Ce matin, le pétrolier/chimiquier le Bay Key faisait livraison en France d’une cargaison d’huile de poisson du Sahara Occidental occupé. Pourquoi est-ce que cela viole potentiellement la réglementation européenne ?
Les « règles d’hygiène de l’UE sur l’huile de poisson destinés à la consommation humaine et des Établissements de pays tiers« (en) ont une section « Informations complémentaires concernant l’huile de poisson importée de pays tiers dans l’Union européenne ». Là, le règlement précise que « lors de l’importation du poisson huile pour la consommation humaine d’un pays tiers après le 30 avril 2009, le pays doit être inscrit conformément à l’article 11 du règlement (CE) 854/2004 pour l’importation de produits de la pêche ».
« De plus, l’établissement du pays tiers d’où ce produit a été envoyé, et dans lequel il a été obtenu ou préparé, doit figurer sur les listes d’établissement à partir desquels l’importation de produits spécifiques d’origine animale est autorisée », peut on lire dans le règlement.
La cargaison du Key Bay est elle conforme à ce règlement ? C’est peu probable.
Les autorités espagnoles ont déjà confirmé les informations de Western Sahara Resource Watch, soit que la cargaison d’huile de poisson du Key Bay provient du Sahara Occidental. Cependant, le Sahara Occidental est pas sur la liste des pays tiers d’où les produits de la pêche peuvent être importés et il n’y a pas de liste des établissements agréés pour le Sahara Occidental.
L’huile de poisson à bord du Key Bay provient très probablement de l’entreprise KB Fish, qui est au Sahara occidental, mais figure sur la liste des établissements agréés pour le Maroc.
En décembre dernier, la Grande Chambre de la Cour européenne de justice, dans l’affaire 104/16 (Conseil v POLISARIO), a décidé que les accords d’association et de libéralisation de l’UE avec le Maroc ne sont pas applicables au Sahara Occidental.
Tout d’abord, la Cour a jugé que, « Compte tenu du statut séparé et distinct reconnu au territoire du Sahara occidental, en vertu du principe d’autodétermination, par rapport à celui de tout État, en ce compris le Royaume du Maroc », donc que le Sahara Occidental ne fait pas partie du territoire souverain du Maroc. (§ 92)
En second lieu, la Cour a estimé que le peuple du Sahara occidental doit être regardé comme étant un « tiers » aux relations UE-Maroc. Par conséquent, le peuple sahraoui doit donner son consentement pour que les accords UE-Maroc soient applicables au territoire du Sahara Occidental et de ses ressources naturelles, « sans qu’il soit nécessaire de déterminer si une telle mise en œuvre serait de nature à lui [le peuple du Sahara occidental] nuire ou au contraire à lui profiter. (§106). «
Les conclusions de la Cour européenne de justice sont limpides : accord commercial UE-Maroc ne peut pas couvrir le territoire du Sahara Occidental sans le consentement préalable du peuple sahraoui.
Suite à la décision de la Cour, le Maroc n’a pas autorité, selon la législation de l’UE, à enregistrer ou approuver, en sa qualité de souverain, les établissements marocains situés au Sahara Occidental, sans le consentement préalable du peuple sahraoui.
Mais en vérifiant la liste UE des établissements approuvés produits de la pêche pour le Maroc et la liste UE des usines approuvées de transformation de la pêche pour le Maroc et en lançant une recherche pour « Laâyoune », « Dakhla » ou « Boujdour ». Un nombre important des établissements des listes UE approuvés pour le Maroc est en fait situé au Sahara Occidental.
KB Fish – d’où provient très probablement l’huile de poisson entrée ce matin dans le port de Fécamp – est situé à El Aaiun (ou Laayoune dans l’orthographe préférée du Maroc). Mais il apparaît sur la liste des exportateurs de la pêche approuvés UE pour le Maroc. Il faut remarquer que cette liste a été mise à jour le 9 janvier 2017, bien après que la plus haute cour de l’Union européenne ait rendu son arrêt sur la question.
Dans les faits, si l’huile de poisson du Key Bay ne vient pas d’un établissement qui a été approuvé conformément à la législation de l’UE, il n’a pas de numéro d’homologation valable et ne peut être importé dans l’UE.
Le Maroc occupe une grande partie du territoire du Sahara Occidental depuis 1975. La moitié du peuple du territoire a depuis fui son pays d’origine, tandis que le Maroc profite de l’exploitation de ses ressources.