Le phosphate du sang d’Hillary Clinton

Stephen Zunes

La candidate à la présidence américaine doit rompre les relations entre sa Fondation et le Maroc et renoncer à son financement par l’Office chérifien des phosphates, en respect des lois internationales.
Pendant plus d’un demi siècle, une série de résolutions de l’ONU et de décisions de la Cour internationale de Justice ont confirmé les droits des habitants de pays soumis au colonialisme ou à une occupation militaire étrangère. Entre autres, le droit de « disposer librement des richesses et ressources naturelles » qui « doit être basé sur les principes d’égalité et sur le droit des peuples et des nations à l’auto-détermination ».
Dès 1962, les Nations unies ont établi que le « droit des peuples et des nations à une souveraineté permanente sur leurs richesses et ressources naturelles doit être exercé dans l’intérêt de leur développement national et du bien-être du peuple du pays concerné », ajoutant que « la violation des droits des pays et des nations à la souveraineté sur leurs richesses naturelles est contraire à l’esprit et aux principes de la Charte des Nations unies ». Ceci reflète le principe légal historique, réitéré par l’Assemblée générale, établissant « le droit des peuples des territoires non autonomes à jouir de leurs ressources naturelles et leur droit à disposer de ces ressources dans leur intérêt ».
De la même manière, une série de décisions de la Cour internationale de Justice concernant la Namibie, Nauru, Timor-Est et la Palestine a codifié plus précisément les droits des peuples non autonomes au contrôle de leurs ressources naturelles.
La violation contemporaine sans doute la plus grave de ce principe légal international historique touche la nation du Sahara occidental, l’ancienne colonie espagnole occupée et annexée par le Maroc en 1975. Le Maroc a ignoré les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et une décision capitale de la Cour internationale soulignant le droit du peuple sahraoui – qui est ethniquement et linguistiquement distinct d’une grande partie des Marocains – à l’auto-détermination. La France et les États-Unis membres permanents qui ont un droit de veto et alliés de longue date du Maroc, ont empêché les Nations unies de faire appliquer ses résolutions.
Le gouvernement marocain et ses alliés se réfèrent aux projets de développement ambitieux et à grande échelle du royaume au Sahara occidental, particulièrement dans les zones urbaines. Plus de $2,5 milliards ont été consacrés à l’infrastructure du territoire, beaucoup plus que ce que le Maroc n’a tiré des ressources du Sahara occidental et plus qu’ils n’obtiendraient dans un futur proche. Pour expliquer cela, les alliés du régime prétendent que les Marocains ont répondu aux exigences concernant les intérêts, le bien-être et les besoins en termes de développement de la population indigène.
Cependant, la plus grande partie de ce développement infrastructurel dans le territoire occupé n’a pas été conçue pour élever le niveau de vie du peuple sahraoui, mais a, au contraire, été consacrée à l’élaboration d’un système de sécurité interne des bases militaires, des installations de police, de surveillance et d’équipements liés à ce système – construction d’habitations, aides financières et autres subventions attribuées aux colons marocains, aéroport, port et équipements de transport visant à accélérer l’extraction des ressources. Plus fondamentalement, les décisions sur la manière d’utiliser les revenus des mines et de la pêche sont prises par le gouvernement marocain dans la capitale, Rabat, et non par la population soumise.
En 2002, Hans Corell, alors secrétaire général adjoint pour les Affaires juridiques de l’ONU établissait que l’exploitation des ressources naturelles au Sahara occidental est « une violation des principes de la loi internationale applicable aux activités minières dans les Territoires non autonomes ». Malheureusement, cela n’a pas arrêté les compagnies minières, pétrolières et de pêche du Maroc, d’Europe et des États-Unis de voler le peuple sahraoui ou d’essayer d’influencer leurs dirigeants politiques.
Par exemple, l’Office chérifien des phosphates (OCP), une compagnie minière d’État qui contrôle l’une des mines de phosphate les plus grandes du monde au Sahara occidental occupé, fut le premier donateur de la conférence Clinton Global Initiative en mai dernier à Marrakech. La Fondation Clinton a reçu de l’OCP un total de $5 millions, ce qui a fait tiquer certains, d’autant qu’Hillary Clinton essayait, en tant que secrétaire d’État, de pousser l’administration Obama à reconnaître l’annexion illégale du territoire par un plan douteux d’ « autonomie » promu par le roi Mohammed VI qui priverait le peuple sahraoui de la possibilité d’indépendance, contrairement à ce qu’exige la loi internationale.
Il y a environ cinq ans, l’opposition de Michael Posner, alors assistant secrétaire d’État pour la Démocratie et les Droits humains, avec quelques sénateurs démocrates influents et des membres du Conseil national de sécurité, a convaincu la Maison Blanche d’encourager, au contraire, les négociations sous tutelle de l’ONU entre le Maroc et le gouvernement en exile du Sahara occidental, la République arabe sahraoui démocratique, RASD. La RASD a été reconnue par de nombreux gouvernements et est membre à part entière de l’Union africaine dont le Conseil pour la Paix et la Sécurité a appelé à un « boycott international des produits des compagnies impliquées dans l’exploitation illégale des ressources naturelles du Sahara occidental ».
Depuis qu’elle a quitté son poste dans le cadre de sa campagne présidentielle, Hillary Clinton a continué de s’exprimer en faveur de la monarchie autocratique. Lorsqu’elle s’est adressée au forum de Marrakech, elle a qualifié le Maroc de « plateforme vitale pour les échanges culturels et économiques », remerciant le régime « pour son accueil et son hospitalité ». Un certain nombre de soutiens décisifs comme le juge Justin Gray et l’ancien membre du Congrès Toby Moffett, sont des lobbyistes officiels du régime marocain.
Cela n’est pas passé inaperçu au Capitole. « Vous avez entendu parler des diamants du sang, mais par maints aspects, on peut dire que l’OCP vend du phosphate du sang », a déclaré le député Joe Pitts.
« Le Maroc a pris le contrôle du Sahara occidental pour exploiter ses ressources, et c’est l’une de ses principales compagnies est impliquée ».
Pitts et le représentant du New Jersey, Chris Smith, président du sous-comité pour les Droits de l’Homme du Comité du congrès pour les Affaires étrangères, ont envoyé une lettre à la Fondation Clinton. « En respect pour les règles internationalement reconnues en matière de droits humains, la Clinton Global Initiative devrait rompre ses liens avec l’OCP et lui rendre tout le financement qu’elle a reçu de cette entreprise ». La Fondation n’a pas répondu.
En tant que juriste très au fait des affaires internationales, Clinton connaît, sans aucun doute, les questions légales et morales concernant l’occupation marocaine du Sahara occidental et l’inconvenance évidente à accepter de l’argent d’une compagnie d’État qui exploite illégalement les ressources naturelles d’un Territoire non autonome.
Le fait qu’elle le fasse quand même ne manque pas de poser des questions troublantes.
Traduction Christine Abdelkrim-Delanne
Source :
*Stephen Zunes est professeur de Politique et Président des Études sur le Moyen-Orient à l’Université de San Francisco

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