par Hocine Smaâli
Carrefour d’Algérie, 8/06/2017
Depuis le déclenchement des événements du Rif, les protestataires portent à bras le corps le drapeau du Rif et le portrait Abd El-Krim Al Khattabi, leader historique de cette région rebelle, qui avait proclamé en 1922, la République confédérée des Tribus du Rif, un embryon d’Etat berbère. Cette République eut un impact crucial sur l’opinion internationale, car ce fut la première République issue d’une guerre de décolonisation au XXe siècle. Il créa un parlement constitué des chefs de tribus qui lui vota un gouvernement.
Décidément, la relation entre la monarchie marocaine et son Rif est historiquement houleuse et remonte à une lointaine histoire. Après la deuxième guerre mondiale et l’évolution des idées nationalistes et des mouvements indépendants, un groupe armé s’est fondé par les résistants rifains sous le nom de « l’armée de la libération » en menant des opérations armées contre la colonisation étrangère. Un mouvement dirigé par Abbas Lamsaadi et ce, pendant que les Marocains du parti de l’indépendance (Istiqlal) et d’autres qui ont été parmi les membres du mouvement national, étaient contre l’armée de la libération et préféraient les négociations avec les colons. El Mehdi Ben Berka n’a cessé de demander à maintes fois à Abbas Lamsaadi d’arrêter les opérations armées. Ce dernier a réservé un niet à cette demande en continuant la résistance armée contre les colons. Une position qui coûta la vie à Abbas Lamsaadi, assassiné le 28 juin 1956 par trois individus à Ain Aïcha, dans la province de Taounate. En août 1955, les membres du mouvement national marocain négociaient le traité d’Aix-les-Bains pour arriver vers un pouvoir supervisé par la France coloniale et annoncer une indépendance fictive.
Le Rif dans ce contexte a été saigné à blanc par l’Histoire et a payé un lourd tribut vis-à-vis de la monarchie. Le Roi Mohamed V a réprimé dans le sang le soulèvement rifain de 1958, deux années après cette indépendance. Cette dernière est obtenue auprès des Français, mais toujours pas auprès des Espagnols qui contrôlaient alors encore le Rif et le Sahara Occidental. Une période d’incertitude et de tensions autonomistes rifaines qui déboucha sur la terrible et sanglante mise au pas de 1958.
Le 11 novembre 1958, Mohamed El-Hadji Sellam Ameziane, du PDI, et deux autres membres des Beni Ouriaghel, Abdel Sadaq Khattabi et le fils de Abdelkrim al-Khattabi, Rachid, ont présenté un programme en 18 points pour le Rif au Roi Mohammed V ; ce programme compte des préoccupations des Rifains, allant de l’évacuation des troupes étrangères du Rif, au retour d’Abdelkrim al-Khattabi chez lui au Rif, la création d’emplois, la représentation politique et les réductions d’impôts. Avant la présentation de ce programme au roi, la révolte du Rif avait déjà commencé depuis presque trois semaines. La réponse de la monarchie était une campagne de liquidation collective contre les Rifains qui n’ont pas accepté les nouvelles conditions politiques et sociales du nouveau système colonial.
C’est dans ce contexte des années 1958/1959 que les soulèvements des Rifains sont noyés dans le sang par Hassan II, qui avant d’être officiellement désigné prince héritier en 1957, a hérite du titre de chef d’état-major de toute la jeune armée royale créée en 1956. C’était donc à lui que échoue de mater le soulèvement du Rif en compagnie de Mohamed Oufkir, un ancien de l’armée française. La répression a été terrible et Oufkir était taxé de « boucher du Rif » et le prince Hassan, alors âgé de vingt-neuf ans, comme le garçon boucher, initié au métier. A la fin de janvier 1959, le soulèvement a été réprimé par une force militaire composée de près de 30.000 hommes faisant plus de 8.000 morts rifains, selon les historiens.
Après la fin du soulèvement, réprimé dans le sang, le Rif a été soumis à un régime militaire et subi la marginalisation par les autorités marocaines au cours des quatre décennies suivantes. Les Rifains étaient contraints à l’immigration vers les pays de l’Europe occidentale depuis le début des années soixante. L’histoire se répéta encore une seconde fois, le 19 janvier 1984, les habitants du Rif se soulevaient aussi contre l’injustice du régime Hassan II. C’était d’abord à Al-Hoceima quand les élèves manifestaient contre l’augmentation des frais de l’inscription et de scolarité, puis à Nador où les activités économiques irrégulières sont menacées par les décisions du roi. C’est pour cela d’ailleurs qu’on l’appelle « soulèvement de la faim », la situation socioéconomique du Royaume était désastreuse, avec l’entrée du Fonds monétaire international et la Banque mondiale qui ont imposé les programmes d’ajustement structurel (PAS). La dette extérieure du Maroc était évaluée alors à 7.000 millions de dollars, s’ensuivront ensuite les augmentations des prix des denrées alimentaires de consommation de première nécessité. Les manifestations ont commencé par des grèves observées à Al-Hoceima, mais la violence avec laquelle les autorités les ont affrontés, a poussé les établissements de Nador à se solidariser avec leurs voisins.
Le 22 janvier de la même année, Hassan II traitait les manifestants d’ « apache » et de « contrebandier ». El Telegrama de Mellilia avait publié, le 24 janvier, la photo d’un hélicoptère tirant sur des manifestants en donnant le nombre de 40 morts à Nador, d’autres journaux espagnols lui emboîtant le pas avancent le chiffre de 400 morts sur tout le territoire marocain. Les dégâts, selon un décompte officiel présenté le 25 janvier par le Premier ministre de l’époque, faisaient état de 7 véhicules privés calcinés et l’endommagement de plus de 20 autres, l’incendie d’un camion des forces de l’ordre et des incendies venant à bout de 11 bâtiments et de six écoles ainsi que d’autres locaux. Ces événements avaient coûté la vie à 16 personnes et fait 37 blessés dont 5 des membres des forces de l’ordre, selon toujours le Premier ministre de l’époque. Un bilan loin de la réalité de la répression mise en branle par Hassan II, des organisations marocaines et étrangères de droits humains ont même relevé l’existence même de fosses communes, localisées dans la caserne militaire de Taouima.
A cela s’ajoutent les sévices subis par les prisonniers dans le tristement célèbre pénitencier Tazmamart. L’instance équité et réconciliation, mise en place après l’intronisation de Mohamed VI, qui succède à Hassan II, a tenté d’en finir avec ce dossier du Rif, après avoir découvert un charnier dans la caserne de la protection civile le 28 avril 2008 et
récupéré 16 corps. L’Instance a déclaré que le cimetière a appartenu aux victimes des événements de 1984 et c’est le cimetière dont parle l’opinion publique sur la base qu’il existe.
récupéré 16 corps. L’Instance a déclaré que le cimetière a appartenu aux victimes des événements de 1984 et c’est le cimetière dont parle l’opinion publique sur la base qu’il existe.
Ce qui vit le Rif Marocain actuellement n’est donc qu’une suite logique des événements historiques du Royaume qui a marginalisé et puni sciemment cette région. Pour Pierre Vermeren, chercheur de l’Université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, « le roi Hassan II a volontairement maintenu le Rif dans la pauvreté et le dénuement durant des décennies pour punir ses habitants pour leur attitude de défiance à l’égard de la monarchie marocaine». «Ce qui se passe actuellement dans le Rif est dû en grande partie à la responsabilité de Hassan II», estime encore l’auteur de «Le Maroc de Mohammed VI. La transition inachevée» dans un entretien accordé, mardi dernier, au quotidien français Libération. Se voulant plus détaillé, le spécialiste du Maroc rappelle qu’après «la révolte du Rif de 1958-1959 et sa répression extrêmement brutale, le roi a puni la région pour avoir osé se soulever contre l’Etat marocain. Il ne s’y est pas rendu une seule fois, il ne lui a consacré aucun investissement. La seule porte de sortie, c’était la culture du kif dont le privilège avait été accordé par le père de Hassan II aux Rifains». Le mouvement Hrak et son leader incontesté Nasser Zefazafi n’ont fait donc que reprendre le relais de la contestation de ce Rif historiquement marginalisé par le Makhzen.
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