Entre le samedi 6 et le dimanche 7 décembre, la direction du Front Polisario a organisé, à Agouieïnitt une imposante manifestation politique et militaire qui a drainé d’importantes délégations venues de ce qu’on appelle là bas les ‘’territoires occupés’’ et des terres sahraouies, des confins de Rabouni, Tindouf et Tfarity. Un véritable branlebas. Le camp d’Agouieïnitt, à quatre-vingt-dix kilomètres de Zouérate, est devenu, l’espace de quarante-huit heures, la capitale de la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD). Cette année, la direction nationale du Front de libération de la Sagya Hamra et Ouadi Dheheb a décidé de s’y retrouver, afin d’évaluer la situation, dans un contexte essentiellement marqué par un blocage que quarante ans d’existence, dont seize en guerre et dix-huit de négociations, n’ont pas permis de résoudre. Aux intentions indépendantistes sahraouies s’opposent les prétentions marocaines selon lesquelles le Sahara Occidental n’est pas plus qu’une partie du royaume chérifien qu’une poignée d’aventuriers manipulent, dans un enchevêtrement d’intérêts économiques, pour le contrôle d’une zone à l’emplacement géographique stratégique et aux potentialités naturelles prometteuses.
Voyage au bout du Sahara
Nous partons à deux voitures. C’est vers six heures qu’une d’entre elles vient me cueillir. Le froid est glacial. C’est peut-être pourquoi les deux hommes enturbannés déjà installés à bord répondent à peine à mon salamalec. Une heure de va-et-vient pour rassembler les invités nouakchottois aux festivités d’Agouieïnitt. Une bonne équipe de journalistes cosmopolites, composée de vieilles gloires, de peshmergas aguerris, comme moi, et de tout jeunes loups, encore à la fleur de l’âge mais dont la vivacité et le regard présagent de futurs bons successeurs, dignes de leurs prédécesseurs. Sortie de Nouakchott aux environs de sept heures, après avoir fait le plein de pain, d’eau, boîtes de thon, autres biscuits et petits besoins d’un voyage qui promet d’être tumultueux. Cahin-caha, nos deux voitures s’engagent sur l’axe Akjoujt/Atar. On stoppe, pour un thé rapide sous un hangar de fortune, et nous revoilà sur la route. Vers midi, virage de Yagrev, à soixante quinze kilomètres d’Atar. Destination Choum, à cent vingt kilomètres de là, sur une piste rocailleuse et escarpée. Silence total. Certains somnolent. D’autres croquent discrètement quelques biscuits. Un autre essaie de faire parler un enregistreur rebelle. La Nature est complètement austère. Aucune trace de vie. De temps à autre, les maladresses du chauffeur suscitent quelques grognements sans lendemain de l’un ou l’autre des passagers. Après trois heures de vrombissements, nous voilà au poste de gendarmerie situé à plusieurs dizaines de kilomètres de Choum où nous n’arriverons que vers seize heures. Thé, pains et boîtes de thon souffrent alors le martyr classique de ces humbles compagnons de route. Nous voici un peu revigorés et en voiture à nouveau, vers le Sahara. Dur combat contre des océans de sable. Les deux chauffeurs usent de toute leur expérience pour éviter de s’enfoncer dans les méandres de l’Azefal, réputés véritables casse-têtes des conducteurs les plus prétentieux. A vingt heures passées, les lumières du camp militaire d’Agouieïnitt s’annoncent enfin. Après quelques formalités d’usage, nos hôtes sahraouis nous introduisent dans des chambres particulièrement confortables et nous entourent de tous les soins.
Rassemblement politique et manœuvres militaires
Dimanche 7 décembre 2014, le camp grouille de monde. Les drapeaux de la RASD flottent au-dessus des murs. Les combattants (el mougatilline) de l’armée de libération vont et viennent. Tous à la corvée. Sans chefs. Sans subordonnés. Aucune distinction possible. Tous exactement dans la même tenue. Même pour le commandant de la Zone militaire (Nahi’ya). Les treillis du président Mohamed Abdel Aziz et de son ministre de la Défense sont, à s’y méprendre, ceux des plus ordinaires soldats. Salutations et échanges d’amabilités entre civils et militaires. Plusieurs journalistes étrangers circulent dans le camp et alentours. Les délégations de Laayoune, Tintane, Boujdour et autres, communément appelés « territoires occupés », sont là. Celles des « territoires libérés », Tfarity, Rabouni et Agouieïnitt sont également en place. Côté hospitalité, c’est exactement le même cérémonial et les mêmes habitudes qu’en Mauritanie. C’est d’ailleurs ce qui faisait dire, au Premier ministre sahraoui, Abdel Kader Taleb Oumar, que les Sahraouis et les Mauritaniens sont un seul et même peuple que la colonisation a séparé. Et qu’il faudra bien, à l’avenir, que cette réalité se retrouve.
Dimanche, aux environs de 17 heures, c’est la réunion politique. Plusieurs interventions des représentants des ‘’territoires occupés’’. Emouvants témoignages de prisonniers dont certains, fraîchement sortis des geôles marocaines, disent avoir subi toutes sortes de violations des droits humains : torture, viol, abus divers. Dans son intervention, le président Mohamed Abdel Aziz rappelle toute la disposition de la RASD à travailler avec la mission des Nations Unies, afin de trouver une issue pacifique à la question sahraouie. Tout en confirmant que le Front Polisario est prêt à toutes les éventualités, accusant le Maroc d’être responsable du blocage dont souffre actuellement ladite mission onusienne au Sahara occidental, dans son refus déclaré de travailler avec son envoyé spécial, Christopher Ross, et la fermeture de ses frontières aux inspecteurs. Puis Mohamed Abdel Aziz exhorte ses compatriotes vivant en Mauritanie à sensibiliser les Mauritaniens sur l’importance de l’indépendance du Sahara, « rempart aux revendications expansionnistes marocaines sur la Mauritanie ». Il s’en dit convaincu : si, d’aventure, le Royaume du Maroc réussissait à réaliser ses ambitions sur le Sahara, la Mauritanie serait, inévitablement, mangée, tôt ou tard, à la même sauce. Dans la salle, une centaine des combattants de la libération écoutent, armes en bandoulière, religieusement le sermon de leur chef général. Lorsque celui-ci évoque la probabilité d’une reprise des hostilités armées, la salle vrombit d’applaudissements, plusieurs minutes durant. Preuve, commente un des cadres du Front, que l’armée de libération, surtout les jeunes, veulent en découdre avec la ‘’force coloniale’’. Vers vingt-et-une heure, retour au campement. Thé, viande de chameau bouillie et zrig agrémentent la soirée des invités de la RASD. Le lendemain lundi 8 décembre, un convoi de plusieurs dizaines de voitures se dirige vers le champ où des manœuvres militaires sont prévues. Après quelques explications théoriques de la simulation d’attaque du mur marocain présentées par un soldat, les combattants de la Nahi’ya 4 (zone 4) procèdent à des manœuvres avec feux nourris d’armes de toutes sortes et de tout calibre, suivies par des centaines de civils perchés sur les sommets des montagnettes avoisinant les opérations. Des jeunes filles accompagnent les tirs de youyous interminables, sous les yeux alarmés de quelques septuag
énaires, hommes et femmes, qui ont tenu, malgré leur âge, à assister à ces manifestations.
énaires, hommes et femmes, qui ont tenu, malgré leur âge, à assister à ces manifestations.
La question du Sahara : quelle perspective ?
Le 2 Octobre 2015, la RASD fêtera le quarantième anniversaire de la fondation du Front Polisario. Selon le président Mohamed Abdel Aziz, cette année constituera, inévitablement, un tournant dans la question du Sahara. Les Nations Unies auraient retenu le mois d’avril 2015, pour essayer de changer leur fusil d’épaule et se résoudre à trouver une issue définitive à un problème qui devient de plus en plus encombrant et dont la continuité a des conséquences géostratégiques sur toute la sous-région, en termes de lutte contre le terrorisme, immigration clandestine, trafics en tous genres, criminalité et banditisme transfrontaliers. Les conditions d’un referendum d’autodétermination paraissent de fait réunies. Mais autant le front Polisario est prêt à y aller, autant le Maroc semble toujours s’y refuser, selon le Polisario. Pourtant, la liste électorale sur la base de laquelle il devrait être organisé, serait prête, avec plus de quatre-vingt mille électeurs enregistrés et les mécanismes de vote de la MINURSO sont disponibles. Les orientations de la disposition 7 pourraient bien être mises en œuvre, pour contraindre la partie récalcitrante à accepter, enfin, le compromis. Car, pour les Nations Unies, la question du Sahara est bel et bien une affaire de colonisation. Le Sahara serait, de ce point de vue, « la dernière colonie au Monde ». Pourquoi alors ne pas procéder, une fois pour toutes, au règlement de cette question, conformément au droit de tout peuple à disposer de lui-même ? Les Sahraouis n’ont que deux options, à l’exclusion de la moindre troisième : le Maroc ou l’indépendance. Pourquoi ne pas le leur demander ? Rapidement. Une fois pour toutes. Sans quoi la Communauté internationale ferait preuve de ce qu’elle a des raisons que la raison ne connaît pas.
Sneïba El Kory
Envoyé spécial
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