Crise au Mali Entretien avec le politologue Salah Saoud

Dans cet entretien, Salah Saoud, politologue, évoque les enjeux du conflit malien, ainsi que les solutions envisagées par l’Algérie dans le cadre de sa politique de médiation.
Auteur : Nadjwa Khelil
Yagool : Quelle lecture faites-vous de la situation actuelle au Mali, notamment depuis la signature à Alger, en juin dernier, de la déclaration conjointe par les trois mouvements éponymes du nord malien à savoir le MNLA, HCUA et le MAA, portant consolidation de la dynamique d’apaisement ?
Saleh Saoud : Fidele à son principe de non-ingérence, l’Algérie est convaincue que l’issue au conflit du Mali doit nécessairement parvenir des maliens eux même, non pas dictée de l’extérieur.
A cet effet, elle tente à travers son parrainage de poser les fondements d’un dialogue réel entre maliens. Cette solution politique qui privilégie la voie du dialogue demeure la plus approprier, à contrario de celle militaire qui risque de déstabiliser le Nord du Mali, voire porter atteinte à tout le pays.
En effet, l’intervention étrangère au Mali sous couvert de la lutte contre le terrorisme n’a pas atteint les solutions escomptées, de rétablir la sécurité, soit un échec absolu. En réalité, l’option militaire n’est autre qu’une mesure en trompe l’œil. Au lieu de s’attaque aux causes profondes de conflit, elle envenime les situations en cultivant d’autres problèmes, pour favoriser l’émergence de champs de tensions. La tendance étant toujours pour les grandes puissances de s’installer et ne plus quitter un territoire où elles interviennent pour en faire une zone vulnérable, comme c’est le cas en Libye, Tunisie, l’Irak, Syrie ……et tant d’autres pays en proie à cette politique prédatrice dont les retombées sont difficiles à contrôler.
Par ailleurs, évoquer une solution interne en vue d’un règlement de la crise malienne, suppose une plateforme consensuelle entre les parties en litige pour lancer le dialogue. Si cette feuille de route est respectée par les parties concernées, elle devrait permettre d’enclencher le processus de restituer la stabilité. La déclaration d’Alger qui consacre en substance le principe d’une solution qui soit dégagée par les maliens est lucrative, et semble la plus idéale, mais il est difficile de trouver les instruments pour la traduire en action sur terrain.
Dans quelques jours, l’Algérie conduira le processus de négociations autour du dialogue inter- malien inclusif devant se dérouler à Alger. Cette démarche pourrait-elle déboucher sur une véritable sortie de crise que connait le nord malien, soit, un règlement durable et la restauration de la stabilité ?
L’Algérie a acquis une grande expérience à mener les négociations et à assurer la médiation entre différentes parties en conflit aussi bien au niveau arabe, africain qu’international. Sa diplomatie en témoigne.
Par rapport à sa démarche, son aboutissement est au préalable tributaire de la réussite de la plateforme préliminaire, « la déclaration d’Alger », de l’engagement pour le plein respect de l’intégrité nationale et l’unité du Mali.
Outre ce point, d’autres éléments fondamentaux doivent être pris en considération pour une solution viable. Ainsi, il est nécessaire d’identifier les facteurs androgènes et exogènes du contentieux malien pour mieux définir le concept adéquat de la stabilité. Car ce concept nécessaire pour déterminer la stratégique à adopter en vue de rétablir la sécurité, doit être adapté aux spécificités de chaque pays.
Une stabilité retrouvée, de la sorte, dans le nord du Mali, devrait indubitablement influer positivement sur l’ensemble de la région sahélo-saharienne.
Cela dit, si dans son approche, l’Algérie arrive à percevoir la situation du Mali avec toutes ses démentions en prenant également en considération tous les aspects liés à cette crise qui concerne le citoyen malien, tels que le dénuement, précarité, inégalités, divisions intercommunautaires, marginalisation des populations du nord ; son rôle sera éminemment positif. 
En effet, autant d’éléments pourraient contribuer à la réalisation d’une paix durable au Mali. Ceci dit, la solution devrait aussi s’articuler autour de la prise en charge des revendications et préoccupations légitimes de la population locale. Car le conflit malien ne se limite pas à la seule question du terrorisme, il trouve aussi ses origines dans un déséquilibre socio-économique important dont la rébellion n’est qu’une manifestation. Il s’agit dans ce sens de mettre fin au monopole des multinationales, de régler les disparités socio-économiques avec le Sud, qui, par ricochet profiterait à tout le pays.
Nombre d’accords de paix ont été scellés en vue de mettre fin au conflit malien tel que celui signé en 1996 à Tombouctou, mais qui malheureusement n’ont pas duré et ont été quelque part violés où non respectés par les parties concernées .Par rapport à cela, y a-t-il aujourd’hui des conditions nouvelles pour que ce dialogue pour la paix et la réconciliation puisse aboutir et qu’il soit respecté ?
Parmi les conditions indispensables pour faire respecter cet accord de paix, l’on peut citer quelques axes.
Elles consistent à ce que la réconciliation, conclu entre les parties constitue la pierre angulaire à l’édification d’un Etat uni.
En second lieu, il est indispensable que les nouveaux éléments liés à la crise ne soient pas imposés même de manière indirecte par les laboratoires expansionnistes qui aspirent à faire main base sur les richesses du Mali, mais plutôt tirés de la réalité du terrain.
Le troisième point, d’honorer les revendications du peuple malien et respecter son choix.
Quels sont donc les mécanismes nécessaires pour la mise en œuvre de cette feuille de route de réconciliation, sa traduction et son suivi sur terrain de manière quelle soit une action efficiente ?
Ces outils qui doivent être puisés du territoire malien, se résumes en quelques points.
De prime abord, la concrétisation de la réconciliation nationale entre le peuple malien et sa cohésion, doit se faire dans le respect de la diversité culturelle, confessionnelle et ethnique du pays. Sur ce plan humain, les populations autochtones ne doivent pas être détachées de leur environnement et leurs origines. Dans ce sens, il est important de donner un nouveau souffle à la société tribale et ne pas la considérer comme un regroupement négatif. Ceci, en garantissant à ces originaires le droit de décider pour eux-mêmes et par eux-mêmes, en respectant leurs choix et de leur inculquer toutefois la culture du dialogue. Dans le même sillage, créer une passerelle entre les chefs de tribus issus de la volonté populaire et le gouvernement.
Au plan politique, adapter la ligne stratégique aux données qui sont réelles sur le terrain à travers s sa révision et actualisation permanente qui correspondent à l’évolution des situations. Le respect de la souveraineté populaire, n’est pas aussi à négliger, car la sécurité et la stabilité sont pour et par le peuple.
Quant au volet économique, les richesses du Mali doivent profiter à ces citoyens pour assurer un développement économique du pays.
Selon votre optique, l’autodétermination de l’Azawad comme clause, sera-t-elle inclue où exclue dans ces négociations ? Pourquoi ?
Cette question est exclue des concertations, d’autant plus que le plein respect de l’intégrité territoriale et de l’unité nationale du Mali constitue la base de ce processus de réconciliation entre les maliens.
Établir un Etat autonome en plein Sahara est susceptible de créer des conflits ouverts sur toute l’Afrique, ce qui n’est profitable aux parties et n’est dans l’intérêt du pays. Le chaos partout.
En vérité, les touaregs dans leur majorité n’ont jamais demandé la séparation ou revendiquer la constitution d’un État indépendant. Cette idée d’autodétermination a été alimentée par certaines parties occultes pour tirer profit des clivages ethniques, confessionnels et servir des appétits impérialistes dont les acteurs sont multiples.
Les Touaregs qui ont toujours cohabité avec le reste de la communauté, sont d’ailleurs conscients que cette idée relève de l’impossible. D’un autre côté la frontière étant fatalement ouverte, permet la prolifération des armes qui augmentent la marge de manœuvre des terroristes, et le crime organisé.
L’aboutissement de ce processus de paix n’est-il pas également tributaire d’une volonté réelle du gouvernement malien, hors de tous intérêts étroits de certaines parties occultes pour le brouiller ?
La volonté globale de toutes les parties ainsi que du gouvernement existe, pour recouvrer la paix et promouvoir les liens de fraternité en vue de la réconciliation.
Cependant, ces aspirations font face à une réalité fatale qui s’impose. Le régime en place est toujours dépendant des grandes puissances qui exercent des pressions sur lui notamment la France. Donc dans cette conjoncture, il ne peut pas envisager un véritable dialogue ni même le concrétiser.
Ces forces dévastatrices sont contre un règlement de la crise, mais plutôt, d’en faire un terrain d’affrontements permanents qu’ils investissent pour déstabiliser les pays limitrophes et l’exploiter au gré des situations, en fonction de leurs intérêts. 
Y a-t-il risque que certains tentent d’avorter ce dialogue visant une solution à ce conflit, d’autant plus que les origines et enjeux de ce dernier sont les richesses du sous-sol malien ?
Certes, il y aura des tentatives d’entraver cette démarche, notamment du Maroc qui considère que Algérie cherche à se positionner en Afrique et au Sahel, et la France dont la sous région constitue pour elle une zone de transit. Elles seront cependant sans grand impact. 
Par contre, une chose est sure, ces force peuvent présentement réaliser leurs intérêts, mais qui leur sera impossible dans les années à venir.
Il est évident que la solution au conflit malien n’est pas une opération automatique mais un travail de langue haleine qui s’inscrit dans la continuité. A ce titre, les parties maliennes, sont tenues plus que jamais d’approfondir davantage et sans interruption les concertations et le dialogue, ce à quoi d’ailleurs aspire l’Algérie.
Cette dernière, malgré le fait qu’elle soit une puissance régionale, elle ne peut pas à elle seule, solutionner toutes les crises et lutter contre le terrorisme au niveau du Sahel. Pour ce faire, il est impératif de renforcer et d’amonceler ce genre d’initiative pour pouvoir mettre fin aux pressions exercées de part et d’autre sur les pays de sahélo-sahariens.
http://yagool.dz/article_1174.html

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