par TOM STEVENSON
Avec le sommet des dirigeants de l’Afrique et les Etats-Unis à la une, beaucoup des analyses sur le Maroc présentent le royaume comme un modèle pour les prudents, mais surtout comme une réforme menée avec succès au Moyen-Orient. Cette analyse sert à appuyer à la fois la politique des États-Unis et de l’Europe, qui est actuellement conçu pour soutenir et maintenir, plutôt que de défier, l’ordre politique du royaume. Cependant, un examen critique du bilan du Maroc, montre que son image réformiste n’est surtout pas méritée, et sa position en tant que modèle régional potentiel non acquise.
La réponse de la monarchie marocaine aux manifestations populaires à la fin de 2010 et début du 2011 était composée essentiellement deux volets. Tout d’abord, il a violemment démantelé les camps de protestation au Sahara occidental et a utilisé la force excessive contre le mouvement militant du 20 Février. Deuxièmement, il a organisé un référendum (dans des conditions qui, après avoir été témoin du processus de vote, je crois que c’était à mettre en question) sur une nouvelle constitution nationale.
Le palais a présenté avec succès l’adoption de la nouvelle constitution en Juillet 2011 comme un signe de sa volonté de réforme et même de démocratisation partielle du pays. En réalité, les réformes étaient limitées dans la théorie et plus encore dans la pratique. En fait, le régime reste une monarchie autoritaire et répressive –qui fait face a des sérieuses allégations de violations des droits humains-et mène un ordre social et économique inégalitaire.
Même selon les standards régionaux, le pouvoir politique au Maroc est particulièrement très concentré. Alors que la Constitution a fait déléguer un peu de modeste pouvoir législatif, les services de renseignement et de l’armée sont toujours étroitement contrôlés par le roi Mohammed VI qui préside également le conseil d’Etat qui doit approuver toutes les lois même avant qu’elles n’aillent au Parlement et en plus, il peut dissoudre le parlement, convoquer des élections et limoger des ministres du gouvernement.
Le roi dispose également d’un conseil royal secret composé de ses plus proches conseillers, qui semble jouer la tache de véritable police et de centre de prise de décision du pays. Au premier rang de ses membres se trouvent le conseiller royal Fadel Benyaich, conseiller Fouad Ali El Himma, et le chef du service de renseignement extérieur (DGED) Yassine Mansouri. Tous les trois sont d’anciens camarades de classe du roi.
Pendant ce temps la politique économique a été principalement conçu par et dans l’intérêt d’une classe dirigeante restreinte souvent désignée comme Makhzen. Les récentes réformes économiques visant à réduire les subventions publiques ont été prises en charge par les agences de notation (et le FMI qui vient d’annoncer une autre ligne de crédit de précaution de 5 milliards), mais ne contribuera guère à atténuer la pauvreté, qui, malgré quelques améliorations dans les villes est encore très répandue dans les zones rurales.
Les détails des intérêts commerciaux de la monarchie sont étroitement surveillés, mais ils sont certainement extensifs. La richesse du roi est importante et la famille royale détient la majorité du capital de la société d’investissement national (SNI), qui a été accusé à plusieurs reprises de corruption.
Le père du roi Mohammed VI, Hassan II, a dirigé un régime de sécurité ouvertement engagé dans les détentions arbitraires, la répression de la dissidence, et les assassinats de ses propres citoyens. Malgré les différences de style, dans son essence, le régime d’aujourd’hui fonctionne de la même manière.
L’Etat utilise désormais le discours anti-terroriste et les lois comme façade, mais les organisations internationales des droits de l’homme ont prouvé qu’il continue à emprisonner et à persécuter les journalistes, enlever les opposants politiques, et écraser les manifestations pacifiques. La critique du roi est illégale.
Le régime détient aussi des prisons secrètes et s’engage dans la torture systématique des dissidents politiques, en particulier de la population sahraouie. Human Rights Watch, Amnesty International et le Département d’État américain ont détaillé l’obtention et l’utilisation de confessions sous la torture.
Le plus significatif de tout c’est que le Maroc maintient encore une occupation militaire du Sahara occidental, un territoire plus grand que le Royaume-Uni. Le régime a envahi et annexé le Sahara occidental en 1975, a poussé des dizaines de milliers de ses habitants à l’exile dans des camps de réfugiés en Algérie, et tient la terre contre le droit international. Au Sahara occidental, un système de sécurité sévère est imposé pour réprimer la population sahraouie alors que le colon marocain est favorisé par la subvention.
Dans ce contexte, on peut se demander pourquoi le Maroc jouit de cette réputation qu’il fait. La réponse, en partie, se trouve dans l’utilisation d’une machine de relations publiques sophistiquée, y compris une mission de lobbying de plusieurs millions de dollars à Washington.
Pour les États-Unis, le Maroc est considéré comme un allié stratégique de poids dans un «partenariat historique et fiers» selon les mots du sénateur John Kerry le 29 Juillet. Le royaume est prêt à répondre à toutes les demandes qui lui sont faites en contre-terrorisme et achète régulièrement des armes des États-Unis, avec des transactions récentes dont vingt-quatre F-16, 1 milliards de dollars de rénovation de ses 200 chars Abrams M1A1, les systèmes de radars militaires et des missiles Sidewinder. Pour l’Europe occidentale, il est un partenaire commercial clé.
Ces relations sont souscrites et en partie justifiées par la vue du Maroc comme un havre de stabilité du régime, modération et réforme régionale. L’Occident devrait bien revoir ces hypothèses sous-jacentes sur le régime qui dirige le Maroc et, par conséquent, les relations stratégiques et diplomatiques avec le royaume. Ceci est particulièrement important pour les États-Unis et la France, où les relations avec le royaume sont plus fortes et l’influence plus importante.
Le Maroc n’est plus une référence régionale. Son classement dans l’Indice de développement humain reste le pire en Afrique du Nord, et il ouvre la voie à la fois aux inégalités et à l’analphabétisme. Son bilan en matière de réforme politique, de démocratisation et des droits de l’homme n’est pas impressionnant et certainement pas comparable à la Tunisie. Une comparaison plus approprié de son bilan peut être trouvée dans les monarchies du Golfe qui sont rarement présentés de la même manière positive.
Présenter le royaume comme un exemple pour la région est erronée et pourrait être dommageable pour les forces démocratiques populaires dans les sociétés d’Afrique du Nord, qui se trouvent déjà plongées dans l’ignorance. Ces mouvements pourraient être découragés par la reconnaissance internationale d’un comportement autoritaire, et le potentiel reste à long terme le ressentiment populaire de la politique américaine qui est considérée comme tendant à encourager implicitement la violation des principes des droits humains et la bonne gouvernance.
Au lieu de cela, les États-Unis devraient saisir l’occasion créée par le sommet des États-Unis et de l’Afrique pour évaluer de façon critique le régime du Maroc et de faire pression sur lui pour entamer des vraies réformes, en particulier dans le domaine des droits de l’homme et sa politique au Sahara occidental. Les conséquences d’ignorer cet impératif pourrait entraîner une augmentation de mécontentement de la population envers les États-Unis (au mieux) et de fomenter l’extrémisme (au pire) tant que les voies du discours civil et l’engagement politique restent fermées.
Tom Stevenson est un journaliste indépendant basé au Caire. Il rapporte régulièrement dans le Financial Times et France 24.