A la rencontre du peuple sahraoui, les oubliés du sable

En 2013, Adlan Mansri, photographe français de 22 ans basé à Berlin mais d’origine algérienne, part à la rencontre des Sahraouis. Depuis des années, ce peuple originaire du Sahara Occidental réclame son indépendance, mais se heurte au puissant Royaume du Maroc, qui considère ce désert comme sien.
Territoire non autonome selon l’ONU, le Sahara Occidental, ancienne colonie espagnole, n’a toujours pas trouvé de statut définitif sur le plan juridique depuis le départ des Espagnols en 1976. Depuis cette date en effet, ce territoire de 266 000 km2 est en proie à un conflit entre indépendantistes sahraouis et le Maroc. Ainsi, depuis les années 1980, une partie du peuple sahraoui a fui le Maroc (qui affirme vivement sa souveraineté sur le Sahara Occidental) pour venir s’installer dans des camps de réfugiés en Algérie.
Pendant une semaine, Adlan Mansri a décidé de se plonger dans le quotidien de ce peuple, entre maisons de terre cuite, hôpitaux et ballades sur terrain miné. De ce séjour au milieu du désert algérien, il ramènera une série de photos, “Les oubliés du Sable”. Et des souvenirs plein la tête, qu’il nous raconte.
Konbini | Comment avez-vous entendu parler du peuple sahraoui ? 
Adlan Mansri | Quand tu es un jeune algérien ou marocain, tu sais qu’il y a un conflit entre les deux pays mais tu ne sais pas forcément pour quelles raisons. Alors tu poses des questions à tes parents, qui en savent un peu plus que toi et qui tentent de t’expliquer. Mais ce conflit étant ultra compliqué, il n’est pas évident à expliquer… Du coup tu finis par faire tes propres recherches sur Internet et dans des bouquins.
K | Comment êtes-vous entré en contact avec le camp de réfugiés dans lequel vous vous êtes rendu ? 
C’était un peu par hasard en fait. Au mois de février 2013, j’ai reçu un coup de fil d’un ami de ma mère qui a une boîte de production de films documentaires. Il m’a expliqué qu’il y avait une caravane solidaire composée de Franco-Algériens qui partait un mois plus tard dans le désert. Il m’a demandé si j’étais partant pour y aller avec mon appareil photo. Et je suis parti.
Les réfugiés Sahraouis vivent dans cinq camps dans le désert algérien, et ils dépendent presque totalement des aides humanitaires car les activités qui permettent de générer des revenus sont devenues rares. Les camps accueilleraient environ 170 000 réfugiés, selon plusieurs sources, soit l’équivalent du nombre d’habitants d’une ville comme Toulon ou Saint-Etienne. Dans les terres contrôlées par le Royaume du Maroc, la population s’élèverait à plus de 520 000 habitants.
K | Combien de temps êtes-vous resté sur place ?
Je suis resté environ une semaine là-bas. Mais je ne suis pas resté pendant toute cette semaine sur le camp, on a pas mal bougé. On est allé assez proche du Mur Marocain aussi connu comme le “Mur de la Honte”. C’est un mur gardé par 100 000 soldats marocains, qui fait 2 720 km et qui sépare le territoire contrôlé par le Maroc des camps de réfugiés.
C’est un truc de fou. Quand tu arrives là-bas, tu vois ce mur et les mecs te disent de pas trop t’aventurer car le terrain est encore miné… D’ailleurs, quand on avançait avec les voitures, les chauffeurs n’étaient vraiment pas sûrs d’eux, ils avançaient un peu au hasard et c’était assez flippant je dois avouer.
K | Comment les personnes qui y vivent vous ont-il accueilli ?
Les personnes qui vivent dans ces camps sont les personnes les plus ouvertes, les plus gentilles et les plus généreuses que j’ai pu rencontrer. Ces personnes n’ont rien pour eux, ils vivent dans des maisons qu’ils ont construites de leurs mains avec de la terre et des pierres, mais ils te donnent cent fois ce qu’ils n’ont pas.
Nous on est là, on débarque avec notre petit confort, notre égocentrisme et notre attitude d’Européen, mais quand tu vois la façon dont ils t’accueillent… ils te donnent tout, ils sont souriants, et je pense que c’est le genre d’attitude qui te permet de rester solide et confiant quoi qu’il arrive.
K | Racontez-nous votre arrivée sur le camp…
Je suis arrivé dans le camp en plein milieu de la nuit, je ne voyais pas grand chose autour de moi car à part la lumière de la lune et quelques lampes de poche, t’y vois pas vraiment grand chose. C’est seulement le lendemain que je me suis rendu compte de l’ampleur du camp. Comme je l’ai dit plus haut, il y a en tout cinq camps dédiés au peuple sahraoui en Algérie, moi j’étais dans le plus petit, et déjà le plus petit est vraiment énorme.
Je me suis mis en haut d’une dune de sable et j’ai regardé autour de moi, il y avait des maisons à perte de vue. Des maisons qu’ils ont faites avec ce qu’ils avaient. Tout était naturel : de la terre cuite, des cailloux, du sable… C’était minimal, ils n’ont pas grand chose. Dans le camp il devait y avoir quatre ou cinq “épiceries”. Pas de douches à proprement parler, ils n’ont pas accès à l’eau potable, ça marche au puits comme dans à peu près tous les camps de réfugiés.
“Vingt ans que les Sahraouis attendent un référendum”
K | Dans le texte que vous avez rédigé sur votre site, vous expliquez que le gouvernement algérien aide le peuple sahraoui dans son désir d’indépendance. Comment s’exprime ce désir d’indépendance chez ce peuple ?
Le Sahara Occidental est une ancienne colonie espagnole. En 1976, les Espagnols quittent le Sahara Occidental et s’ensuit un conflit entre le Maroc et le Front Polisario (les indépendantistes Sahraouis). Le territoire est revendiqué à la fois par le Maroc et par la République Arabe Sahraouie Démocratique, qui a été proclamée par le Front Polisario en 1976. Il faut aussi savoir que le Sahara Occidental est une terre de ressources naturelles assez incroyable, entre le phosphate, les minerais de fer et les 1100 kilomètres de côte sur la façade Atlantique, cela fait d’assez bons argume
nts…
A partir de 1976, une guerre armée éclate entre le Front Polisario (soutenus par l’Armée algérienne) et le Royaume du Maroc, et c’est à peu près à la même période que des dizaines de milliers de Sahraouis quittent leurs terres natales pour fuir la guerre. En 1980, le Maroc érige ce fameux “Mur de la Honte” et installe plusieurs centaines de milliers de mines, histoire d’en dissuader plus d’un. A partir de 1980 il y a une guerre d’embuscade avec le Front Polisario et l’armée Marocaine qui prend fin en 1991 avec un cessez-le-feu favorisé par la médiation de l’ONU.
Depuis 1991, il y a des négociations entre le Royaume du Maroc et le Front Polisario. De son côté, l’ONU ne sait plus vraiment trop quoi faire. En gros, ça fait plus de vingt ans que les Sahraouis attendent un référendum qui statuera l’auto-détermination ou non de leur peuple. Mais ils ne souhaitent pas qu’on ait pitié d’eux. Ils veulent juste se faire entendre, qu’on les aide.
K | Quel est le rapport du peuple sahraoui avec le gouvernement algérien ?
Le gouvernement algérien a dès le début soutenu le peuple sahraoui dans son désir d’indépendance. Il faut se rappeler que l’Algérie a été colonisée pendant plus de cent ans par la France, ce qui s’est terminé par une guerre affreuse. Je pense que l’Algérie a ce désir de soutenir ce principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes (ou le droit à l’auto-détermination), qui est tout de même un droit international.
Je pense que le soutien du gouvernement algérien est quelques chose de très important. Mais il ne faut pas oublier que ce genre de gouvernements n’a pas à vocation à faire uniquement de l’humanitaire ! Le gouvernement algérien n’est pas le gouvernement le plus réglo du monde (il y a beaucoup de corruption, entre autres), et il a des intérêts évidents à soutenir le peuple sahraoui : ces fameuses ressources naturelles dont je parlais un peu plus haut, et cette façade Atlantique qui pourrait être un allié stratégique au gouvernement algérien.
En attendant, le peuple sahraoui doit presque tout ce qu’ils a au gouvernement algérien (terres, aides humanitaires, éducation, soins de santé publique…). Ils en sont très reconnaissants et je pense que quand la situation s’améliorera pour eux, ils ne l’oublieront pas.
“Ce sont les femmes qui dirigent les camps”
K | Qu’en est-il de la relation du peuple sahraoui avec le gouvernement marocain, qui le prive de la terre de ses ancêtres, comme vous l’écrivez sur votre site ? 
Le Royaume du Maroc a des alliés très puissants (États-Unis, France ou Israël, pour ne citer qu’eux), du coup forcément pour eux, ce déni est naturel. Pour le gouvernement marocain il n’y a tout simplement pas de Sahara Occidental, et ils ne reconnaissent pas le peuple sahraoui en tant que peuple à part entière. Pour eux, il s’agit simplement du peuple marocain.
K | Dans votre reportage, le contraste entre scènes d’enfants à l’école et scènes de soldats armés est assez frappant. Les tirs sont-ils fréquents sur le camp ?
Comme je l’ai expliqué, depuis 1991 il y a un cessez-le-feu, donc plus de tirs ! Cependant la présence militaire est toujours très importante, et les camps de réfugiés se vident des hommes qui doivent effectuer leur service militaire. Du coup ce sont les femmes qui dirigent les camps. Ce sont de véritables “maires”, et ce sont elles qui gèrent l’administration et tout ce qu’il s’ensuit.
K | Vous vous êtes aussi rendu dans un hôpital…
Aller dans un hôpital, c’est le meilleur moyen de voir quelles sont les conditions sanitaires sur place. L’hôpital dans lequel je me suis rendu était assez grand, mais en très mauvais état, évidemment. Il y a quelques médecins, beaucoup de patients pour des maladies parfois bénignes mais qui s’aggravent s’il n’y a pas le suivi médical qui va avec.
Ils ont très peu de fournitures, et tout ce qu’ils ont provient encore une fois de l’aide humanitaire ou du gouvernement algérien.
K | En off, vous avez mentionné le film militant de Javier Bardem, Les Enfants des nuages, la dernière colonie, qui prend vivement position pour le peuple sahraoui… Ce film vous a-t-il inspiré pour votre reportage ? 
Pas du tout non, j’ai découvert que Javier Bardem avait produit un film sur ce sujet seulement un an après mon reportage photo. J’étais à la fois surpris et content que quelqu’un qui ait cette notoriété là se lance dans un projet aussi compliqué et polémique que celui du peuple sahraoui. Surtout que Javier Bardem n’y va pas de main morte dans ses interviews télévisées sur le sujet, il a une position très claire sur ce conflit, qui force le respect [en février 2014, lors d’un passage à Paris, l’acteur espagnol avait violemment fustigé le gouvernement français, allié de longue date du Maroc, qui « fermerait les yeux » sur la cause des Sahraouis – ndlr].
Javier Bardem pourrait se faire détruire sa carrière car il a enérvé les mauvais mecs, mais il s’en fout et il s’est lancé à fond dans ce projet. Le film est sorti en salles en avril 2014 en France. Je n’ai pas eu l’occasion de le voir malheureusement, car je ne vis plus en France maintenant. Mais je pense me procurer le DVD quand il sortira. Je suis très curieux de voir comment il a tourné et comment il s’y est pris. Et puis ça pourra peut-être me donner des idées pour le projet que je suis en train de faire sur le Sahara Occidental…
K | Une anecdote mémorable au cours de votre reportage ?
J’étais hebergé chez une famille de trois enfants, un garçon (9 ans) et deux filles (7 et 20 ans). La plus âgée des filles a demandé à son père que je reste pour me marier avec elle.
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