Chronique d’une mascarade annoncée : le référendum du 1er juillet 2011 (vu par Abdellatif Laabi)

Quatre ans et quelques poussières nous séparent de ce jour mémorable du 20 février 2011. Cette nouvelle page dans l’histoire du Maroc contemporain aura été l’œuvre, faut-il le rappeler, d’une poignée de Citoyens marocains, épris de justice sociale et de légitimes aspirations à la liberté et à la démocratie. Peu importe la tournure ultérieure des événements de ce printemps démocratique des peuples d’Afrique du nord et du Proche-Orient, la vague de répression et des arrestations, le sang des martyrs du 20 février, les procès politiques, les postures opportunistes de nos piètres élites, la corruption des âmes et l’achat des consciences ; peu importe tous ces événements qui nous ont fait rater un précieux rendez-vous avec l’histoire, c’est dans des épreuves comme celles-ci que l’on reconnaît les grandes hommes des petites, les héros des parasites, ceux qui luttent pour la liberté et pour la dignité humaine de leurs concitoyens et ceux, toujours les mêmes, qui trahissent leurs peuples pour se ranger dans le camp des oppresseurs. L’écrivain marocain Abdellatif Laâbi, qu’on ne présente plus, fait incontestablement parti de la première catégorie, celle des très rares intellectuels engagés. Resté fidèle à son combat pour la démocratie, pour un Maroc libre et laïc, combat pour lequel il a payé un lourd tribut, il publia en 2013 «Un Autre Maroc Lettre à mes Concitoyens», un livre touchant de sincérité à l’attention des Marocains, de tous les Marocains. Il y parle de l’ancien règne et du nouveau, des erreurs du passé et de celles du présent, de ses déceptions mais aussi de sa ferme conviction que notre peuple accédera tôt ou tard à la liberté. En voici un fragment significatif où il nous livre un regard sans concession sur la mascarade du référendum du 1er Juillet 2011 et, à la fin, le grand Laâbi rend le plus beau des hommages aux jeunes militants du mouvement du 20 février. 
De l’immense espoir que le printemps arabe avait fait naître en nous et du goût de l’avenir qu’il avait restitué à notre jeunesse, il ne reste aujourd’hui que le désenchantement, qu’un arrière-goût d’amertume. La réforme constitutionnelle dont nous attendions une refonte de notre système politique inauguré par un acte fondateur, celui du démantèlement du système Makhzen et de l’abolition des archaïsmes les plus criants liés à l’institution monarchique, levant ainsi l’obstacle à l’instauration de l’état de droit, cette réforme, contrairement à ce que propage ses thuriféraires, s’est révélée être un miroir aux alouettes, un champ semé de mirages. Ce monument de verbiage, ce tissu d’approximations, de déclarations d’intention et parfois de contradictions, cet habillage à l’Arlequin d’un texte qui aurait dû énoncer simplement et clairement les fondamentaux et les règles sur lesquels se sont érigés toutes les démocraties dignes de ce nom, n’a fait que brouiller les cartes et nous renvoyer à la case départ. Pourquoi un tel ratage ? C’est que le ver était déjà dans le fruit. Le scénario avait été écrit à la hâte, dans la panique, sous la pression des événements et non à la faveur d’un choix mûrement réfléchi, s’inscrivant dans une vision, celle d’un projet de société en rupture avec l’existant, d’une avancée civilisationnelle.
Je ne veux pas me perdre derechef en conjectures sur les motivations plus personnelles du chef de l’état et de son entourage. Je m’en tiens aux faits, suffisamment révélateurs : la décision unilatérale de désigner une commission retreinte chargée de rédiger le texte et de ne consulter sur la mouture en préparation que les trente et quelques partis ayant pignon sur rue, dont les trois quarts sont des entités plus virtuelles que réelles ; le fait de n’avoir pas associé comme interlocuteurs à part entière des forces vives à la légitimité incontestée, représentées par les associations de la société civile, les mouvements féministe et de défense des droits humains, celui de la jeunesse contestataire du 20 février, sans parler d’individualités, hommes et femmes reconnus pour leur rectitude morale, leur indépendance d’esprit et leur compétence dans divers domaines de l’activité intellectuelle, artistique et scientifique. À cela s’ajoutent les délais dérisoires fixés pour boucler le texte et le rendre public, pour l’organisation et le déroulement de la campagne référendaire ; les méthodes d’une ère qu’on croyait révolue, utilisées afin d’obtenir un oui massif ; la place plus que marginale accordée dans les médias au camp des hésitants et à celui, même minime, du refus. Si nous nous en tenons aux actes, le scénario qui a été finalement tourné ne diffère en rien sur la forme et peu sur le fond de ceux qui nous ont produit depuis l’indépendance les Constitutions successives que nous avions jugées à juste titre « octroyées ». Ce sont là des faits têtus qu’aucune démonstration, si savante soit-elle, ne saurait sérieusement réfuter […]
Les péripéties qui ont suivi (référendum, élections législatives, arrivée en tête du Parti de la justice et de développement, formation du gouvernement dirigé par M. Benkirane) vont changer complètement la donne. Finie, la récréation ! Les rêves et les faux espoirs se sont fracassés sur le roc d’une réalité que nous avions presque oubliée : l’institution qui détient chez nous les rênes du pouvoir a toujours pratiqué l’endogamie politique […]

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