par Salaheddine Lemaizi
Dans la lutte des places, en cours, pour la formation du prochain gouvernement marocain, la politique économique du pays pour les cinq prochaines années semble décidée d’avance par le FMI. A ATTAC Maroc, nous refusons cette servitude économique volontaire.
Le Maroc est sans gouvernement depuis plus de cinq mois. Les tractations pour la formation du prochain exécutif sont au point mort. Le Parti justice et développement (PJD) [Islamiste, pro-monarchie], est sorti vainqueur des élections législatives du 7 octobre 2016. Depuis ce jour-là, ce parti fait face à un chantage de la part de partis affiliés au Makhzen |1|. Pendant que les négociations s’enlisent, un acteur habitué aux situations de crise politique s’immisce dans la gestion économique du pays. Le Fonds monétaire international (FMI) s’offre un boulevard pour « accélérer le rythme des réformes structurelles ».
Aidé par un ministre des Finances par intérim |2| aligné sur les positions du FMI et de la Banque mondiale et un directeur de la Banque centrale, artisan de l’ajustement structurel permanent au Maroc depuis trois décennies |3|, ainsi que par la haute technocratie du département des Finances, le FMI obtient gain de cause sur quasiment toutes ses demandes. Ainsi tout le processus de démocratie électorale se trouve vidé de son sens. Avant d’analyser le contenu de ce programme, deux remarques s’imposent sur le manque de transparence du Maroc et la nature anti-démocratique du FMI.
Sur l’absence de transparence gouvernementale
À travers le suivi de la relation FMI-Maroc depuis quatre ans par ATTAC Maroc |4|, nous ne pouvons qu’être scandalisés par le manque de transparence des autorités marocaines sur ce dossier. Au moment de la signature de la première Ligne de précaution et de liquidité (LPL) en juillet 2012, les représentants de l’État marocain ont nié s’être engagés sur des réformes précises. Or, ils seront démentis par leur partenaire, le FMI. L’institution financière publiait la lettre d’intention signée par le ministre des Finances marocain et le directeur de la banque centrale, mentionnant des engagements chiffrés sur quatre ans |5|.
Précisons que le LPL n’est pas un prêt mais simplement « une assurance contre les chocs externes » destinée aux pays « dont l’économie est foncièrement solide et qui ont fait leurs preuves en appliquant une politique économique avisée, mais qui restent exposés à certains facteurs de vulnérabilité », selon le FMI. Ce que ne dit pas cette institution c’est que cette assurance comprend deux niveaux de conditionnalités et a couté aux contribuables 540 millions de DH (dirham marocain) en quatre ans |6|, sans que le Maroc ne reçoive un seul dirham.
Dans un pays qui respecte ses citoyens et leur intelligence, le minimum aurait été de publier ces informations sur les sites officiels marocains, accompagné d’une traduction de ce document vers l’arabe, langue officielle du pays. Au lieu de cela, l’État marocain préfère la stratégie de l’autruche.
De l’anti-démocratique FMI
Il ne faut pas se leurrer non plus sur la nature du FMI. Cette institution est le contraire d’une institution démocratique. « Le FMI s’est vu adjoindre un mode de fonctionnement proche de celui d’une entreprise » |7|, décrivent Damien Millet et Éric Toussaint. Entre les État-actionnaires du FMI les rapports de force sont fortement déséquilibrés. Les États-Unis disposent, à eux seuls, de près de 17 % des droits de vote au sein du Conseil d’administration du FMI, contrôlant de facto cette institution et ses choix. Ce pouvoir est démesuré si on le compare à celui des Pays en voie de développement dont les droits de vote sont ridiculement réduits eu égard à la taille des populations qu’ils représentent (voir graphique ci-dessous). Les réformes apportées à cette répartition des votes n’ont pas changé l’ADN anti-démocratique du FMI.
Durant l’apartheid en Afrique du Sud, le FMI a fait affaire avec ce régime raciste. « En 1970-1971, l’Afrique du Sud, que le FMI a jugé tout à fait fréquentable en dépit des violations continues des droits de l’homme, lui a vendu de grosses quantités d’or », rappellent Millet et Toussaint |8|. Plus récemment, le FMI et ses alter egos, la Commission européenne et la Banque centrale, n’ont pas dissimulé leur mépris pour le choix démocratique du peuple grec lors du référendum de juillet 2015 |9|.
De l’illégitimité de la Ligne de précaution et liquidité
Nous sommes en juillet 2016, le gouvernement dirigé par Abdelilah Benkirane (PJD) joue les arrêts de jeu. Pourtant, cet exécutif demande de renouveler pour une troisième fois en quatre ans, la Ligne de précaution et de liquidité (LPL) pour un montant de 3,47 milliards de dollars. Ce gouvernement ne tient pas sa promesse |10|, celle de ne pas renouveler cette LPL. Le ministre des Finances marocain déclarait en octobre 2016 : « Les conditions qui ont amené le Maroc à recourir en 2012 à la première LPL ne sont plus d’actualité. Et l’opportunité de recourir à une 3e LPL se justifie de moins en moins » |11|. Amnésique, le ministre des Finances défendra cette nouvelle LPL en avançant ses arguments bricolés : « rassurer les investisseurs internationaux, disposer d’une assurance face aux chocs exogènes… ». Le gouvernement n’est pas à une contradiction près.
Le package de « réformes » prévu par cette nouvelle LPL conduira le pays p
our les quatre prochaines années à poursuivre la politique d’austérité initiée dans son premier mandat |12|. Ce programme et cette LPL n’ont aucune légitimité démocratique, car signés par un gouvernement sortant, aux dernières semaines de son mandat.
our les quatre prochaines années à poursuivre la politique d’austérité initiée dans son premier mandat |12|. Ce programme et cette LPL n’ont aucune légitimité démocratique, car signés par un gouvernement sortant, aux dernières semaines de son mandat.
De l’austérité pour cinq ans
Les engagements du gouvernement sortant dans le cadre de la LPL réduisent à néant tout espoir d’une relance économique. « Les objectifs énoncés pour 2020-2021 dans la dernière note du FMI donnent une idée assez précise des objectifs gouvernementaux pour les cinq prochaines années », explique, l’économiste Zouhair Ait Benhamou |13|. Pour ce dernier, les choix macro-économique sont déjà faits jusqu’en 2021.
D’ici 2021, le Maroc devrait réduire son déficit budgétaire à 2,4 %. Un engagement dangereux pour la population et l’économie du pays. Une cible qui devrait s’accompagner de nouvelles réductions budgétaires (baisse de la dépense publique et du recrutement dans la fonction publique). Le FMI s’acharne à exiger une réduction du déficit depuis 2012. Ce qu’il a obtenu -essentiellement- grâce à la baisse de la facture énergétique du pays. Le déficit public est passé de 7,3 % en 2012 à 3,9 % en 2016. Rappelons que l’objectif de départ pour 2016, était un déficit de 3 % dès 2016.
Comme l’indique le graphique ci-dessus, le rôle essentiel du gouvernement sortant a été le retour aux sacro-saints « équilibres macro-économiques » chers au FMI, au détriment de la « croissance » |14| et aux efforts dans les secteurs. Ceci est le constat amer du très officiel Haut-commissariat au Plan (HCP). Dans son document intitulé : « Budget Économique Exploratoire 2017 » |15|, on pouvait lire cet aveu d’échec :
« La recherche de la stabilité macroéconomique dans un contexte de croissance économique faible et d’un contenu en opportunités d’emploi ne répondant pas aux aspirations de la population, suscite des interrogations sur la pertinence d’un tel modèle dans le contexte d’une transition démographique accélérée ».
Le deuxième engagement phare est celui de la réduction de la dette publique de 4,3 % du PIB. La dette publique du Trésor correspond à 64,3 % du PIB. Une dette en hausse de 17,4 % en huit ans. Pourtant, les engagements des deux premières LPL de 2012 et 2014 visaient à faire baisser la dette. À l’opposé, la dette a continué à croitre (voir graphique n°3). Désormais et par la grâce de cette troisième LPL, le Maroc devrait réduire sa dette de 4,3 % en un mandat. Pour y arriver, le FMI et le Maroc promettent des chimères : « Le Staff du FMI et les autorités sont d’accord pour maintenir l’objectif de réduire la dette public à 58,7 % du PIB d’ici 2020, afin d’accroitre l’assiette fiscale, sans affecter la croissance » |16|. Ce jeu d’équilibrisme est perdu d’avance. Chercher à réduire la dette se fera au détriment des secteurs sociaux.
Cet objectif est intenable économiquement et socialement. Une tentative de l’appliquer serait synonyme d’un plan d’austérité drastique. Avec des conséquences sociales catastrophiques pour le peuple marocain. D’ailleurs, la Loi de finances 2017 donne un avant-goût de ce menu avec une deuxième baisse consécutive du budget de l’Éducation nationale.
Troisième engagement, c’est la flexibilité du change. Vieille revendication du FMI depuis les années 80, les différents gouvernements ont fait de la résistance durant trois décennies pour retarder son application. Il a fallu l’arrivée de ce gouvernement en fin de mandat pour accélérer la mise en application de cette troisième réforme dangereuse. Faute d’un gouvernement, c’est la Banque centrale qui gère toute l’opération. Le tout sans consultation du parlement et de vrai débat public sur cette question fondamentale |17|. Les autorités monétaires présentent la migration vers le change flottant comme une décision technique. Alors qu’en regardant de plus près, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une décision aux lourdes conséquences sur l’économie |18|.
De la servitude économique volontaire
Ce rappel des engagements du Maroc pris par un gouvernement en fin de mandat pose la question du rôle des élections et de la démocratie dans un pays. De fait, le prochain gouvernement n’aura aucune marge de manœuvre économique et sociale. Encadré fortement par le FMI et sa LPL, épaulé par la Banque centrale, le prochain exécutif ne fera qu’appliquer ces mesures.
Ne nous faisons pas d’illusion non plus, tous les partis (majorité comme opposition parlementaire) sont alignés sur les thèses du FMI. A tel point que les programmes électoraux des grands partis marocains se rejoignent sur « la rigueur budgétaire » à appliquer les prochaines années. Mais, il est nécessaire de rappeler qu’un virage de la politique économique ne peut se faire sans une rupture avec les recommandations du FMI, et en premier lieu en finir avec cette LPL, qui est une forme de servitude économique volontaire.
Certes, le Maroc n’est pas du tout une démocratie. L’essentiel des décisions politiques se prennent dans d’autres cercles que celui du gouvernement, mais il faut mettre les politiques face à leurs responsabilités, leur rappeler qu’une autre économie est possible et envisageable. L’austérité, la réduction des budgets des secteurs sociaux, la privatisation ne sont plus des solutions. Ces remèdes mortifères ont partout échoué. Une institution sous influence comme le FMI ne sert que les intérêts de ses principaux actionnaires et des classes dirigeantes au Nord comme au Sud. En finir avec l’hégémonie d’une pensée économique dominante est le sens du combat d’ATTAC Maroc et de notre réseau CADTM, pour un autre monde possible.
Salaheddine Lemaizi, militant d’ATTAC Maroc, association membre du Comité pour l’Abolition des dettes illégitimes (CADTM).
Notes
|1| Appareil de gouvernance de la monarchie, composé de relais dans le monde politique, économique, sécuritaire, médiatique et associatif.
|2| Mohamed Boussaid, a été directeur du département de la privatisation entre 2001 et 2004, période où l’État avait bradé ses plus importantes entreprises. En 2004, il est nommé ministre de la modernisation des secteurs publics, où il appliquera le sinistre Programme de départ volontaire des fonctionnaires, pensé par la Banque mondiale. Un programme qui a eu des conséquences dramatiques sur la qualité de la fonction publique.
|3| Abdelatif Jouahri, gouverneur de la banque centrale depuis 2003, ce personnage clé du néolibéralisme à la marocaine a été ministre des Finances durant le PAS entre 1981-86.
|4| Voir à ce sujet, un dossier complet sur notre site et notamment, le texte S. Lemaizi, Austérité et ajustement au Maroc. Le gouvernement garde la « Ligne » du FMI et le citoyen paie le prix, mai 2014.
|5| Morocco, Request for a Precautionary Credit Line arrangement, Letter of intent, Rabat, 27 juillet 2012.
|6| Selon la déclaration du ministre du Budget, la LPL coûte 135,1 millions de DH/an. Voir, G.W. Karmouni, LPL, un piège tendu au Maroc, E&E, juin 2014.
|7| Données actualisées sur base de : Damien Millet et Éric Toussaint, 65 questions 65 réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, p.70 CADTM, 2012.
|8| Millet et Toussaint, p.70
|9| Cinzia Arruzza, Référendum en Grèce : la nouvelle bataille de Marathon, CADTM, juillet 2015.
|10| Momar Diao, Maroc-FMI, La LPL, c’est fini, Finance News, janvier 2016.
|11| Amine Khadiri, FMI/Maroc : La LPL sera-t-elle reconduite ?, Finance News, Novembre 2015.
|12| Pour une analyse complète de ce programme, lire Omar Aziki, Le FMI continue à imposer ses réformes catastrophiques au Maroc, février 2017.
|13| Zouhair Ait Benhamou, Les objectifs macro-économiques du Maroc, déjà fixés avec le FMI jusqu’en 2021, août 2016, LeDesk.
|14| Nous utilisons ce terme avec beaucoup de précaution, car même dans le cas d’une croissance positive, il n’est pas avéré qu’elle profite aux classes populaires.
|15| HCP, Note de synthèse du budget économique exploratoire 2017, juillet 2016.
|16| Morocco : 2016 Article IV Consultation – Press Release ; Staff Report ; and Statement by the Executive Director for Morocco, p. 14.
|17| Pour un éclairage critique sur cette question, lire : Mouvement ANFASS, La libéralisation de change de la monnaie nationale est une affaire politique !, janvier 2017.
|18| Mohamed Taleb, Le change flexible n’est pas qu’un choix technique : A. Jouahri doit s’expliquer, Perspectives Med, juillet 2016.
Source : CADTM