MONSIEUR LE MINISTRE DES AFFAIRES ETRANGERES ET DE LA COOPERATION
CONFIDENTIEL
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DATE: LE 7 AOUT 20 14 PAGE(S): 0 2,
Objet : Proposition de demande d’un avis juridique à l’ONU au sujet de l’illégalité de la position de l’Algérie de refuser le recensement des populations des Camps de Tindouf
Réf. : Votre note n° 2711 du 31 juillet 2014.
Comme suite à votre note citée en référence, relative à la faisabilité d’une demande par le Maroc d’un avis juridique sur l’illégalité de la position de l’Algérie de refuser le recensement des populations des Camps de Tindouf, j’ai l’honneur de vous informer que j’ai eu hier, à Genève, un déjeuner de travail avec Mme Ruvendrini Menikdiwela, Adjointe de l’Inspecteur Général du Haut Commissariat pour les Réfugiés. Mme Ruvendrini est une connaisseuse du dossier du Sahara. Elle l’a géré au MENA, puis à la Direction de la Protection Internationale, et également en tant qu’Adjointe au Conseiller Juridique du HCR. Elle a effectué plusieurs missions en Algérie notamment au sujet de l’enregistrement. Ci après, les éléments de réponse qu’elle m’a confiés en offsur la faisabilité d’une demande d’un avis juridique sur cette question :
1- L’impératif de l’enregistrement: – C’est une obligation statutaire du HCR, et une obligation internationale du pays hôte. – La mise en œuvre de cette double obligation se heurte à deux obstacles: *Le pays d’asile demeure un Etat souverain qui peut refuser tout recensement ou enregistrement.
*Le HCR n’a aucun moyen de le contraindre à l’effectuer, sinon par le dialogue et/ou épistolairement.
2- Action du HCR pour le recensement des populations des camps :
-Le HCR a eu recours à tous les moyens possibles pour convaincre l’Algérie d’autoriser cet enregistrement, notamment par des lettres des Haut Commissaires successifs aux Présidents algériens, des entretiens avec le Ministre algérien des Affaires Etrangères, l’envoi de missions sur place, des messages, des appels, dans la presse, ou durant les réunions du HCR, mais en vain.
-L’Algérie tient un double langage : en privé, avec les délégations du HCR, elle déclare que le recensement est du seul ressort du Polisario, mais, en publique, elle le lie au règlement politique.
-Le Polisario oppose un refus catégorique, tout en reprenant l’argument politique d’Alger. Bien plus, il va plus loin en menaçant le HCR de l’éjecter des camps et de se passer de son assistance. Les camps de Tindouf sont un état dans l’état, reconnaît-elle.
3- A qui demander l’avis juridique ?
-Le Conseiller juridique du HCR : l’Agence onusienne s’est déjà officiellement prononcée à ce sujet. Aussi, son Conseiller ne fera-t-il que reprendre la doctrine, les écrits et les déclarations précédentes du HCR. Il ne fera rien qui puisse braquer ou mécontenter l’Algérie, afin de ne pas se voir demander de quitter Tindouf ou de compromettre la coopération avec le pays hôte. Le HCR se trouve dans une situation d’impuissance face à 40 ans de refus algérien.
-Le Conseiller juridique de l’ONU : sa compétence n’est pas avérée car la pratique onusienne privilégie la responsabilité du Conseiller juridique de l’Agence ou de l’Institution, en l’occurrence celui du HCR. Ce sera donc un retour à la case de départ. Toutefois, si jamais il décide de se prononcer, il se basera sur l’analyse et l’argumentaire de son collègue du HCR, et évitera, comme ce dernier, de provoquer l’ire d’Alger.
4- Orientation de l’avis juridique: -Comme tous les avis juridiques émis par l’ONU ou ses Agences, celui relatif à l’enregistrement sera manifestement ambivalent et ne recommandera aucune contrainte sur l’Algérie. Il combinera forcément l’obligation humanitaire aux considérations politiques, et donnera satisfaction tant au Maroc qu’à l’Algérie. En d’autres termes, il consacrera fort probablement l’équilibre des intérêts, avec un dommage collatéral pour le Maroc qui sera une légitimation de la conditionnante politique de l’Algérie.
5- L’alternative de l’Union Européenne : -Afin de contourner les incertitudes d’un avis juridique onusien, Mme Ruvendrini recommande de recourir aux pressions de l’Union Européenne qui est le premier fournisseur de l’assistance alimentaire. L’action du Maroc pourrait s’opérer tant bilatéralement qu’auprès de sa Commission, voire le Parlement Européen. Les pressions politiques de Bruxelles produiront plus d’effets que tout avis partagé ou édulcoré du HCR ou de l’ONU. L’Office européen de lutte antifraude (OLAF) avait conclu en 2005, grâce à des images satellites, que les camps de Tindouf étaient pleins de maisons et de tentes non-habitées.
6- Conclusion :
-L’éclairage et la recommandation de notre amie du HCR appellent les observations suivantes:
* Les incertitudes entourant le contenu de la proposition de demande d’un avis juridique au sujet de l’illégalité de la position de l’Algérie de refuser le recensement des populations des Camps de Tindouf, la rendent potentiellement dangereuse, voire à haut risque pour notre pays, car c’est une arme à double tranchant.
* Le Maroc doit éviter d’ouvrir le front de l’avis juridique, car il est potentiellement porteur de réactions similaires de la part de l’Algérie, voire de l’Union Africaine, sur certains aspects de notre cause nationale.
* La demande de l’enregistrement est une arme diplomatique d’importance dont dispose notre pays, car elle gêne grandement l’Algérie et le Polisario. C’est pourquoi, il conviendrait de ne prendre aucun risque qui sera de nature à l’affaiblir ou réduire son impact politique sur ces deux parties.
* Le Maroc gagnerait à optimiser l’exploitation de cette arme de pression massive à travers des démarches politiques constantes et concomitantes, notamment à : • Bruxelles, comme suggéré par la Responsable du HCR ; • Genève, au sein des instances du HCR ; • New York, lors de la rédaction de la résolution du Conseil de Sécurité ; • Washington, dans les discussions stratégiques avec les américains. Ces derniers nous harcèlent sur ce qui concerne nos obligations au Sahara sans jamais faire de même pour celles de l’Algérie à Tindouf.
Très haute considération
Omar Hilale
, Représentant Permanent
, Représentant Permanent
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