Mohamed VI se projette déjà sur l'après-Hollande

Le froid dans les relations franco-marocaines laisse à penser que le nuage est loin de passer. Le climat diplomatique est loin de s’apaiser pour un retour au calme et à la case de vocation, au sein de laquelle la France a toujours émis des « réactions émotives » à l’égard du Maroc, dont elle se fait l’agent et le défenseur auprès de la communauté internationale en ce qui concerne la violation des droits de l’homme dans ce pays et l’occupation tout à fait colonial du Sahara occidental. 
Le Makhzen, paniquant à cette situation, vient d’actionner ses relais en France pour presser l’Elysée de lâcher du lest. Le président du groupe d’amitié France-Maroc à l’Assemblée nationale française, Luc Chalet, sous la dictée de Rabat, a apostrophé le Premier ministre, Manuel Valls, sur le refroidissement des relations entre le Maroc et la France. 
Manuel Valls, également sous pressions multiples sur cette question, a plaidé devant le parlement français pour un retour rapide des relations entre le Maroc et la France, appelant les deux pays à « dépasser » un « épisode basé sur de nombreuses incompréhensions », a-t-il dit. « La France est l’ami du Maroc et le Maroc est l’ami de la France (…) parce que chacun doit y contribuer. Il nous faut dépasser cet épisode, me semble- t-il, sur de nombreuses incompréhensions ». C’est peut-être vrai. Mais la vérité est loin d’être dite. Des incompréhensions évoquées par le Premier ministre français, il s’agit en réalité d’une série de plaintes qui ont été déposées devant le justice française, visant de hauts digni- taires marocains. Depuis, le torchon brûle entre Paris et Rabat, suite surtout à la plainte déposée au mois de févier 2014 visant Abdellatif Hammouche, le chef des renseignements marocains. « La relation s’est distendue. 
Pendant 20 ans, la France a eu des égards particuliers pour le Maroc. Ce n’est plus le cas », a décrypté l’historien, spécialiste du Maghreb, Pierre Vermeren. La brouille a été déclenchée le 20 février 2014 par une descente de police à la résidence de l’ambassadeur marocain à Paris, pour notifier une demande d’audition de la justice française au patron de la DGST, Abdellatif Hammouche. La querelle s’est envenimée par d’autres dépôts de plainte en France, ainsi qu’une série d’impairs diplomatiques, dont une fouille inopinée du ministre marocain des Affaires étrangères, Salaheddine Mezouar, à l’aéroport parisien de Roissy, en mars, ou une saillie ironique contre le Maroc prêtée à un diplomate français, à propos du Sahara occidental, « cause sacrée dans le royaume ». 
Même si Paris continue de soutenir Rabat sur cette question, le Makhzen voit d’un très mauvais œil le rapprochement franco-algérien. Par ailleurs, entre les deux chefs de la diplomatie française et marocaine, Laurent Fabius et Salaheddine Mezouar, la relation n’est pas, non plus, au beau fixe. Leur première rencontre remonte au 23 octobre 2013 à Paris, avant que les deux diplomates ne s’envolent pour Barcelone pour participer à un déjeûner avec les dix ministres du pourtour méditerranéen et animer la cérémonie de clôture d’un forum de l’Union pour la Méditerranée. Vieux routier de la diplomatie, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, avait gâché la fête en montant aussi à la tribune, avait-on rapporté. A Barcelone, Mezouar a fait part des difficultés d’une Europe en crise qui se tourne davantage vers l’est, de la nécessité des pays du Sud de se tourner vers l’Inde et la Chine, à l’étonnement de son homologue français, Fabius. 
Depuis, l’accumulation de ces querelles diplomatiques va de mal en pis. « Le climat est malsain et rappelle les pires moments de la relation. Sous De Gaule, elle avait été mise à mal par l’af- faire Ben Barka, du nom de cet oppo- sant socialiste marocain disparu à Fontenay-le-Vicomte mais, ensuite, Paris et Rabat avaient connu une lune de miel sous les autres présidents de droite. En 1981, Hassan II n’avait pas prévu l’avènement de François Mitterrand, qui n’avait jamais été considéré comme un ami du royaume. La coopération avait tout de même résisté à la sortie du pamphlet au vitriol de Gilles Perrault « Notre ami le roi », au discours de La Baule sur la démocratisation en Afrique et au soutien affiché par la Première dame, Danièle Mitterrand, au Front Polisario, même si la position officielle- neutralité bienveillante à l’égard du Maroc sur le Sahara- n’a jamais changé. Entre Hassan II et Lionel Jospin, les contacts ont été très froids…). Droite et gauche française se partagent, en quelque sorte, le rôle pour ne pas perdre le Palais royal et jouent sur les sentiments diplomatique, comme vient de le prouver le Premier ministre, Manuel Valls, en déclarant tenter de calmer le jeu: « Le Maroc est l’allié majeur de la France contre l’islamisme radical et le trafic de drogue ». Un leurre, si l’on sait que le Makhzen ne s’est jamais exprimé ouvertement sur la lutte anti-terroriste dans la région. Le Maroc s’est tenu toujours à distance des initiatives de l’Algérie et des pays du Sahel quant à coordonner cette lutte. Maintenant, si Manuel Valls de trafic de drogue, il feint de dire que si l’Arabie saoudite est le premier exportateur de pétrole dans le monde, le Maroc est, quant à lui, le premier exportateur de drogue, après la Colombie. Le Premier ministre français, sur ce phénomène, ne fait que cacher la vérité. Au fond de sa pensée politique, il tient à ramener le Makhzen sur le champ de la coopération sécuritaire. Une coopération sécuritaire cruciale entre les deux pays, qui ont chacun des centaines, voire des milliers, de ressortissants tentés par le djihad ou enrôlés au sein du groupe Etat Islamique, et souffrant de cette dispute. On tente à l’Elysée de chouchouter le Palais royal pour des considérations internes purement sécuritaires et politiques, surtout que le royaume est soupçonné de revenir à ses premiers amours avec la droite française. « Deux pays aussi proches ne peuvent pas se permettre d’avoir une mauvaise relation », se persuade un diplomate français. « Les Marocains ont besoin de nous pour bénéficier des largesses de l’Europe mais aussi sur la question du Sahara occidental au Conseil de sécu- rité de l’ONU où nous les protégeons ». Pas sûr que le Maroc accepte la main tendue de la France, dont il dénonce le manque de « volonté politique » pour résoudre cette crise de confiance. Mohamed VI semble déjà se projeter dans l’après-Hollande et travaille ses réseaux au sein de la droite française qui le lui rend bien, indiquent diverses sources à Paris. Nicolas Sarkozy et ses proches, notamment Claude Guéant, Bernard Squarcini et Luc Chatel, appel- lent l’Elysée à reprendre la coopération diplomatique et sécuritaire avec le Maroc. A. Z.
La Tribune des Lecteurs, 02/02/2015

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