Trop indépendant, trop rêveur, Actuel a osé des publications qui ont dérangé le Makhzen. Comme cette interview kristof Clerix publiée le 10 avril 2010, un avec journaliste belge qui a attiré les foudres du Makhzen à cause de ses enquêtes sur l’affaire Belliraj.
Dans cette interview, il affirme que « Samir Addahr l’ambassadeur du Maroc a Bruxelles m’a affirmé que la DGED défend un agenda politique et surveille l’intégrisme religieux…j’ai travaillé 3 mois dessus et je me demande sur quelle base Belliraj a été condamné… »
Voici un article de kristof Clerix publié par Le Courrier International le 9 sept 2009 :
Belgique. La mystérieuse histoire d’Abdelkader Belliraj
Ce Belgo-Marocain a été condamné à la prison à vie au Maroc. Mais est-il un dangereux terroriste islamiste ou un informateur de la Sûreté belge qui fait les frais des tensions entre les services secrets des deux pays ?
Le 9 octobre 1971, Abdelkader Belliraj quitte sa ville natale de Nador – il a 14 ans – pour rejoindre son père Mimoun, employé dans une verrerie, à Bruxelles. A la même époque, après une attaque contre le Boeing du roi Hussein, le Maroc décide de créer de nouveaux départements de services secrets : la DGED (direction générale des études et de la documentation) et la DGST (direction générale de la surveillance du territoire). L’une et l’autre entretiennent alors de bonnes relations avec la Sûreté de l’Etat belge, dirigée à l’époque par Albert Raes. Les services de renseignements avaient conclu un gentlemen’s agreement : la sûreté belge surveillait les “comportements excentriques” de la communauté marocaine sur son territoire, la DGED marocaine informait les Belges d’éventuelles menaces contre l’ordre public en Belgique et au Maroc.
Côté belge, c’est le jeune inspecteur André Jacob qui est chargé des contacts avec les autorités marocaines. La coopération se passe très bien. Abdelkader Belliraj est à cette époque un total inconnu. Le jeune Marocain décroche en 1980 un diplôme en électricité industrielle, se marie et commence à travailler comme électricien dans une aciérie.
“J’ai vu un certain Patrick, agent de la sureté belge”
Dans les années 1980, les contacts entre la sûreté belge et la DGED s’intensifient. Cette fructueuse coopération apparaît d’une façon manifeste en 1989 lorsque Albert Raes, le patron de la sûreté belge, reçoit le Ouissam Alaouite, une décoration militaire attribuée par le roi aux personnes civiles ou militaires pour services rendus à l’Etat marocain. Raes doit sa distinction au rôle qu’il a joué dans le cadre d’une initiative conjointe algéro-belgo-marocaine au sujet du Front Polisario, qui milite pour l’indépendance du Sahara occidental.
C’est précisément pendant cette période de bonne coopération entre la Belgique et le Maroc que le fameux Abdelkader Belliraj entre en scène. Depuis le début des années 1980, la Sûreté belge avait fiché Belliraj comme extrémiste islamiste pro-iranien et opposant au roi du Maroc. Belliraj avait été observé par les services en 1986, 1988, 1990, 1993 et 1999, alors qu’ils s’intéressaient surtout au profil chiite de l’opposant marocain. La montée du chiisme au sein de la communauté marocaine de Belgique, traditionnellement sunnite, était un phénomène typique du pays. Après le renversement du régime du chah, en 1979, des centaines de Marocains de Belgique s’étaient convertis au chiisme car ils voyaient un parallèle évident entre le régime du chah et celui de Hassan II et ils espéraient que le même scénario révolutionnaire se répète au Maroc.
De son côté, la cellule antiterroriste belge avait également accroché au profil de Belliraj. “Son surnom chez nous était El Palesto, parce qu’il était très attaché à la cause palestinienne”, se souvient un inspecteur de la police fédérale belge qui a suivi Belliraj depuis plus de vingt ans. “Ensuite, nous l’avons retrouvé dans le mouvement chiite. Belliraj était connu de tous. Nous l’avions effectivement approché mais finalement pas recruté, car c’était trop compliqué et nous n’avions pas le budget.” “Je confirme que j’ai été approché en 2000 par les services de renseignement belges, qui m’ont demandé de travailler pour eux et de les aider dans certains dossiers liés au terrorisme”, a déclaré Belliraj lors de sa seconde audition auprès du juge d’instruction marocain Chentoufi. “Je leur ai répondu que je les aiderais si je découvrais des choses sensibles qui pourraient constituer une menace pour la sécurité de l’Etat. J’ai de temps en temps rencontré un certain Patrick, agent de la sûreté, mais cette collaboration ne s’est pas faite pour de l’argent.” Voilà ce qu’a affirmé Belliraj [mais beaucoup pensent qu’il a bel et bien été rémunéré].
Le fait qu’il était un informateur de la sûreté belge fera par la suite l’effet d’une bombe. Les services de renseignement savaient-ils vraiment avec qui ils étaient en train de collaborer ? D’autres sources bien informées expliquent au contraire que Belliraj a fourni des informations “extrêmement précieuses” pour déjouer des attentats terroristes, notamment en Grande-Bretagne.
Le 16 mars 2003 se produit le “11 septembre marocain” : des attentats suicides à Casablanca provoquent la mort de 33 personnes. Une rumeur court immédiatement, selon laquelle les auteurs auraient tout préparé depuis la Belgique. Le gouvernement belge demande rapidement à la sûreté de vérifier l’information tandis qu’André Jacob se rend à Rabat en compagnie d’un collègue des services de renseignement français. Très vite, il leur est apparu que l’hypothèse belge était fausse. Différentes versions circulent sur ce qui s’est effectivement passé lors de la visite de Jacob au Maroc, mais une chose semble certaine : son passage a conduit à de graves tensions entre la DGED marocaine et la sûreté belge.
Interrogé et torturé dans une prison marocaine
A partir de 2008, des rumeurs sur la “disparition” de Belliraj au Maroc circulent au sein de la communauté marocaine installée dans la ville flamande de Gand. La sûreté a vent de l’histoire et signale au ministère des Affaires étrangères belge qu’“un Belge est en difficulté à l’étranger”. Selon Toufiq Idrissi, le troisième avocat marocain de Belliraj, son client a été enlevé le 18 janvier par les autorités marocaines à Marrakech alors qu’il sortait d’un hôtel appartenant à son frère. Belliraj aurait ensuite été enfermé, interrogé et torturé dans une prison secrète basée à Temara, puis à Rabat et enfin à Casablanca. Ce n’est qu’un mois plus tard que le gouvernement marocain annonce le démantèlement d’un réseau terroriste djihadiste clandestin, dont le leader serait le dénommé Belliraj. Les policiers belges n’ont même pas été informés de l’arrestation du Belgo-Marocain. La sécurité de l’Etat précise avoir découvert l’affaire à travers la presse, une information confirmée par un rapport du Comité R (comité belge de contrôle parlementaire des services de renseignement) mais démentie par le Maroc. Le 8 juillet 2008, le patron de la Sûreté belge, Alain Winants, demande à Mohamed Yassine Mansouri, chef de la DGED, de rappeler trois agents marocains repérés en Belgique. “Cette mesure n’était pas liée à l’affaire Belliraj. Dans le passé, il y a déjà eu des problèmes récurrents avec les agents de la DGED. Ils avaient par exemple organisé une manifestation devant l’ambassade d’Algérie [pour dénoncer la politique algérienne vis-à-vis du Sahara occidental] à Bruxelles”, déclare Alain Winants. Les allégations de la Sûreté belge étaient tellement graves que la DGED a non seulement rappelé les trois agents démasqués mais a également décidé de fermer carrément sa représentation et rappelé tous ses agents.
Après les premières arrestations liées au dossier Belliraj, le Maroc a demandé à la Belgique d’extrader quatorze personnes. Quelques mois plus tard, le 27 novembre 2008, comme en réplique à cette vague d’arrestations, un procureur fédéral belge procède à des perquisitions et auditionne onze personnes. Six d’entre elles ont témoigné des nombreuses activités de la DGED en Belgique. Les personnes auditionnées ont détaillé les procédures utilisées par les agents marocains en Belgique, qui propageraient de fausses rumeurs à l’attention des Marocains vivant sur le territoire et les soumettraient à du chantage, des intimidations, des menaces en les photographiant et en les fichant. L’une des personnes a même déclaré que la DGED marocaine pouvait compter, en Belgique, sur la collaboration active de 150 Marocains. L’enquête sur les activités de la DGED en Belgique a été tellement loin qu’elle a probablement joué un rôle [en fâchant les Marocains] dans la procédure judiciaire concernant Belliraj.
En février 2009, les audiences ont repris au Maroc dans le procès du réseau Belliraj. Le verdict a été prononcé fin juillet : la prison à vie. Belliraj réfute toutes les accusations portées contre lui [à savoir qu’il aurait commis six meurtres, qu’il aurait fait entrer des armes clandestinement au Maroc, qu’il serait impliqué dans un trafic de blanchiment d’argent et dirigerait un réseau terroriste, et affirme] que les services secrets marocains ont inventé cette histoire de toutes pièces parce qu’il a refusé de travailler pour eux.
Après la déclaration de culpabilité de Belliraj et ses 34 coaccusés, des organisations pour la défense des droits humains et des membres de la famille ont manifesté devant le tribunal de Salé [la ville proche de Rabat où s’est tenu le procès] pour dénoncer la justice marocaine. Pour eux, il s’agit d’un “procès politique”. Pendant ce temps, la Belgique poursuit son enquête judiciaire ; l’affaire Belliraj divise la société, entre ceux qui croient aux actes d’accusation et ceux qui n’y croient pas. Abdelkader Belliraj est-il vraiment un dangereux islamiste à la tête d’un vaste réseau djhadiste, ou est-ce un informateur qui paie le prix fort pour une guerre des services de renseignement opposant la Belgique au Maroc ? Une seule personne connaît toute la vérité. Elle s’appelle Abdelkader Belliraj.
Kristof Clerix