De notre bureau de Bruxelles, Aziouz Mokhtari
Les Européens moins la France, pas même l’Espagne, sont inquiets des conséquences de la ruade de Mohammed VI à l’adresse de Ban Ki-moon.
Le roi du Maroc prétextant une absence prolongée du pays, espérait par ce geste stupide empêcher le SG de l’ONU d’effectuer sa tournée générale dans la région exclusivement consacrée au Sahara occidental.
Le patron de l’instance onusienne que ses proches décrivent comme un homme «calme», «réservé» mais «pugnace» et «persévérant», a donc, comme prévisible, envoyé sur les ronces le souverain du Maroc. Moon, comme l’appellent ses collaborateurs, a non seulement refusé les «caprices» du roi mais a maintenu, en précisant les contours de l’ordre du jour, les objectifs du voyage.
Le pire pour Rabat est que le SG de l’ONU a tenu à se rendre dans les camps des réfugiés sahraouis à Tindouf comme réponse à la démarche inconsidérée du Makhzen.
Selon des sources autorisées dans la capitale européenne, la majorité des pays de l’UE, y compris l’Espagne traditionnellement mi-figue, mi-raisin sur le dossier sahraoui, ont tenté d’expliquer à la diplomatie marocaine la «folie» de ne pas recevoir Ban Ki-moon. A partir d’un certain moment, Bruxelles avait eu la sensation que Rabat s’inscrirait dans le droit chemin et accepterait d’accueillir le SG de l’ONU et de lui permettre, comme il le souhaitait, d’aller à Laâyoune. Cependant, volte-face complète, début de la semaine dernière. Les ambassadeurs du Maroc à Bruxelles, chargés du Bilatéral (Belgique) et du Multilatéral (Union européenne) informent la Commission du président Jean-Claude Juncker de la décision finale. Mohammed VI ne peut, en l’état, accepter que Ban Ki-moon se rende à Laâyoune de peur, arguent-ils, «des heurts que le Polisario ne manquera pas de provoquer, profitant de l’occasion».
Federica Mogherini, chargée des relations extérieures de l’UE et n°2 du gouvernement de l’Europe, est «missionnée» pour amener le Maroc à raison garder.
Rabat qui ne tient pas en odeur de sainteté cette «Italienne» qui ose déclarer à plusieurs reprises que l’Union européenne «s’en tient à la légalité internationale» sur le Sahara occidental refuse la médiation de bons offices et réclame en contre-partie de son éventuel acquiescement, une position «claire» sur la décision de justice de Luxembourg, d’annuler l’accord agricole contracté entre l’UE et le Maroc et englobent le Sahara occidental.
En définitive, le Maroc exige de Mogherini qu’elle proclame, ouvertement et publiquement, que Bruxelles jette par-dessus bord la décision de la justice européenne !
Pure folie ! quand bien même par une entourloupe diplomatique, Federica Mogherini avait pu suggérer que d’autres combines étaient possibles pour continuer le pillage des ressources du Sahara occidental, cela aurait été perçu comme effroyable et les magistrats de Luxembourg pouvaient actionner d’autres mécanismes pour faire appliquer leur décision.
Bruxelles refuse dès lors le chantage et Mogherini informe, officiellement, la diplomatie marocaine de la volonté européenne de s’en tenir au droit et uniquement au droit sur le Sahara occidental. Le droit européen et/ou international.
Appuyé au sein de la Commission européenne par le seul Pierre Moscovici, représentant de la France, le Maroc choisit alors la fuite en avant, le refus de regarder la réalité en face et la ruade.
Une ruade est un coup de sabot donné par un animal d’élevage (cheval, âne ou bœuf) à l’aide d’un membre postérieur ou des deux (Wikipedia).
Rabat, dès lors, s’enfonce dans le déni et suspend «tout contact» avec l’Union européenne sans préciser si cette suspension était temporaire, conditionnelle ou définitive et si elle (la suspension, ndlr) signifiait l’annulation des accords dont celui d’association avec Bruxelles… Benkirane, le Premier ministre, ne l’a pas précisé, attendant sans doute des gestes d’apaisement de Bruxelles, qui ne viendront pas.
L’Union européenne ne peut plus rien pour le Maroc sur le dossier sahraoui. Et Ban Ki-moon sera cette semaine dans la région…
A. M.
Le Soir d’Algérie, 02/03/2016