla et également co-gérant des éditions Amazigh qui édite le journal « Le Monde Amazigh ». Dans l’entretien qui suit, il nous livre son analyse de la situation prévalant dans le Rif Marocain, les préoccupations de cette région frondeuse et les solutions de sortie de cette crise qui hante le royaume chérifien.
Comment évaluez-vous la situation actuellement à El Hoceima, en particulier et dans le Rif marocain en général ?
La situation est vraiment préoccupante et dangereuse du fait que les autorités marocaines ont opté pour une stratégie sécuritaire et ils ont répondu de manière répressive, en détenant, en torturant et en mettant en prison les leaders de la contestation rifaine et à leur tête Nacer Zefzafi. Ce n’est pas par des mesures répressives qu’on pourrait répondre aux revendications socioéconomiques légitimes des populations civiles qui ne cessent de se manifester pacifiquement depuis l’injuste assassinat du vendeur de poissons Mohcine Fikri le 28 octobre dernier, jeté dans un camion d’ordures. L’élan de solidarité des Rifains avec leurs frères et sœurs d’Al Hoceima est extraordinaire, ce qui a touché presque toutes les grandes et petites villes du Rif amazighophone. Cet élan de solidarité, on ne l’avait pas vu depuis le tragique séisme d’Al Hoceima qui a eu lieu le 24 février 2004.
Selon vous, que se passe-t-il réellement ?
En réalité, ces manifestations de masse qui mobilisent toute la jeunesse amazighe rifaine y compris celle résidente dans les différents pays européens, expriment le ras-le-bol de profonds problèmes de développement régional qui se sont accumulés et que les autorités et les pouvoirs publics, au lieu de les régler pour sortir cette région septentrionale de l’enclavement, ils les ont aggravés du fait de la corruption généralisée. Une corruption qui se manifeste par la falsification des différentes élections locales, législatives et régionales en faveur d’un parti administratif, en l’occurrence le PAM, qu’un des conseillers du roi voudrait imposer à la volonté populaire, avec la complicité d’un personnage rifain, connu pour ses liaisons étroites avec les barons de trafic de drogue, que l’ancien président du gouvernement, Abdelillah Benkirane, Hamid Chabat, secrétaire général du Parti de l’Istiqlal et l’ancien porte-parole du palais, Hassan Aourid, avaient publiquement dénoncé ces dites liaisons. Ces barons de drogue ne veulent pas qu’il y ait une économie alternative et légale dans la région qui pourraient nuire leurs mesquins et individualistes intérêts. Et à travers cet artificiel parti qui tombe de la capitale, ils ont imposé à l’encontre de la volonté de toutes les formations politiques présentes dans la région et des acteurs de la société civile, un découpage régional de cette région historique du Rif en la découpant en trois morceaux : la province d’Al Hoceima rattachée à la région de Tanger-Tetouan, la province de Nador à celle de la région de l’est et la confédération des Gueznaya à celle de Fès-Meknès, dans le but manifeste de porter atteinte à l’identité amazighe de la région, de diviser encore plus les tribus amazighes et de renforcer l’arabisation …A l image des procédures de la mafia napolitaine, les partisans du PAM ont utilisé l’argent illicite, des menaces de diligenter des dossiers juridiques artificiels, du chantage et des extorsions afin d’obliger les gens à voter en leur faveur et les agents du Makhzen, les aidaient ouvertement en falsifiant toutes les échéances électorales, à tel point que toutes les représentations institutionnelles, d’une simple commune rurale jusqu’à la présidence de la région, en passant par les mairies des petites et grandes villes ainsi que les conseils provinciaux se trouvent aux mains de leurs élus. Lorsque la jeunesse de « Harrak du Rif » commence à protester contre le manque d’infrastructures, les malversations, contre les projets inachevés, contre le manque d’hôpitaux spécialisés, de centres universitaires… et contre un taux de chômage des jeunes exagéré, ces soi-disant élus étaient incapables de répondre à ces revendications. De même, les responsables gouvernementaux dont ceux du ministère de l’Intérieur n’ont pas trouvé d’interlocuteurs viables pour entamer un dialogue avec les protestataires des masses populaires et l’Etat. Et comme une fuite en avant, on nous ressort de nouveau l’absurde accusation de traiter les Rifains de séparatistes, comme cela s’est produit en quelque sorte avec les Mozabites chez vous !
Que pensez-vous de l’arrestation de Nasser Zafzafi?
Nasser Zafzafi, un jeune rifain sans emploi, est devenu un leader incontestable parce qu’il a su parler directement aux masses et transmettre sur la scène publique et à travers les réseaux sociaux, leurs préoccupations, leurs critiques et leurs revendications, chose que les partis politiques marocains, s’inspirant encore de l’idéologie obsolète de ‘nationalisme arabe’, n’arrivent plus à faire. Et le secret réside dans le fait d’utiliser la langue de terroir, la langue amazighe et parfois la darija… Alors son arrestation est truffée d’irrégularités et d’illégalité, incompréhensible après la manifestation historique de 18 mai et surtout après que le gouvernement marocain reconnaisse son tort de traiter les citoyennes et citoyens rifains de séparatistes. Ladite arrestation musclée après l’incident de la prière de vendredi 26 mai où le ministère des Affaires religieuses a jeté de l’huile sur le feu en attaquant un mouvement populaire pacifiste et responsable, n’a fait que tache d’huile, encourageant les citoyens marocains à se manifester un peu partout, comme à l’époque du printemps démocratique des peuples du 20 Février.
Après cette arrestation, le mouvement va-t-il s’essouffler?
Tout à fait au contraire, le mouvement s’est amplifié d’une façon extraordinaire et touche presque tous les villages et villes rifaines et toutes les régions du Maroc. Il est devenu l’actualité vivante de ce mois de Ramadhan, suivie par toutes les chaînes internationales…
Que préconise le Congrès Mondial Amazigh pour le règlement de cette crise?
Comme vous devriez le savoir, on a changé le nom de Congrès Mondial Amazigh, en respectant fidèlement sa dénomination originelle et en amazigh qui est «Agraw Amadlan Amazigh». Désormais, depuis son congrès général de Bruxelles en 2011, on le nomme Assemblée Mondiale Amazighe (AMA) et qui n’a rien à voir ave
c certaines personnes qui malheureusement usurpent encore l’ancienne appellation et qui sont à la solde manifeste des services marocains… L’Assemblée Mondiale Amazighe, légitime et autonome, a protesté énergiquement contre l’approche sécuritaire que l’Etat marocain a adoptée, en procédant à l’arrestation illégale de plusieurs activistes de la contestation publique, comme s’il s’agit de terroristes ou de séparatistes. L’AMA endosse aux autorités marocaines la responsabilité entière quant à toutes évolutions potentielles qui surviendraient dans la région en raison de son approche sécuritaire excessive contre des jeunes et à leur tête Nasser Zefzafi, qui n’ont fait que réclamer des revendications légitimes du peuple, des revendications fondées sur les pactes internationaux des Droits de l’Homme et des Peuples. Dans un communiqué récent, la responsable de l’AMA au Maroc, Mme. Amina Ibnou-Cheikh, a appelé ouvertement, du fait de l’impuissance de nouveau gouvernement à régler ce problème, avant qu’il dégénère en une rupture entre le peuple et les institutions, à la constitution d’une commission royale composée de personnalités nationales neutres, non partisanes et propres qui gérera le dialogue et servira d’intermédiaire entre l’Etat et les contestataires, en exigeant, avant tout type de dialogue, leur libération immédiate et l’arrêt de toute poursuite judiciaire.
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
Oui. Pour moi et pour tous les membres de notre ONG, l’AMA, la meilleure solution de sortir de l’impasse et pour que des événements comme ceux-ci ne se répètent, et si vraiment l’Etat marocain voudrait se réconcilier avec la région rebelle du Rif, c’est de la doter d’un statut d’autonomie politique, comme il est stipulé dans l’article 3 de la « Déclaration des Nations Unies sur les Droits des Peuples Autochtones », sans porter atteinte aux frontières nationales, en respectant l’article 46 de ladite déclaration. L’Etat marocain a initié l’application du projet de régionalisation élargie et a organisé des élections en septembre 2015 pour désigner les présidents de région. Ce projet de régionalisation a été conçu en dehors des critères reconnus au niveau international et se base sur des critères sécuritaires et électoraux et répondait à un nouveau découpage au niveau administratif du territoire. Les résultats de ces élections régionales ont ramené des présidents de région qui rempilent et émanant du propre centre de pouvoir, choisis à la main. Ce nouveau projet de régionalisation ne se base aucunement sur l’élection au suffrage universel du président et des représentants du parlement régional et ne respectent pas les critères internationaux, en conformité avec le projet des Amazighes contenu dans notre «Manifeste de Tamazgha pour une confédération démocratique, sociale et transfrontalière, basée sur le droit à l’autonomie des régions», que l’Assemblée Mondiale Amazighe a adopté lors de son septième congrès à Tiznit en novembre 2013 (www.amadalpresse.com/fr/?p=327).
Pour conclure?
J’ai la certitude que toute la jeunesse amazighe vit un «nouveau printemps démocratique des peuples», envers laquelle je salue vivement son courage, sa détermination et son implication active sur le terrain, un printemps amazighe qui n’est plus circonscrit dans le temps qu’à la Grande Kabylie, sinon il s’est étalé dans tout notre espace de Tamazgha. Les actuelles informations qui émanent d’Afrique du Nord, que ce soit les contestations au Rif marocain, au Mzab et en Kabylie algériens, à Tataouine en Tunisie, à Azawad au sud-ouest libyen, …ses auteurs sont des hommes et femmes libres de Tamazgha…qui aspirent à plus de démocratie et à plus de partage de richesses naturelles et à plus d’échanges économiques entre nos Etats et à la libre circulation des capitaux et des personnes. Tudert i tamazight, tudert i Tamazgha, tudert i Imazighen. Et Tanemirt.
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