par Djalel Benabdoun
L’infoguerre désigne l’ensemble des méthodes et actions visant à infliger un dommage à un adversaire ou à se garantir une supériorité en la matière.
Généralement, cette activité est sous-traitée par les parties directement impliquées dans un conflit, au profit de médias indépendants d’apparence, mais qui sont en réalité aux ordres de leurs commanditaires.
Quant on se livre à des activités de propagande, quand on diffuse des informations fausses, erronées ou exagérées, il va sans dire que la contrepartie à payer serait la perte, partielle ou totale, de la crédibilité.
La projection du constat précédant sur le traitement de l’affaire du récent arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), relatif à l’accord d’échange commercial de produits agricoles et de pêche entre le Royaume du Maroc et l’Union Européenne, est vraiment lourde de sens.
En effet, plusieurs passages du récent communiqué[1] du Ministère des Affaires Étrangères et de la Coopération du Maroc (MAEC), sur la question susmentionnée, véhiculent un certains nombre de contradictions et de contrevérités, qui suscitent les observations suivantes :
1. « Le Royaume du Maroc prend note de la décision rendue, aujourd’hui, par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) au sujet de l’Accord agricole Maroc-UE ».
Dans le jargon diplomatique, l’expression « prendre note » est, pour le moins, très neutre, contrairement à « prendre note avec satisfaction », « se féliciter » ou « accueillir favorablement ». Donc, la lecture de ce premier paragraphe laisserait penser que le MAEC prendrait ses distances, voire même, dénoncer les dispositions de l’arrêt de la CJUE.
Toutefois, les paragraphes suivants se félicitent tellement de l’arrêt, au point de confirmer l’incohérence totale du communiqué.
2. « En tranchant en faveur du rejet du recours introduit par le « polisario », jugé comme « irrecevable », la CJUE se met en cohérence avec la position des autres institutions de l’UE ».
Le communiqué a omis de préciser les causes et les raisons ayant poussé la CJUE à déclarer l’irrecevabilité du recours du Front Polisario. L’irrecevabilité du recours est due à l’irrecevabilité de l’application de l’accord au Sahara Occidental, tel que stipulé par le paragraphe 131 de l’arrêt :
131. En l’espèce, il convient de constater d’emblée que l’argumentation avancée par le Front Polisario afin d’établir qu’il a qualité pour agir en annulation de la décision attaquée repose sur l’affirmation selon laquelle l’accord de libéralisation, dont ladite décision a approuvé la conclusion, est en pratique appliqué, dans certains cas, au Sahara occidental alors que celui-ci ne fait pas partie du territoire du Royaume du Maroc.
De toute évidence, du moment où l’accord ne concerne pas le Sahara Occidental, le Front Polisario ne dispose d’aucune qualité pour agir en annulation. En revanche, on précisera qu’à aucun moment la CJUE n’a discrédité la légitimité du Front Polisario, comme le laisse penser le communiqué du MAEC.
Bien au contraire, le paragraphe 35 de l’arrêt se réfère à la résolution 34/37 de l’Assemblée Générale des Nations Unies :
Le 21 novembre 1979, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté la résolution 34/37 sur la question du Sahara occidental, dans laquelle elle a (…) « [d]éplor[é] vivement l’aggravation de la situation découlant de la persistance de l’occupation du Sahara occidental par le Maroc », (…) et « [r]ecommand[é] à cet effet que le [Front Polisario], représentant du peuple du Sahara occidental, participe pleinement à toute recherche d’une solution politique juste, durable et définitive de la question du Sahara occidental, conformément aux résolutions et déclarations de l’[ONU] ».
3. « Le « polisario » a, ainsi, été condamné à assumer tous les frais engendrés par la procédure judiciaire » : Cette affirmation du MAEC n’est ni hâtive ni approximative. Elle est juste : Fausse.
Le Front Polisario a effectivement été condamné aux dépens, vu que son recours a été jugé irrecevable, du moment où, faut t-il le rappeler, la CJUE confirme que le Sahara Occidental n’est pas le Maroc.
Toutefois, les autres parties en présence ont également été condamnées à supporter leurs propres dépens. Peut-on avancer dans ce cas là que le Front Polisario assumera TOUT LES FRAIS ? Paragraphes 139 et 141 de l’arrêt :
139 En l’espèce, le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, la République française et la République portugaise ainsi que la Commission, qui avait la qualité de partie intervenante en première instance, supporteront leurs propres dépens.
141 En l’espèce, il y a lieu de décider que la Comader supportera ses propres dépens.
4. « Le Royaume du Maroc constate, par ailleurs, que les conclusions de la Cour ne remettent pas en cause la légalité et la légitimité de la conclusion par le Maroc d’Accords internationaux couvrant la région du Sahara marocain ».
Cette affirmation sans le moindre fondement intervient au moment où l’arrêt stipule de manière claire, nette et précise que l’accord de libéralisation aussi bien que l’accord d’association qui l’englobe, ne sont pas applicables au Sahara Occidental. Les paragraphes 107 et 132 (Entre autres) sont inéquivoques :
107 Dans ces conditions, le fait de considérer que le territoire du Sahara occidental relève du champ d’application de l’accord d’association est contraire au principe de droit international de l’effet relatif des traités, lequel est applicable dans les relations entre l’Union et le Royaume du Maroc.
132 Ainsi qu’il découle des motifs exposés aux points 83 à 125 du pré
sent arrêt, l’accord de libéralisation doit toutefois être interprété, conformément aux règles pertinentes de droit international applicables dans les relations entre l’Union et le Royaume du Maroc, en ce sens qu’il ne s’applique pas au territoire du Sahara occidental.
sent arrêt, l’accord de libéralisation doit toutefois être interprété, conformément aux règles pertinentes de droit international applicables dans les relations entre l’Union et le Royaume du Maroc, en ce sens qu’il ne s’applique pas au territoire du Sahara occidental.
De plus, la CJUE statue sur la légalité des actes conclus par les institutions européennes et leur conformité au droit européen et au droit international.
La Cour n’est pas et ne sera jamais en mesure de donner « Carte blache » au Royaume du Maroc pour inclure de facto le Sahara Occidental dans les actes juridiques qu’il engage, comme le laisse penser le communiqué du MAEC.
5. Enfin, on notera que le communiqué du MAEC a été publié en même temps qu’un communiqué de la CJUE[2], dont le titre ne prête à aucune confusion :
«Les accords d’association et de libéralisation conclus entre l’UE et le Maroc ne sont pas applicables au Sahara occidental ».
Le communiqué de la CJUE stipule également :
Compte tenu du statut séparé et distinct garanti au territoire du Sahara occidental en vertu de la charte des Nations Unies et du principe d’autodétermination des peuples, il est exclu de considérer que l’expression «territoire du Royaume du Maroc», qui définit le champ territorial des accords d’association et de libéralisation, englobe le Sahara occidental et, partant, que ces accords sont applicables à ce territoire.
L’idée principale que l’on peut tirer de la lecture de l’arrêt de la CJUE est que le Sahara Occidental n’est pas le Maroc. En contrepartie, le MAEC, à travers son communiqué, donne l’impression de vouloir chercher la moitié remplie d’un verre complètement vide.
Si ce communiqué avait eu pour source une agence de presse ou un quelconque média, cela aurait pu être « De bonne guerre ». Dans ce contexte, on est en droit de s’interroger sur la crédibilité d’une institution officielle, un département ministériel de souveraineté, qui publie et assume un tel communiqué.
Pour conclure, le communiqué du MAEC semble être destiné à la consommation interne. Le Ministre Nazi Joseph Goebbels a bien dit[3] « C’est l’un des droits absolus de l’État de présider à la constitution de l’opinion publique ». On lui attribue également la citation : « Plus le mensonge est gros, plus il passe ».
25.12.16
Djalel Benabdoun
benabdoun[at]ymail.com
[1] Le communiqué du MAEC du 21 décembre 2016 est disponible sur les liens :
et
[2] Communique de presse n° 146/16. Luxembourg, le 21 décembre 2016, disponible sur le lien : http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2016-12/cp160146fr.pdf
Source : Blog Sahara Occidental