Au 19e siècle, quand les puissances européennes de l’époque étaient engagées dans la course aux colonies, cette politique était désignée sous l’expression de «diplomatie de la canonnière». Elle consistait d’abord, tout simplement à régler au canon les différends financiers entre les grands Etats prêteurs et des pays plus faibles éprouvant des difficultés à honorer leurs dettes. Ensuite à donner l’artillerie contre les récalcitrants qui refusaient, par exemple, une occupation coloniale. Sous d’autres formes, néo-impériales ou néocoloniales, la doctrine survivra à ses promoteurs.
Le roi Mohamed VI aurait-il le background diplomatique nécessaire pour s’inspirer de ce procédé contraire à la bienséance internationale ? On peut raisonnablement s’autoriser le doute, car une diplomatie offensive suppose une possession de moyens idoines. Ce que, en l’état actuel, la monarchie alaouite ne semble pas détenir. Ce n’est ni «Diplomatie de la canonnière» ni «Doctrine du Big Stick» (Gros bâton) mise en œuvre par les Etats-Unis au début du 20e siècle pour protéger leurs intérêts par le recours à la force, y compris l’interventionnisme militaire. Et pourtant depuis quatre mois, la diplomatie marocaine ouvre les fronts l’un après l’autre. En fait, une diplomatie bien conduite ne se fait pas plusieurs ennemis à la fois. Or, ces derniers temps, depuis la pacifique et généreuse Suède jusqu’à l’asiate Ban Ki-moon en passant par l’Union européenne, le Maroc n’arrête pas d’enfourcher les chevaux d’une improbable cavalcade. L’Algérie n’a même pas besoin d’être citée comme faisant partie de la première ligne de front de cette offensive tant elle est habituée aux accusations récurrentes de son voisin de l’Ouest.
Ce 14 mars, ce fut au tour du Secrétaire général de l’ONU, mais également son représentant Envoyé personnel pour le Sahara occidental, d’être livré en pature, à Rabat, à des foules mobilisées et chauffées à blanc. Raison de l’ire du royaume et de son bras séculier le Makhzen : M. Ban Ki-moon n’a fait ni plus ni moins que son métier et exercé les prérogatives qui lui sont conférées par le Conseil de sécurité de l’ONU en se rendant dans les camps de réfugiés sahraouis de Tindouf pour relancer le processus d’autodétermination bloqué par la partie marocaine. Incarnation, de par ses fonctions, de la légalité internationale, il est reproché au Secrétaire général de l’ONU «ses dérapages verbaux sur le Sahara marocain» (sic). Le roi Mohamed VI peut-il exercer un droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU ? Non. Alors à quoi rime ce carnaval diplomatique ?
Le 28 septembre 2015, préfigurant la levée de boucliers contre le SG de l’ONU, une crise diplomatique majeure avec la Suède avait été sciemment provoquée par Rabat pour contraindre Stockholm à revenir sur son soutien au droit à l’autodétermination du peuple sahraoui. Mais le revers le plus cinglant infligé au Maroc pour sa politique expansionniste et son refus d’appliquer les résolutions pertinentes de l’ONU sur le Sahara occidental n’est pas politique. Il est beaucoup plus contraignant et indiscutable car il est juridique et c’est la raison pour laquelle il a mis en émoi et secoué tout l’Establishment monarchique. Il s’agit de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne qui a annulé, le 10 décembre dernier, l’accord commercial portant sur les produits agricoles, signé en 2012 entre le royaume du Maroc et l’Union européenne (UE). La justice européenne a ainsi donné droit au Front Polisario pour qui cet accord, pour un territoire au statut contesté, est en contravention avec le droit international et les engagements de l’UE.
On le voit, ce n’est plus un Jubilé royal, c’est carrément un «3 en 1» qui, en bonne logique, devrait amener le Maroc à se retirer de l’ONU comme il l’avait fait de l’OUA pour reconnaissance «déplaisante» du Front Polisario.
A. S.
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