Comment expliquez-vous la volonté du Maroc de réintégrer les rangs de l’Union africaine ?
D’abord parce qu’il a réalisé que la politique de la chaise vide était néfaste et qu’il s’était éloigné de l’Afrique, qui représente un poids politique important au sein de l’ONU. Et je pense aussi qu’il a réagi à la position de l’Afrique de dépêcher l’ancien président du Mozambique, Joaquim Chissano, auprès du Conseil de sécurité pour défendre la question du référendum d’autodétermination du peuple sahraoui. Il y a aussi le fait que le Maroc compte beaucoup d’amis en Afrique de l’Ouest, essentiellement le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Gabon, qui l’ont convaincu de l’utilité d’être présent dans ce forum.
Le roi du Maroc est allé jusqu’à suggérer, dans son message au Sommet de l’UA, que le retour de son pays est une manière de «guérir l’Union africaine de son mal», visant par là la présence du Sahara occidental…
Je pense qu’il a surtout réalisé que sa sortie de l’OUA, il y a 32 ans, lui a fait perdre beaucoup de positions diplomatiques en Afrique. Et qu’il était insuffisant d’être en Afrique uniquement sur le plan commercial, économique ou dans la formation des imams. Il a réalisé qu’on ne pouvait pas négliger le poids et le rôle de l’UA dans le règlement de la question sahraouie.
Vous avez qualifié, dans une déclaration, que cette demande d’adhésion à l’UA peut être considérée comme une victoire de la diplomatie algérienne. En quoi est-ce une victoire, si ce siège marocain peut être considéré comme celui d’un adversaire, notamment sur la question sahraouie ?
Je pense que c’est une victoire pour la diplomatie algérienne, mais avant tout pour la cause sahraouie. Certes, le Maroc a le droit de réintégrer l’Union africaine, il en est sorti pour des raisons qui le concernent, mais personne ne peut demander la suspension de la RASD. A ce titre, le Maroc va se retrouver avec les Sahraouis au sein de l’UA. On peut même considérer cette réadhésion du Maroc comme une forme de reconnaissance tacite de la RASD. Personne ne peut envisager de suspendre la RASD parce que, selon les textes constitutifs de l’UA, seules les prises de pouvoir illégales (c’est-à-dire les coups d’Etat) peuvent entraîner la suspension d’un membre. A ce titre, si le Maroc est disposé à cohabiter avec les Sahraouis, je pense que c’est une avancée diplomatique importante pour les Sahraouis et pour l’Union africaine.
Cette réintégration pourrait être aussi une manière de faire rallier le maximum de pays africains à la position marocaine sur la question sahraouie…
Les principaux pays africains — Afrique centrale et australe et quelques pays d’Afrique de l’Ouest — ont connu des situations de colonisation et mesurent la réalité de l’indépendance. Ce sont d’anciennes colonies américaines, françaises ou portugaises et ont une attitude très claire concernant la question de l’autodétermination et du parachèvement de la décolonisation de l’Afrique. Avec la question sahraouie, l’Afrique reste le dernier continent à décoloniser… C’est un continent qui a un parcours marqué par des processus de décolonisation ayant commencé dans les années 1960-70 et qui s’est malheureusement arrêté en 1975 avec la colonisation du Sahara occidental. Quelques pays d’Afrique de l’Ouest et surtout le Sénégal — qui est le fer de lance du retour du Maroc à l’UA — disent vouloir suspendre la RASD jusqu’à l’issue du référendum d’autodétermination.
C’est là un discours inacceptable car personne ne fait rien pour que le référendum se tienne, surtout le Sénégal. Les pays qui sponsorisent et soutiennent le retour du Maroc, sont eux-mêmes les principaux obstacles à la tenue du référendum d’autodétermination pour le Sahara occidental. Leur discours relève d’une duplicité tout à fait inacceptable.
Quelle pourrait être aujourd’hui l’attitude de l’UA face à la demande marocaine ?
Une très grosse pression s’exerce en ce moment sur la commission pour qu’un candidat d’Afrique de l’Ouest très proche du Maroc prenne la présidence de la commission et succède à Mme Zuma. Il y a déjà eu un report de l’élection du président de l’UA après des pressions exercées par les Etats d’Afrique de l’Ouest. C’est pour cela que lors du dernier vote, il y a eu plus d’abstentions que de voix en faveur des candidats. La demande du retour du Maroc est donc accompagnée par une très grande pression des amis du royaume, pour avoir la présidence de la Commission africaine. L’UA a constamment fonctionné de la sorte, il y a toujours eu deux groupes avec des intérêts diplomatiques différents.
D’une part, l’Afrique de l’Ouest qui fait jonction avec le Maroc et la diplomatie française, d’autre part le reste de l’Afrique qui a une diplomatie plus ou moins autonome. Donc l’enjeu, maintenant, est d’avoir la présidence de la commission. Même si cette présidence échoit aux amis du Maroc, cela ne lui donne pas le pouvoir absolu pour suspendre la RASD ou inverser le rapport de force au sein de l’UA. Ce dernier n’est pas favorable aux amis du Maroc en ce moment.
Nadjia Bouaricha