Panique au Makhzen

Entretien exclusif avec Amar Belani, Ambassadeur de l’Algérie en Belgique et auprès de l’Union Européenne au lendemain de la visite du Ministre algérien des Affaires Etrangères, RamtaneLamamra, à Bruxelles.
Afrique Asie : Dans un article récent publié dans la presse marocaine, il est question de la visite du Ministre Lamamra à Bruxelles dont l’auteur tente d’en minimiser l’importance, la qualifiant de « tribulations algériennes ». Qu’en est-il exactement des objectifs de cette visite?
Amar Belani : Effectivement, cette visite qui s’inscrit dans le sillage des traditions de concertation et d’échanges entre les responsables algériens et européens est importante à plus d’un titre.
Elle intervient à moins de quatre semaines du Conseil d’association Algérie-UE, qui aura lieu le 13 mars 2017, à l’occasion duquel les deux parties procéderont à l’adoption formelle des priorités de partenariat identifiées conjointement dans le cadre de la nouvelle Politique européenne de voisinage, faisant de l’Algérie le premier partenaire nord-africain de l’UE à adopter ce document, et signeront plusieurs conventions de financement sectorielles. Il s’agit d’une nouvelle impulsion que les deux parties entendent donner au partenariat Algérie-UE, qui traduit en fait la densité et le caractère exemplaire et stratégique des relations bilatérales.
Elle intervient également au moment où la médiation en Libye enregistre quelques frémissements eu égard à l’intensification des efforts des pays du voisinage de la Libye et de la réactivation du Comité de haut niveau de l’UA, mécanismes au sein desquels l’Algérie joue un rôle de premier plan, ce qui explique pleinement qu’elle soit sollicitée et écoutée par ses partenaires européens.
Enfin, cette visite intervient aussi au lendemain de la réunion à Bamako du comité de suivi qui a permis, grâce aux efforts persévérants et méritoires de la médiation internationale conduite par l’Algérie, de remettre sur les rails le processus de paix et de réconciliation au Mali.
S’agissant de la dépêche fielleuse que vous évoquez, elle résume bien la rancœur et la frustration non dissimulées de son auteur et surtout l’angoisse de cercles plus larges de voir l’UE et certains pays membres, se saisir de l’admission du Maroc à l’Union Africaine pour plaider en faveur d’un rôle plus engagé de l’UE pour soutenir de manière plus proactive les efforts en vue de hâter le règlement du conflit du Sahara Occidental. Nos interlocuteurs européens et belges ont effectivement indiqué que l’admission du Maroc au sein de la famille africaine est susceptible d’ouvrir de nouvelles perspectives en ce sens et que l’UE qui ambitionne de jouer un rôle diplomatique global pourrait ne plus se confiner dans une posture passive de simple soutien aux efforts onusiens. Il en sera de même pour les Sommets UE Afrique auxquels la RASD sera appelée à y participer.
C’est loin d’être le cas du positionnement de l’UE concernant la question du Sahara occidental, notamment à la lumière de l’Arrêt de la Cour de justice de l’UE du 21 décembre 2016, ou sa position est pour le moins ambiguë ne pensez-vous pas?
Vous savez, le Service européen de l’action extérieure vient de confirmer, une nouvelle fois, en réponse à une question écrite de l’eurodéputé Marcinelesi, que «Les institutions européennes sont liées par les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne et elles sont dans l’obligation de se conformer aux décisions de la Cour»
Le caractère juridiquement contraignant de cet arrêt, souligné par Nick Wetcott, ManagingDirector au SEAE, devant le parlement européen en date du 9 janvier 2017, est bien là et ce ne sont certainement l’autisme et les vaines bravades de ceux qui excellent dans la méthode Coué qui parviendront à l’occulter.
Lors de nos interactions avec les responsables européens, nous encourageons l’UE à ne pas se détourner d’une application rigoureuse et conforme au droit international de l’arrêt de la Cour de justice de l’UE du 21 décembre 2016, rappelant que ce dernier stipule clairement que l’UE doit tenir compte du statut distinct et séparé du territoire du Sahara occidental dans ses échanges avec le Maroc.
Après la déclaration du Commissaire Canete qui a déclaré que l’UE tiendra dument compte du statut distinct et séparé de du territoire du Sahara occidental, la déclaration conjointe entre Mogherini et Bourita évoque des arrangements et des mesures appropriées à prendre si nécessaire. Comment peut-on interpréter ce ton singulièrement conciliant de l’UE après les menaces de représailles proférées par le Ministre marocain de l’agriculture ?
Il faut relever que le Commissaire Miguel Arias Canete s’est exprimé au nom de la Commission et il n’a fait que rappeler le droit international en partant de l’arrêt de la CJEU. Ce positionnement politique et juridique sera le fondement inévitable des relations entre le Maroc et l’UE chaque fois que le territoire du Sahara occidental sera concerné et ce ne sont pas les propos apaisants de la déclaration conjointe qui changeront quelque chose sur le fond. Il faut d’ailleurs rappeler que le Président de la Commission européenne a réagi, avec véhémence, pour reprouver le ton inacceptable du communiqué du Ministre marocain de l’agriculture qui menaçait ouvertement l’UE, et en particulier un pays européen du sud, de capacités de nuisance notamment en matière de contrôle des flux migratoires. Manifestement, le passage à l’acte n’a guère tardé avec les centaines d’immigrés qui ont forcé ce vendredi la haute barrière entourant l’enclave espagnole de Ceuta.
En fait, La question qui mérite d’être posée est la suivante: Est-ce que la Commission Européenne peut délibérément prendre ses distances par rapport à la justice et à l’état de droit ? 
Sur le plan politique, la mansuétude et la volonté de trouver des arrangements sont plus que perceptibles mais sur le plan juridique et à moins de recourir à des artifices comme le cumul de l’origine ou autres falsifications des certificats d’origine pour maintenir le régime actuel, il est impossible pour les institutions européennes de remettre en cause l’autorité de la chose jugée et ce en dépit du forcing des «équipes techniques» maroc
aines qui font le siège de la commission. Celles-ci s’échinent et tentent vainement de faire admettre que l’accord agricole est applicable au territoire non autonome du Sahara Occidental.
Comme j’ai eu déjà à le déclarer au journal TSA, l’indulgence singulière affichée à l’égard du Maroc ne doit pas être le prélude à un accommodement qui mettra à mal le respect de l’état de droit tel que consacré par l’article 2 du traité sur l’Union Européenne. Les arrêts de la CJUE ont force exécutoire à compter du jour du prononcé et ni le Conseil, ni la Commission, ni le Parlement Européen ne peuvent revenir sur ses jugements.
Il faut s’attendre à une mobilisation intense au niveau du Parlement européen pour que l’arrêt soit effectivement transposé dans la réalité des rapports que l’UE entretient avec le Maroc notamment en ce qui concerne le champ territorial des accords conclus ou en cours de négociation avec ce pays. L’accord de pêche qui couvre explicitement les eaux du Sahara Occidental dans son champ territorial a fait l’objet d’une saisine de la Cour, et ce sera la prochaine station pour stopper la spoliation des richesses naturelles d’un territoire occupé tant que le consentement du Front Polisario ne sera pas sollicité et obtenu. 
Par ailleurs, on ne peut que se féliciter de la décision des compagnies danoises de cesser leurs activités illégales à partir du Sahara Occidental. Nul ne doute que dans le sillage du retrait des chaines de distributions suisses, ce désengagement danois fera boule de neige et d’autres compagnies européennes envisagent d’ores et déjà de suivre ce mouvement.
Dans une interview accordée au journal marocain, le Desk, le Ministre délégué marocain Nasser Bourita qualifie de « non-sens » la déclaration des représentants du Front Polisario soulignant le fait que siéger à l’UA en présence de la RASD, vaut reconnaissance de son existence. Quel est votre commentaire à ce sujet?
Une attitude professorale et un torrent de sophismes pour fourvoyer et masquer la réalité des faits. Personne n’a évoqué une reconnaissance de jure dont le dernier des collégiens connait les conditions, mais la question concerne la reconnaissance de fait car le Maroc ne peut faire autrement que d’admettre implicitement la présence de la RASD et de reconnaitre que celle-ci lui est opposable.
Dans cette même déclaration amphigourique, le responsable en question évoquait les réalités géopolitiques et la légalité internationale (sic) dans un assemblage plus que surréaliste. De quelle légalité parlons-nous ? Car il y en a une seule et elle consacre, de manière irréfutable, le droit inaliénable du peuple sahraoui à l’autodétermination comme réaffirmé, avec constance, par toutes les résolutions du Conseil de Sécurité et de l’Assemblée Générale de l’ONU.
Par ailleurs, le fait d’assumer crânement que l’objectif du retour du Maroc dans le giron de la famille institutionnelle vise avant tout, à geler la participation de la RASD, voire à l’exclure de l’UA, en dit long sur le degré de sincérité des plaidoyers passionnés sur les vertus de la coopération Sud-Sud, de l’expansion économique solidaire et commune ainsi que des proclamations sur un engagement fédérateur qui serait loin des débats stériles semeurs de divisions.
Il convient de rappeler à cet égard que l’adhésion du Maroc à l’UA n’aurait pu être acceptée sans l’abandon de l’exigence du retrait simultané de la République Sahraouie, membre fondateur de l’UA. En outre, la ratification par le Maroc, sans réserves, de l’acte constitutif de l’UA fait que cet instrument lui oppose de manière irréfutable l’obligation de se conformer au principe de l’intangibilité des frontières héritées du colonialisme. L’interprétation saugrenue de ceux pour qui les réserves formulées par le Maroc en 1963 au moment de la création de l’OUA, restent valables est à côté de la plaque vu qu’il s’agit d’une adhésion et non d’une réintégration à une nouvelle organisation.
Par-delà ces arguments fallacieux, la présence du Maroc au sein de l’UA, aux côtes de la RASD, constitue, comme l’a souligné le Ministre RamtaneLamamra, un changement fondamental de circonstances qu’il faut positiver et à partir duquel il faut ouvrir de nouvelles perspectives, et c’est à cela que l’UE devrait s’atteler prioritairement en appliquant rigoureusement l’arrêt de la Cour de justice de l’UE.
La partie marocaine affirme que la flamme de l’UMA s’est éteinte et que l’idéal maghrébin se trouve trahi…
Le constat amer de la faiblesse de l’intégration dans notre région est un constat triste qui s’impose à tous. Cependant, ce constat est excessif et il ne correspond pas tout à fait à la réalité qui nous impose, au contraire, de fournir davantage d’efforts pour consolider le processus maghrébin sur des bases saines. Pour l’Algérie, qui demeure profondément attachée à l’idéal maghrébin en tant qu’objectif stratégique et aspiration profonde des peuples maghrébins, il faut se poser la bonne question : qui a fait en sorte que cette flamme ne soit pas entretenue ?
Sans rentrer dans le détail, je dois juste rappeler quelques faits historiques: Ce n’est pas l’Algérie qui a gelé officiellement sa participation aux travaux de l’UMA en 1995, ce n’est pas, non plus, le gouvernement algérien qui a déclaré «inopportune» la visite de travail d’un Chef du gouvernement en 2005 et ce n’est certainement pas l’Algérie qui a remis en question le consensus partagé lors du sommet de Zéralda de juin 1988 – qui a servi de plateforme pour le lancement de l’UMA en février 1989 – selon lequel la relation bilatérale et le processus de l’intégration maghrébine doivent être préservés et découplés de la question du Sahara Occidental qui fait l’objet d’un traitement adéquat au sein des Nations unies conformément à la doctrine onusienne de décolonisation.
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