Le Maroc a fait officiellement son entrée hier à l’Union africaine (UA) sous l’œil méfiant des pays qui se sont prononcés contre cette adhésion à haut risque.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Les envoyés spéciaux des médias internationaux n’avaient d’yeux que pour Mohammed VI faisant son entrée triomphale au sein de l’organisation panafricaine qui clôturait les travaux de son 28e Sommet. Et partout à travers le monde parvenait aux rédactions le même descriptif du roi foulant le parterre de l’institution que son père avait désertée 32 ans auparavant.
La tête ceinte d’un turban doré, vêtu d’un costume sombre, l’héritier de Hassan II a lancé cette phrase lors de sa prise de parole devant les chefs d’Etat : «Il est bon le jour où l’on rentre chez soi.» Le temps était venu, explique-t-il, de retrouver l’Union africaine, «l’Afrique est ma maison (…) nous n’ignorons pas que nous ne faisons pas l’unanimité au sein de cette assemblée (…)», mais il tient à rassurer : «Le Maroc, dit-il, œuvrera à fédérer et à aller de l’avant». Lundi, 39 pays (sur 54) avaient entériné la demande d’adhésion formulée en juillet dernier.
Dans la salle, les pays hostiles au retour de ce pays écoutent les vœux pieux formulés par le roi. Au cours de travaux préparatoires du Sommet, douze pays parmi lesquels l’Afrique du Sud, le Nigeria, l’Algérie et l’Angola avaient saisi le conseiller juridique de l’UA pour lui demander d’étudier en profondeur la demande marocaine qu’ils considèrent suspecte en dépit de la ratification par cette dernière de l’acte constitutif de l’UA. Cet acte engage le signataire à respecter les frontières héritées du colonialisme de tous les pays membres de l’organisation.
La RASD (République arabe sahraouie démocratique), soumise à une occupation marocaine, est membre fondateur de l’organisation africaine. Un paradoxe que les douze pays auteurs de la lettre transmise au conseiller juridique de l’UA révèlent en s’interrogeant donc sur la finalité d’une démarche à l’allure de manœuvre. Le conseil juridique avait tranché en rappelant que la décision finale revenait aux chefs d’Etat. L’UA en sort déjà divisée. Hier, et avant même la clôture officielle du Sommet d’Addis-Abeba, l’ANC (Congrès national africain), parti de Nelson Mandela, a fait savoir qu’il regrettait la décision prise par l’organisation. Une rude bataille commence. Celle qui consiste, coûte que coûte, à maintenir en l’état les textes fondamentaux de l’institution africaine qui prône la reconnaissance des frontières héritées du colonialisme. Aguerries aux manœuvres diplomatiques, les têtes pensantes de l’Afrique ont très vite saisi l’enjeu de la demande d’adhésion marocaine : s’infiltrer dans l’institution afin d’en modifier l’acte constitutif et exclure la RASD. Pari fou, car, en face, le bloc des pays de l’Afrique qui militent en faveur de la décolonisation du Sahara occidental ne comptent pas rester les bras croisés. Plusieurs de ces Etats ont tenté de faire accepter le principe de l’installation d’une commission chargée du suivi de l’adhésion marocaine sans succès, mais ils sont revenus à la charge hier à Addis-Abeba en exigeant de Mohammed VI l’autorisation du retour immédiat et au complet de la Minurso (Mission des Nations-Unies pour le référendum au Sahara occidental) dans les territoires sahraouis. La démission émane sans conteste du nouveau président de la Commission de l’UA élu lundi en remplacement de la Sud-Africaine qui avait bloqué, une année durant, l’admission du Maroc au sein de l’institution qu’elle représente.
L’élection du Tchadien a été perçue comme une «bonne chose» face au danger que représentait le candidat sénégalais représentant d’un pays qui n’a jamais caché ses accointances avec le Maroc. En exigeant le retour de la Minurso et du représentant de l’UA dans les territoires occupés du Sahara occidental, l’organisation a tenu à faire fort en mettant le doigt sur la question du retour de la Minurso. Les Casques bleus onusiens avaient été chassés en mars dernier par le roi qui tentait un nouveau coup de force pour imposer son occupation illégale du Sahara occidental.
Une manière très forte de prouver que la partie n’est pas gagnée. Les représentants de la République sahraouie observent pour l’instant le wait and see. Mohamed Kheddad, coordinateur sahraoui auprès de la Minurso, a eu, hier, ce commentaire qui en dit long : «Cette admission permettra au moins d’introduire un débat régulier au sein de l’UA autour du Sahara occidental.»
A. C.
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