La thèse du risque Ebola remise en question : Un forfait, des interrogations et des enjeux géopolitiques

Par Razika Lakhel

L’argument avancé par les autorités marocaines pour justifier leur décision de ne pas organiser la Coupe d’Afrique des nations (CAN) suivant le calendrier fixé par la Confédération panafricaine de football, CAF, pourrait ne pas être très convaincant. 
De nombreux observateurs, notamment au sein de la CAF qui a eu la main lourde sur le Maroc en disqualifiant son équipe nationale de la compétition en attendant d’autres sanctions, estiment déjà que le risque de la contagion à grande échelle avancé par Rabat peut dissimuler d’autres motivations. Un des éléments à charge évoqué est que le Royaume travaille depuis une année d’arrache-pied pour organiser avec succès le 2e Forum mondial des droits de l’homme. A ce rendez-vous international de grande envergure, plus de 5000 participants, l’équivalent d’un public de stade de football, sont attendus à Marrakech, entre le 27 et le 30 novembre prochains. 
 Pour ce forum, où le flux de personnes venant des quatre coins du monde et d’Afrique aussi, Rabat n’a, à aucun moment, évoqué le risque d’Ebola et de la propagation du virus. Alors que de nombreux participants africains au Forum de Marrakech viendront de pays et de zones considérés à risques par l’OMS ou ayant été déjà touchés par le virus, les autorités marocaines s’abstiennent de toute déclaration ou commentaire sur les conséquences de l’afflux pour le moins exceptionnel qu’aura à connaitre la célèbre oasis du Sud marocain, sans compter les grands aéroports du pays destinés à recevoir les nombreuses délégations étrangères. 
Le plus remarquable est que le royaume n’évoque pas non plus des mesures sanitaires spécifiques en perspective de l’accueil des 5000 participants au Forum. Aucune recommandation ni mesure spéciale, analogue à celles qu’on observe dans les pays touchés ou potentiellement menacés, notamment dans les aéroports et lieux de transit, ne semble être au programme. C’est ce que nous a confié, hier, sous couvert de l’anonymat un participant au rendez-vous de Marrakech. « Nous n’avons rien reçu à part la lettre d’invitation. Aucune consigne ni mesure de sanitaire n’a été signalée pour le moment », a-t-il indiqué. 
Le public sportif africain serait-il davantage porteur de danger ? La question n’est en vérité pertinente que si elle est comparée au discours alarmiste des autorités marocaines. Pour justifier la demande de son pays de reporter la date de l’organisation de la CAN 2015, le ministre des Sports marocain, Mohamed Ouzzine, a dit que « nous faisons face à une épidémie dangereuse que le monde entier a du mal à juguler». Les journaux télés du Royaume, avant-hier, ont même parlé de péril à l’échelle cataclysmique pour s’insurger contre les sanctions prononcées par la CAF contre le Maroc. La même question n’est pertinente que si l’on rappelle quels sont pour Rabat les enjeux de la tenue sur son sol du 2e Forum mondial des droits humains.
L’enjeu du Sahara occidental
Confronté aux critiques au sein des Nations unies, objet également de critiques sévères de la part des ONG de défense des droits de l’Homme, dont Amnesty International et Humain Right Watch, le Maroc, c’est son ministre des Affaires étrangères, M. Mezouar, qui le répète depuis des semaines, veut redorer son blason et se donner l’image d’un pays soucieux des libertés et accueillant pour les experts, militants et ONG des droits de l’Homme. L’une des raisons essentielles expliquant ce déploiement qui fait fi du risque d’Ebola est le Sahara occidental et la question des droits humains dans ce territoire en quête de décolonisation et dont l’avenir est aux mains du Conseil de sécurité. 
Sur ce dossier, en effet, le Maroc a perdu des points considérables depuis la publication en automne 2012 du rapport de la fondation Kennedy sur le sort réservé aux droits et aux libertés fondamentales dans les territoires sahraouis sous contrôle marocain. Depuis deux ans, donc, le Royaume est épinglé pour sa politique répressive et les relations exécrables qu’il entretien avec l’envoyé spécial des Nations unies pour le Sahara occidental, l’Américain Christopher Ross. Par ailleurs, des ONG comme Amnesty International sont interdites de séjour au Maroc. L’Association marocaine des droits de l’Homme (AMDH) est interdite de toute activité publique depuis l’été 2014 pour tenir des animations. L’objectif, maintenant, pour Rabat et sa diplomatie est d’inverser la tendance et présenter le pays comme un modèle de démocratie et d’ouverture.
Dans les faits, le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), dont le président est nommé par le roi, a mobilisé ses 12 Commissions régionales pour que chacune d’elle délègue au Forum de Marrakech 120 personnes sahraouies. Les délégués sahraouis invités sont connus pour leur allégeance au palais et au roi Mohamed VI dont le dernier discours était de dire, en accusant l’Algérie d’être le cœur du « problème » selon son ministre des Affaires étrangères, qu’il était prêt à aller jusqu’au bout dans le principe de l’« autonomie », mais qu’il refusait catégoriquement la solution de l’autodétermination. Sous quelle formulation, cela va-t-il être répété au Forum Marrakech ?
Ca sera certainement là le grand intérêt d’une opération de séduction politico-diplomatique que le Royaume s’apprête à mener dès le 27 novembre prochain. Avec, en ligne de mire, une année 2015 qui risque d’être déterminante en ce qui concerne les batailles à mener aux Nations unies sur le dossier du Sahara occidental. L’année prochaine est présentée comme une année butoir au-delà de laquelle le Conseil de sécurité pourrait remettre en cause tout le processus de négociation en cours depuis 2007, si un progrès n’est pas enregistré.
Reporters, 13/11/2014
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