Les colons marocains au Sahara Occidental : colonisateurs ou cinquième colonne ?
Jacob Mundy
jmundy@colgate.edu
Juin 2011
Traduction par Denis Véricel
EXTRAIT / RÉSUMÉ
Depuis qu’il contrôle le territoire de l’ancien Sahara Espagnol, c’est-à-dire depuis 1975, le Maroc s’est considérablement investi pour l’intégration forcée de ce territoire contesté, tant au niveau économique que politique. Le Sahara Occidental est toutefois toujours reconnu par les Nations Unies, et donc par l’ensemble de la communauté internationale, comme un territoire non autonome. Un aspect majeur de la tentative marocaine d’intégrer ce territoire contesté a été d’inciter un grand nombre de Marocains – que l’on estime aujourd’hui à entre 200.000 et 300.000 personnes – à s’installer de façon permanente ou pour une plus courte durée. Sans compter la présence sécuritaire et militaire considérable du Maroc au Sahara Occidental (certaines sources l’évaluent à bien plus de 100.000 hommes), les colons civils sont arrivés suite à une campagne d’état visant à les attirer et les inciter à s’installer dans ce que le gouvernement nomme les « Provinces Sahariennes », une campagne en partie renforcée par d’importantes subventions gouvernementales, qui représentent une contribution considérable étant donné les difficultés qu’a connues l’économie marocaine aux cours des dernières décennies.
Cette campagne de colonisation, combinée à l’exode massif de près de la moitié de la population indigène sahraouie (qui vit aujourd’hui principalement dans les camps de réfugiés en Algérie) immédiatement après l’invasion de 1975, les colons marocains constituent aujourd’hui la population majoritaire au Sahara Occidental occupé. Malgré l’importance de cet afflux de colons marocains, leur rôle dans l’évolution du conflit et le destin du territoire est peu compris. Le taux de participation aux élections marocaines au Sahara Occidental compte de façon continue parmi les plus élevés, et pourtant un nombre croissant de signes montrent que l’allégeance politique de nombreux colons marocains est plus ambigüe que ce que l’on pourrait imaginer. Dans cet article, nous essaierons de clarifier les aspects mal compris de démographie et de politique identitaire au Sahara Occidental occupé par le Maroc. Comprendre les politiques d’implantation et de colonisation au Sahara Occidental permet non seulement d’acquérir une bonne vision de l’évolution historique du conflit et de l’impasse dans lequel il se trouve, mais également d’envisager de futures pistes pour le résoudre.
Cette campagne de colonisation, combinée à l’exode massif de près de la moitié de la population indigène sahraouie (qui vit aujourd’hui principalement dans les camps de réfugiés en Algérie) immédiatement après l’invasion de 1975, les colons marocains constituent aujourd’hui la population majoritaire au Sahara Occidental occupé. Malgré l’importance de cet afflux de colons marocains, leur rôle dans l’évolution du conflit et le destin du territoire est peu compris. Le taux de participation aux élections marocaines au Sahara Occidental compte de façon continue parmi les plus élevés, et pourtant un nombre croissant de signes montrent que l’allégeance politique de nombreux colons marocains est plus ambigüe que ce que l’on pourrait imaginer. Dans cet article, nous essaierons de clarifier les aspects mal compris de démographie et de politique identitaire au Sahara Occidental occupé par le Maroc. Comprendre les politiques d’implantation et de colonisation au Sahara Occidental permet non seulement d’acquérir une bonne vision de l’évolution historique du conflit et de l’impasse dans lequel il se trouve, mais également d’envisager de futures pistes pour le résoudre.
A. INTRODUCTION
Depuis qu’il a récupéré de l’Espagne, en 1975, le contrôle du territoire du Sahara Occidental, le Maroc a encouragé bien plus de 200.000 de ses citoyens à travailler et vivre sur ce territoire contesté. Pourtant, le Maroc n’a pas formulé de politique explicite en ce qui concerne le changement démographique considérable qui a eu lieu au Sahara Occidental. Le Maroc, toutefois, essaie clairement d’orienter « les faits sur le terrain » de ce conflit qui l’oppose depuis presque quarante ans aux nationalistes sahraouis du Frente POLISARIO (Frente Popular para la Liberación de Saguia el-Hamra y Río de Oro, Front Polisario) soutenu par l’Algérie. Idéologiquement, la justification de cet afflux de Marocains au Sahara Occidental, qui inclut probablement à la fois des colons permanents et des colons temporaires, prend racine dans l’insistance du régime postcolonial marocain à soutenir que le Sahara Occidental fait partie de son territoire historique précolonial, ce qui n’a pas été reconnu formellement par la quasi-totalité de la communauté internationale et a été rejeté de façon équivoque par la Cour International de Justice (CIJ) en 19751. En bref, l’activité de colonisation soutenue par l’Etat marocain au Sahara Occidental est l’un des aspects de l’effort de marocanisation du territoire, qui dure depuis plusieurs décennies. Des structures politiques à l’environnement artificiel, les efforts du Maroc pour le développement Sahara Occidental ont visé à effacer toute différence entre les zones occupées et le reste du Maroc. Si le Sahara Occidental devient marocain au niveau environnemental, culturel, social, politique, économique et démographique, alors quel est l’intérêt d’un référendum d’autodétermination avec une option d’indépendance, qui constitue la demande centrale du Front Polisario ? Non seulement les colons marocains contribuent à délégitimer la lutte pour l’indépendance qui dure depuis 50 ans, mais ils contribuent aussi aux réseaux culturels, sociaux, politiques et économiques qui interagissent aujourd’hui sans encombre au Sahara Occidental occupé et au Maroc lui-même. Ces colons compliquent ainsi grandement les efforts internationaux pour résoudre le conflit qui oppose le Maroc au Polisario.
Les colons marocains, cependant, sont restés largement ignorés au cours des vingt-cinq premières années d’efforts de négociation pour la paix après le départ de l’Espagne du territoire en 1976. Sur le papier, le Plan de Règlement des Nations Unies de 1991 pour résoudre le conflit, qui a été formalisé par la signature des Accords d’Houston entre le Maroc et le Polisario en 1997, a prêté peu d’attention à la présence de colons marocains sur le territoire contesté. Il était largement convenu que l’autodétermination était un droit limité aux personnes issues de l’ethnie sahraouie et nées au Sahara Occidental, même s’il était clair qu’au milieu des années 1990 une importante part de la population du territoire était en fait d’origine ethnique et géographique du Maroc.2 Le Plan de Règlement et les Accords d’Houston semblaient supposer – peut-être naïvement, avec le recul – que les colons marocains quitteraient le territoire sans faire trop d’histoires si les natifs du Sahara Occidental optaient pour l’indépendance. Cette supposition s’explique facilement. Le Plan de Règlement de 1991 a été inspiré presque mot pour mot d’un plan précédent rédigé par l’Organisation de l’Union Africaine (l’OUA), entre 1978 et 1982, quand les efforts de colonisation du Maroc au Sahara Occidental occupé n’en étaient qu’à leurs balbutiements. De plus, l’effort majeur d’implantation du Maroc, la prétendue Seconde Marche Verte (voir plus bas), est intervenu en réponse à l’arrivée imminente de la mission des Nations Unies en 1991.
Ce n’est que récemment que des observateurs et des médiateurs ont reconnu l’importance croissante des colons marocains dans le conflit du Sahara Occidental. En termes de processus de paix, un plan (soutenu sans enthousiasme par le Conseil de Sécurité des Nations Unies) a proposé en 2003 un référendum d’autodétermination qui permettrait à la fois aux natifs du Sahara Occidental et aux colons marocains d’exprimer leur choix entre l’indépendance totale du Sahara Occidental, l’intégration complète au Maroc et le statut d’autonomie sous souveraineté marocaine. Il avait été imaginé que le seul fait d’inclure les colons marocains dans le corps électoral encouragerait le Maroc à soutenir un référendum comprenant l’option de l’indépendance, une option que Rabat a commencé à exclure en 2001 après l’avoir soutenu pendant vingt ans. En 2007, des propositions de paix lancées par le Polisario et le Maroc se sont confrontées, abordant la question des colons de deux manières radicalement opposées. Alors que le Polisario a exprimé sa volonté d’offrir des droits de résidence et de naturalisation aux colons marocains au sein d’un Sahara Occidental indépendant, le plan d’autonomie du Maroc laissait à la disposition des Sahraouis un certain nombre de sièges parlementaires au sein de l’assemblée locale proposée. Cela laisse à penser que Rabat était bien informé quant à la disparité numérique existante entre les natifs sahraouis et la population de colons, une différence qui affecterait la capacité de Rabat à empêcher l’invasion des structures autonomes élues démocratiquement au Sahara Occidental par des résidents non-sahraouis.
Pendant ce temps, sur le terrain, au Sahara Occidental, les tensions entre les Sahraouis indépendantistes et les colons marocains ont semble-t-il augmenté au cours des dix dernières années. Les premiers signes visibles de ce désaccord sont apparus en 1999. D’un côté, des manifestations de travailleurs et d’étudiants sahraouis auraient été soutenues par un certain nombre de non-natifs (bien que de l’ethnie sahraouie, provenant du sud du Maroc) ; d’un autre côté, certains ont suggéré que les loyalistes marocains avaient justement participé à des attaques contre les manifestants sahraouis (voir Damis 2001). Depuis, le Sahara Occidental a connu périodiquement, et pour de courtes durées, des troubles civils rapidement contenus par l’Etat, en particulier au milieu de l’année 2005. Mais c’est l’année dernière que les rapports faisant état des tensions entre les nationalistes et les colons ont été les plus alarmants. Les allégations comportaient des accusations selon lesquelles l’administration marocaine soutiendrait de façon plus active les groupes de loyalistes qui se sont opposés dans la confrontation, et parfois dans la violence, aux activités
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2 Le Maroc peut être défini comme un pays pluriethnique composé de groupes parlant l’arabe et d’autres parlant le berbère. Ce qui complique les choses par rapport au conflit au Sahara Occidental, c’est que les Sahraouis (c’est-à- dire des Arabes dont la langue est le Hassanya) natifs du sud du Maroc constituent l’un des groupes ethniques majeurs du Maroc. Voir ci-dessous la section sur la géographie humaine.
indépendantistes de militants de défense des droits des Sahraouis.3 Ces tensions ont atteint leur paroxysme avec les événements de novembre 2010, quand des forces de sécurité marocaines ont brutalement démantelé un camp de protestation sahraoui établi non loin de Al-’Ayun (Laâyoune), provoquant des vagues de contestation et de pillages de la part des indépendantistes sahraouis et des loyalistes marocains. Parallèlement, il est aussi apparu au cours des dix dernières années que des figures emblématiques du mouvement sahraoui de défense des droits de l’homme au Sahara Occidental étaient des personnes natives du sud du Maroc. Alors que certains de ces militants sahraouis continuent à habiter au sud du Maroc, d’autres sont venus au Sahara Occidental suite aux politiques de colonisation du gouvernement marocain, comme nous allons le voir plus bas.
Malgré l’importance du rôle que les colons ont joué, jouent actuellement, et continueront vraisemblablement de jouer dans le dénouement du conflit au Sahara Occidental, il n’y a pas eu de tentative sérieuse d’évaluer l’envergure démographique et l’importance politique des pratiques de colonisation du Maroc au Sahara Occidental. En m’appuyant sur des données provenant de sources publiques et sur des analyses précédentes (voir Zunes et Mundy 2010), je souhaiterais combler cette lacune à partir des informations disponibles. Après un aperçu de l’histoire du conflit à travers sa géographie politique, nous nous pencherons sur la géographie humaine du conflit du Sahara Occidental en commençant par une analyse de la population autochtone, puis en essayant de s’attaquer aux aspects qualitatifs et quantitatifs de l’impulsion de la colonisation marocaine au Sahara Occidental. Cet effort préliminaire nous permettra une approche de l’évaluation du rôle des colons au Sahara Occidental par rapport aux intérêts étatiques du Maroc. Cela nous apportera également une base pour comprendre comment les colons s’expriment au sein du discours du gouvernement marocain au sujet du conflit. La troisième partie de cet article portera sur l’évolution du rôle des colons au sein du conflit et du processus de paix. Le fait d’établir les conditions sous lesquelles les colons se sont mobilisés pour ou contre les intérêts étatiques du Maroc mène à un diagnostic et à un pronostic possible quant à la problématique des colons au Sahara Occidental.
B. GÉOGRAPHIE POLITIQUE DU CONFLIT AU SAHARA OCCIDENTAL
Dans sa forme actuelle, le conflit au Sahara Occidental remonte à novembre 1975, quand l’Espagne a cédé face à l’invasion civile et militaire par le Maroc de sa colonie désertique (voir Mundy 2006). Les bases du conflit, cependant, avaient déjà été posées deux décennies auparavant. Né du colonialisme franco-espagnol en 1956, le Maroc a exprimé une revendication historique sur d’immenses étendues de terre, s’étalant de l’Algérie de l’ouest au nord du Mali et comprenant l’intégralité de la Mauritanie et du Sahara Espagnol/Occidental, considérés comme faisant partie du territoire précolonial, une idée connue sous le nom de Grand Maroc. Bien que le Maroc ait fini par reconnaitre la souveraineté de tous ses voisins indépendants en 1970, le roi Hassan II a refusé de renoncer à sa revendication d’état sur le Sahara Espagnol/Occidental, qui était encore sous administration espagnole. Initialement colonisé par l’Espagne en 1885, le sort du territoire qui allait devenir le Sahara Occidental a finalement été fixé en 1912 par un accord avec la France qui a officialisé les protectorats espagnols au nord et au sud du Maroc (voir la
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3 Des affrontements entre Marocains et Sahraouis ont été signalés plus récemment en réponse à la répression imposée le 8 novembre 2010 sur un camp de protestation sahraoui non loin de Laâyoune, qui a provoqué des manifestations indépendantistes sahraouies parmi les plus importantes jamais vues au Sahara Occidental (voir Amnesty International, « Le Maroc doit enquêter sur les décès survenus dans un camp de protestataires au Sahara Occidental », 11 novembre 2010). Human Rights Watch a ensuite rapporté : « Suite à ces premiers affrontements violents [du 8 novembre], les forces de sécurité marocaines ont participé avec des civils marocains à des attaques en représailles contre des civils et des maisons et ont empêché des Sahraouis blessés d’avoir accès à des soins médicaux. » (Human Rights Watch, « Les forces de sécurité marocaines ont soumis des détenus à des mauvais traitements », le 26 novembre 2010). Rapidement, des vidéos ont été diffusées, montrant ce qui semble être un groupe de loyalistes en train de courir dans les rues de Laâyoune en brandissant des drapeaux marocains et des armes, le 9 novembre (voir http://www.youtube.com/watch?v=rXDsIj6aX_8). D’autres vidéos, montrant ce qui d’après certaines sources était un affrontement entre loyalistes et indépendantistes au sein d’un collège à Smara à la fin du mois de novembre 2010, ont été postées sur internet (voir http://www.youtube.com/watch?v=IGPTTXG- hVE). Plusieurs mois après, des épisodes inquiétants de confrontations entre Sahraouis et Marocains ont aussi été rapportés. « Mercredi dernier [c’est à dire le 31 mars 2010], 11 autres militants sahraouis ont été assaillis par une foule scandant des slogans en faveur de l’administration marocaine du Sahara Occidental alors qu’ils arrivaient à l’aéroport de Laâyoune, de retour des camps de réfugiés de Tindouf. » (Amnesty International, « Le Maroc doit cesser de harceler les militants sahraouis », 8 avril 2010). Des confrontations similaires ayant eu lieu au Maroc même ont aussi été rapportées. En mars 2010, Tan Tan, une ville du sud du Maroc qui compte une importante population sahraouie, a aussi connu une confrontation entre les forces de sécurité marocaines accompagnées de civils marocains et une délégation de militants sahraouis qui s’étaient rendue peu de temps auparavant dans les camps de réfugiés sahraouis administrés par le Polisario en Algérie.
carte). Comme le Maroc Français et le Maroc Espagnol du nord, le Maroc Espagnol du sud (aussi connu sous le nom de Tekna ou de Zone Draa) était administré au nom du sultan marocain. Le Sahara Espagnol – Río de Oro et Saguia el-Hamra – était considéré comme situé largement à l’extérieur de l’influence territoriale marocaine à cette période, un fait d’une importance cruciale dans le cas du Sahara Occidental pour la CIJ en 1975. En 1974, l’Espagne a finalement cédé face à une résistance sahraouie croissante et aux pressions internationales en faveur d’une décolonisation, annonçant des plans pour mener un référendum sur l’indépendance. Le Maroc a réussi à bloquer le referendum en demandant à la CIJ de considérer sa revendication territoriale sur le Sahara Espagnol. La Mauritanie, qui avait également revendiqué le Sahara Espagnol, s’est associée à la demande du Maroc pour un jugement de la CIJ. L’avis historique de la CIJ a rejeté la plupart des revendications du Maroc et de la Mauritanie et a souligné le droit du Sahara Occidental à l’autodétermination.
CARTE DU SAHARA OCCIDENTAL / DES PROVINCES SAHARIENNES DU MAROC
Carte préparée par J. Mundy. Sources : Reyner, 1963 ; EIU, 2003 ; Groupe de Cartographie des Nations Unies (Carte A4-010, 4 mai 2007).
Malgré cette conclusion, le roi Hassan II a déclaré son intention – quelques heures seulement après la publication de la décision de la Cour Internationale – d’envoyer 350.000 Marocains au Sahara Occidental pour récupérer le territoire. Le Maroc a menacé l’Espagne d’entrer en guerre si elle essayait de repousser cette invasion. Malgré les demandes de l’Espagne auprès du Conseil de Sécurité des Nations Unies, l’organe suprême des Nations Unies n’a fait que désapprouver verbalement la Marche Verte. Peu disposée à être entraînée dans ce qui semblait être une guerre coloniale contre le Maroc, se retrouvant face à des pressions passives de la part du Conseil de Sécurité en faveur d’un compromis avec le Maroc, et préoccupée par une possible crise de sécession avec le Généralissime Francisco Franco sur son lit de mort, l’Espagne a négocié un transfert de pouvoir au Maroc et à la Mauritanie en novembre 1975. Les dernières troupes espagnoles se sont retirées en février 1976.
La guerre opposant le Maroc au Polisario pour le Sahara Occidental a duré jusqu’au cessez-le-feu imposé par les Nations Unies en 1991. La prise de contrôle initiale par le Maroc et la Mauritanie a poussé une part considérable – environ 40% – de la population autochtone à chercher refuge en Algérie. Avec l’aide diplomatique et matérielle de l’Algérie, le Front Polisario, formé en 1973, a d’abord lutté pour son indépendance contre les Espagnols avant de retourner ses armes contre les Marocains et les Mauritaniens. La Mauritanie, après avoir essuyé plusieurs revers face aux forces du Polisario, s’est retirée du conflit en 1979, laissant le Maroc comme seul occupant. Le Polisario a tout d’abord fait bonne figure contre le Maroc en contrôlant la majorité du territoire, et même le sud du Maroc, pendant les cinq premières années de la guerre. L’arrivée massive de l’aide saoudienne, française et américaine, ainsi qu’une
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stratégie marocaine de contre-insurrection de plus en plus efficace, ont inversé la tendance contre le Polisario dans les années 1980. A la fin des années 1970, le Maroc a commencé la construction d’une série de barrières lourdement protégées et minées, creusées dans le sol ou construites le long des crêtes. A partir de 1987, ces murs, connus sous le nom de « berms » ont divisé efficacement le Sahara Occidental en deux zones inégales : la plus grande sous contrôle marocain et la plus petite sous le contrôle de facto du Polisario (voir la carte). L’impasse militaire et l’engagement du Maroc en 1981 pour un référendum ont aidé à relancer les efforts des Nations Unies pour régler le conflit, qui était placé sous la médiation de l’OUA depuis 1976. Après avoir obtenu des parties un accord pour un cessez-le-feu suivi d’un référendum, le Conseil de Sécurité a approuvé la création d’une Mission des Nations Unies pour l’organisation d’un Référendum au Sahara Occidental (MINURSO) en avril 1991. Le cessez-le-feu est entré en vigueur quelques mois après. Le référendum, en revanche, n’a toujours pas eu lieu.
C. GÉOGRAPHIE HUMAINE DU CONFLIT DU SAHARA OCCIDENTAL
C.1. Les Sahraouis et leurs diasporas
Dans le cas du Sahara Occidental, les identités en jeu présentent une grande fluidité et, en tant que telles, peuvent facilement être interprétées pour différents objectifs politiques. Afin de comprendre les activités de colonisation menées par le Maroc au Sahara Occidental occupé, il faut d’abord avoir une compréhension élémentaire de la population autochtone du Sahara Occidental, le peuple appelé « sahraoui ». Dans son sens le plus basique, le terme « sahraoui » vient de l’adjectif en arabe qui signifie « du Sahara », et souligne donc l’origine de cette identité collective. Le peuple natif du Sahara Espagnol en est arrivé à se nommer « sahraoui » car il était composé de Sahariens Espagnols, et comme ils n’étaient pas espagnols, ils se sont simplement nommés eux-mêmes « Sahariens » ou, en arabe, « Sahraouis » (voir Mundy 2007).
Cependant, trois facteurs importants rendent la situation plus complexe. Tout d’abord, la population qui s’est elle- même nommée « sahraouie » habitait une région plus vaste et maintenait des liens familiaux avec des populations vivant dans les territoires coloniaux voisins du sud du Maroc Français et Espagnol, de l’Afrique de l’Ouest Française (devenue ensuite la Mauritanie) ainsi que de l’Algérie Française. Des tentatives de cartographie de la répartition géographique des groupes sociaux (parfois appelées « confédérations » ou « tribus »), y compris sur le territoire du Sahara Occidental, le prouvent.4 De plus, la répression coloniale et les sécheresses dans les années 1950 et 1960 ont considérablement bouleversé les modes de vie des Sahraouis au sein de la colonie administrée par l’Espagne, poussant nombre d’entre eux à chercher refuge ou de nouvelles opportunités au sein des colonies françaises voisines devenues des états indépendants. Enfin, le fait que le territoire du Sahara Occidental soit reconnu par les Nations Unies comme non autonome garantit au peuple autochtone le droit à l’indépendance. Ce droit ne s’étend pas à l’ensemble du groupe ethnique mais seulement aux Sahraouis nés à l’intérieur des frontières de l’ancien Sahara Espagnol. C’est pour cela qu’une distinction est nécessaire entre les Sahraouis en tant que groupe ethnique vivant dans les régions du sud du Maroc, de l’est de l’Algérie, du nord de la Mauritanie et du Sahara Occidental, et ceux qui sont exclusivement natifs du Sahara Occidental. Tous les natifs du Sahara Occidental sont sahraouis mais tous les Sahraouis ne sont pas natifs du Sahara Occidental. L’identité, bien sûr, n’obéit pas à des distinctions aussi tranchées, mais telle est la norme « arbitraire et pourtant sacrosainte » de uti possidetis, qui, à quelques rares exceptions – le Timor Oriental et le Sahara Occidental en étant les plus connues – a guidé la décolonisation d’un milliard de personnes au cours du vingtième siècle (Franck 1987 : page 11). L’argument majeur en faveur du maintien des frontières coloniales était de repousser l’irrédentisme, comme celui qui est au cœur des revendications du Maroc sur le Sahara Occidental et à la base des trente-cinq années de conflit qu’il a engendrées.
Il va sans dire que la taille de la population autochtone fait toujours l’objet d’importantes contestations. Depuis le cessez-le-feu des Nations Unies en 1991, la « guerre » pour le Sahara Occidental est devenue essentiellement une lutte démographique tout au long des années 1990. Le contrôle de la composition de l’électorat pour le référendum proposé par les Nations Unies est censé déterminer la souveraineté sur le Sahara Occidental. Ce sont les bulletins de vote, et non les balles, qui sont censés désigner le vainqueur. Quand le Polisario a accepté l’organisation d’un référendum par les Nations Unies en 1988, le mouvement de libération imaginait un plébiscite par lequel seuls les natifs du Sahara Occidental recensés par l’Espagne en 1974, et peut-être leurs descendants directs, pourraient voter. Le Maroc, de son côté, a soutenu que le recensement effectué par l’Espagne en 1974 était incomplet car de nombreux natifs du Sahara Occidental avaient fui le territoire à la fin de la colonisation espagnole. Les biographies de plusieurs membres de l’avant-garde fondatrice du Polisario montrent qu’ils avaient soutenu les revendications du
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4 Par exemple, voir les cartes « tribales » de Barbier (1982), de Damis (1983), d’Ibn ‘Azuz Hakim (1981) et de Vilar (1977).
Maroc. Ayant fui vers le sud du Maroc dans les années 1950 et 1960 pour échapper aux sécheresses et à la répression coloniale, ils n’ont pas été comptabilisés dans le recensement espagnol.
Les politiques cyniques dissimulées derrière les positions du Maroc et du Polisario par rapport à l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental étaient claires depuis le début. Le Polisario était convaincu non seulement que le strict respect du recensement de 1974 garantirait un référendum authentique au Sahara Occidental, mais aussi qu’un tel électorat soutiendrait l’indépendance de manière écrasante. Alors qu’un petit pourcentage de Sahraouis authentiques aurait pu être exclu, le Polisario a cru qu’il était plus important de lutter contre l’alternative proposée par le Maroc. C’est-à-dire l’effort du Maroc pour trouver d’autres critères que ceux du recensement de 1974 pour accorder le droit de vote au référendum que la MINURSO allait organiser. Pour empirer les choses (du point de vue du Polisario), le bras-droit du roi Hassan II, le ministre de l’Intérieur Driss Basri, réputé pour ses qualités électorales au niveau national, a été chargé d’organiser l’effort marocain pour gagner le référendum pour le Sahara Occidental (Jensen, 2007 : pages 73-4).
Le recensement de 1974 avait établi une liste de 73.497 natifs. Des agents de l’administration coloniale espagnole ont critiqué la revendication marocaine selon laquelle des dizaines de milliers de Sahraouis avaient fui vers le sud du Maroc à la fin de la période coloniale, tandis que d’autres ont considéré que la méthodologie du recensement de 1974 était suspecte. Pourtant, les études démographiques les plus précises menées par l’administration coloniale, en 1942 et 1967, ont évalué la population avant et après le soulèvement de 1957-58, révélant ainsi une évolution significative de la population autochtone (Chopra, 1994 : 78). Des documents officiels ont rapporté, entre 1955 et 1974, les chiffres suivants :
Source : Aguirre, 1988 : 603.
Si l’on considère que ces chiffres sont globalement corrects, on observe une baisse significative entre 1955 et 1959 qui pourrait confirmer les revendications marocaines, mais une hausse marquée entre 1962 et 1964, de cent pour cent, suggère soit un décompte plus précis 5 , soit un retour des réfugiés. Naturellement, ces données suscitent suffisamment de doutes quant à la méthodologie utilisée pour que cette question reste contestable.
Quand l’Assemblée Générale des Nations Unies a envoyé une mission en visite au Sahara Occidental à l’été 1975, l’un de ses objectifs était de déterminer le nombre de natifs du Sahara Occidental vivant hors du territoire. La mission s’est déroulée dans un contexte marqué par une tentative de l’Espagne pour organiser un référendum d’indépendance et des efforts marocains et mauritaniens pour le repousser en demandant un avis à la CIJ. A ce
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5 Au cours de cette période, des sécheresses et la disponibilité croissante de logements ont poussé de nombreux Sahraouis nomades à se déplacer vers les villes, où il était plus facile de les comptabiliser (Pazzanita, 2006 : page 350). Une étude précédente en 1954 était basée sur un décompte des tentes et non des personnes (Damis 1983 : page 8).
moment-là, les autorités espagnoles croyaient qu’un nombre équivalent de natifs du Sahara Occidental vivaient en exil au sud du Maroc et en Mauritanie, soit pas plus de 9.000 personnes au total. Le Maroc, en revanche, soutenait qu’entre 30.000 et 35.000 natifs du Sahara Occidental vivaient sur son sol ; l’Algérie, elle, soutenait que 7.000 d’entre eux se trouvaient sur son territoire. Etant donné la stratégie du Polisario pour gagner le référendum dans les années 1990, il y a une certaine ironie historique à ce qu’ils revendiquent le chiffre le plus élevé : 50.000 « réfugiés politiques et exilés » vivant dans les territoires voisins en 1975. Le Polisario a souvent exagéré la population potentielle du Sahara Occidental, sans doute pour défendre sa légitimité diplomatique au cours de ses premières années. Il a ainsi annoncé lors de la visite de la mission des Nations Unies en 1975 qu’il comptait 750.000 Sahraouis ayant « une association historique avec le territoire » (UNGA, 1977 : paragraphe 156).6
Quand les Nations Unies ont publié les résultats initiaux du processus d’identification des électeurs, qui s’était étalé sur six ans (de 1994 à 2000), il semblait que les craintes du Polisario d’une éventuelle tentative du Maroc pour truquer le vote étaient justifiées. Le Maroc, sous d’apparents faux-semblants, avait présenté des milliers de ses propres citoyens comme étant natifs du Sahara Occidental, y compris, mais pas uniquement, des personnes de l’ethnie sahraouie qui ne provenaient pas du Sahara Occidental mais du territoire marocain. Au final, la MINURSO a défini un électorat de 86.386 personnes pour le vote d’autodétermination au Sahara Occidental, déjà retardé depuis si longtemps. Sur les 244.643 demandes d’inscription reçues par la mission des Nations Unies (S/2003/565), la grande majorité provenaient soit du Maroc même (99.225), soit du Sahara Occidental occupé par le Maroc (83.971). En tout, cela faisait plus que doubler les 72.370 noms de la liste du recensement espagnol de 1974 mise à jour par la MINURSO, et atteignait plus de quatre fois le nombre de demandes provenant des camps de réfugiés et soutenues par le Polisario (42.337). En d’autres termes, seulement 5% (6.875) des candidatures provenant du Maroc même étaient autorisées à voter, et un peu moins de la moitié des candidatures provenant du Sahara Occidental occupé et soutenues par le Maroc étaient également autorisées (41.150). Etonnamment, la mission des Nations Unies est arrivée à ce résultat malgré le fait que les critères et les procédures pour approuver les demandes d’inscription sur la liste électorale avaient été modifiés et remodifiés pour obtenir la coopération du Maroc tout au long du processus (S/ 2000/131: paragraphe 6). Des critiques portant sur le Polisario ont souvent prétendu que le mouvement de libération avait renouvelé le processus d’identification pour peu de raisons voire sans raisons (par exemple, Theofilopoulou, 2006 : page 4). Avec le recul, cependant, il apparaît clairement que le Maroc essayait de saboter l’esprit du vote, et donc, que le Polisario avait des raisons d’être prudent, mais sans pour autant prétendre à une exclusivité. Le résultat le plus important obtenu tout au long des six années pendant lesquelles la MINURSO s’est efforcée de créer un électorat pour le référendum d’indépendance au Sahara Occidental est la déduction d’une estimation précise de la population indigène sahraouie dans le territoire. Si l’on considère un âge médian de dix-huit ans7 en 1994, quand la MINURSO a recueilli les demandes d’inscriptions sur les listes de vote, alors nous arrivons à un chiffre d’environ 170.000 natifs du Sahara Occidental.
La liste électorale provisoire souligne un autre point intéressant. D’un côté, elle semble ébranler l’affirmation du Maroc selon laquelle un grand nombre de natifs du Sahara Occidental auraient fui vers le sud du Maroc dans les années 1950 et 1960. La mission des Nations Unies n’a trouvé que 6.875 natifs du Sahara Occidental en âge de voter au Maroc. D’un autre côté, l’un des premiers actes du Maroc dans la préparation du référendum après le cessez-le- feu de septembre 1991 a été de faire entrer environ 100.000 personnes sur le territoire pour voter. Cet acte, que le gouvernement marocain a nommé la Seconde Marche Verte, a été le premier signe majeur montrant que Rabat était prêt à tout pour assurer sa victoire (voir ci-dessous pour une analyse plus détaillée). D’après le Maroc, cette population aurait été constituée d’une majorité de personnes d’origine ethnique sahraouie, sans doute les réfugiés ayant fui le Sahara Espagnol trente ou quarante ans auparavant accompagnés de leurs descendants. En d’autres termes, si le Maroc avait en effet rapatrié de nombreux membres de la diaspora du Sahara Occidental en 1991 et en 1992, alors Rabat aurait vidé le sud du Maroc des populations qui auraient prouvé son souhait d’accueillir une part
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6 Etant donné les similarités ethniques avec de nombreux Mauritaniens, cette revendication n’est peut-être pas aussi délirante qu’elle y paraît. Au cours d’un voyage d’études en 2003, j’ai rencontré un natif du Sahara Occidental à Laâyoune dont les frères et sœurs travaillent pour le gouvernement du Polisario en exil et dont un cousin travaille pour le gouvernement mauritanien. Cependant, le chiffre de 750.000 personnes soutenu par le Polisario en 1991 est très éloigné de l’électorat de la MINURSO – qui s’élève à 75.000 personnes.
7 L’âge médian approximatif en Mauritanie, bien qu’il soit supérieur au Maroc et en Algérie.
importante de personnes venant du Sahara Occidental. Il aurait en effet été difficile d’intégrer cela dans le décompte final de la MINURSO. 8
La liste électorale provisoire remet aussi en question certaines données démographiques attribuées aux camps de réfugiés sahraouis. En 1975 et en 1976, la violence des forces d’invasion du Maroc et de la Mauritanie, ainsi que la retraite précipitée de l’administration espagnole, ont contribué à pousser une part importante de la population à fuir le Sahara Occidental. Depuis 1981, le Polisario et l’Algérie (en tant que pays hôtes des réfugiés) ont affirmé que 150.000 personnes étaient réfugiées (Hodges and Pazzanita, 1994 : pages 364-5). Etant donné que ce chiffre atteint le double de celui du recensement espagnol de 1974, il est difficile de penser qu’il soit correct. Comme le Maroc le souligne souvent, tout comme le font parfois des pays donateurs, l’Algérie et le Polisario n’ont jamais autorisé le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) ni le Programme Alimentaire Mondial (PAM) à effectuer un recensement dans les camps. Le Polisario et l’Algérie soutiennent que (1) ils disposent de leurs propres données de recensement au sein des camps et (2) qu’un recensement par les Nations Unies ne doit se faire qu’au sein d’une résolution globale du conflit. Ce qui s’est le plus rapproché d’un recensement effectué au niveau international dans les camps de réfugiés a été un décompte pour un éventuel futur rapatriement mené par l’UNHCR entre 1998 et 2000 en préparation au référendum alors attendu. Ce décompte avait atteint 129.963 personnes. Cependant, des préoccupations quant à la méthodologie utilisée avaient été soulevées, principalement liées au fait que le décompte avait été basé sur le nombre de chefs de famille et non du nombre de personnes. Même si l’on considère que le Polisario a encouragé les résidents des camps à exagérer la taille de leur foyer, ce chiffre est toujours loin des 155.000 à 165.000 réfugiés mentionnés par le Polisario, l’Algérie, et certaines ONG et militants.
Depuis le début du conflit à la fin de l’année 1975, la plupart des observateurs ont estimé que la population réfugiée près de Tindouf s’élevait à un peu moins de la moitié de la population autochtone comptabilisée par l’Espagne lors du recensement de 1974. La liste électorale provisoire de la MINURSO (en février 2000) le confirme. 39% des électeurs admissibles venaient des camps ; les autres venaient du Sahara Occidental occupé par le Maroc et un petit pourcentage venait du Maroc et de la Mauritanie. Tout comme le décompte de l’UNHCR, la liste électorale provisoire de la MINURSO a soulevé de sérieux problèmes quant à la revendication de 150.000 à 165.000 réfugiés. S’il y avait environ 75.000 Sahraouis en 1974, dont 40% se sont ensuite réfugié, comment est-il possible que la population originale d’environ 30.000 Sahraouis réfugiés ait atteint 150.000 personnes si rapidement ? Et si ce raisonnement est incorrect, pourquoi seulement 34.000 réfugiés en âge de voter ont-ils été inscris sur la liste électorale s’il y avait prétendument beaucoup plus d’électeurs admissibles dans les camps ? Si le chiffre de 150.000 personnes est juste, alors la logique voudrait que les camps soient (1) soit fortement peuplés de personnes qui ne proviennent pas du Sahara Occidental, ou que, de façon plus troublante, (2) le Polisario ait empêché de nombreux réfugiés de s’inscrire au vote suite à des questions liées à leur fidélité à la cause de l’indépendance. Le scénario le plus probable, cependant, semble être que le Polisario et l’Algérie aient gonflé les chiffres démographiques des camps pour des raisons de propagande politique et pour obtenir suffisamment d’aide humanitaire.
C.2. L’organisation de la colonisation au Sahara Occidental occupé
Après le départ définitif de l’Espagne du Sahara Occidental en février 1976, le Maroc a mis plusieurs années pour sécuriser la « zone utile », c’est-à-dire le triangle utile reliant la plus grande ville, Al-’Ayun (Laâyoune), à la seconde plus grande ville, Smara, et aux mines de phosphate de Boukraâ.9 Les tactiques guerrières d’attaques éclairs menées par le Polisario ont fait bonne figure face aux forces armées conventionnelles marocaines, ce qui a permis aux insurgés sahraouis de bénéficier d’une liberté de mouvement presque totale pendant les quatre à cinq années de guerre. Le Polisario a souvent mené des attaques comprenant des incursions à l’intérieur du territoire marocain, y
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8 A partir d’une population de 75.000 personnes, cela signifierait qu’un taux d’augmentation de 4% par an – un taux très élevé, mais pas impossible – aurait porté à 160.000 le nombre de personnes originaires du Sahara Occidental, deux décennies après le recensement espagnol de 1974. Des taux de croissance démographique plus raisonnables de 2 à 3% auraient eu pour résultat une population d’entre 111.000 et 135.000 personnes. Pourtant, si l’âge médian considéré est de 18 ans, le nombre d’électeurs évalué lors du recensement de 1974 atteindrait donc entre 55.000 et 67.500 personnes, laissant un déficit de 20.000 à 30.000 natifs du Sahara Occidental. Selon une estimation évaluant l’ampleur de la Seconde Marche Verte à plus de 100.000 personnes, il semble très plausible que la recolonisation massive par le Maroc en 1991 et 1992 pourrait combler ce déficit potentiel.
9 Le Polisario et le Maroc utilisent des transcriptions latines des noms de lieux du Sahara Occidental, en particulier pour la capitale Laâyoune. Pour ne pas ajouter à la confusion, j’ai essayé de rester aussi proche que possible de l’arabe, en utilisant une version modifiée des traductions standards de l’arabe de l’International Journal of Middle East Studies (sans marques diacritiques). Pour les lieux situés au Maroc, j’utilise le nom official marocain. Autant que possible, j’ai ajouté une transcription populaire francophone ou hispanophone entre parenthèses.
compris jusqu’aux villes administratives assez importantes de Tan Tan et de Tata. Mais à partir du moment où le Maroc a construit une série de barrières défensives lourdement minées et protégées par des patrouilles à la fin des années 1970, la tendance a commencé à s’inverser. Grâce à une aide considérable de la France, des Etats-Unis et de l’Arabie Saoudite, le Maroc a pu mettre en place une stratégie défensive efficace, privant patiemment le Polisario de sa précieuse liberté de mouvement dans certaines zones. En 1987, les murs de défense marocains – les « berms » – avaient atteint leur longueur actuelle, s’étendant du sud du Maroc à la côte atlantique près de la Mauritanie. Grâce à ce qui peut être considéré comme le plus grand exploit d’ingénierie militaire du siècle dernier, le Maroc a sécurisé la majorité des régions civiles du Sahara Occidental et a commencé à augmenter ses activités de colonisation.
En plus d’être divisé entre les zones occupées par le Maroc et les étendues à l’est théoriquement contrôlées par le Polisario, le Sahara Occidental fait face à d’autres facteurs qui rendent la compréhension de l’évolution récente de sa population difficile. La division en districts par l’administration nationale marocaine est un facteur important. A plus haute échelle, le Maroc est divisé en seize régions économiques, chaque région étant divisée en plusieurs provinces ou préfectures, elles-mêmes divisées en communes et municipalités. L’administration marocaine au Sahara Occidental est divisée en trois régions officiellement nommées (1) Oued-Eddahab-Lagouira10, (2) Laâyoune- Boujdour-Sakia El Hamra et (3) Guelmim-Es Samara. Alors que la région d’Oued-Eddahab-Lagouira au sud est entièrement située au Sahara Occidental, les deux autres régions empiètent sur le sud du Maroc (voir la Carte 1). Les données statistiques marocaines, par conséquent, sont à considérer avec prudence. Par exemple, d’après le recensement marocain de 2004, la région de Guelmim-Es comptait une population de 462.410 personnes, mais 90% de cette population était inscrite dans les provinces ou les préfectures situées principalement ou entièrement hors du Sahara Occidental. Au sein du Sahara Occidental, c’est dans cinq provinces principales que l’on trouve la majorité de la population : à Laâyoune/Al’Ayun/11 (210.023), à Dakhla (7.854), à Smara (60.426), à Boujdour (46.129), et à Aousserd/Awsard/ (20.513). Si l’on considère l’ensemble de ces populations, on obtient un total d’environ 415.945 personnes dans les zones du Sahara Occidental contrôlées par le Maroc. Si l’on comptabilise les populations vivant dans les zones de désert aride situées à l’est du mur marocain et contrôlées par le Polisario, la différence ne serait que de quelques milliers tout au plus.12
Une étude récente menée par le sociologue Mohamed Cherkaoui (2007) et portant sur les taux de scolarisation fournit des informations sur les caractéristiques générales de la colonisation au Sahara Occidental occupé.13 D’après des données obtenues au Ministère marocain de l’Education, les provinces de Laâyoune, de Boujdour et de Saqiyah al-Hamra’ (parmi les premières à avoir été sécurisées pendant la guerre) ont vu leur nombre d’enfants scolarisés passer de 3.061 en 1977 à 57.341 en 2007. Alors que la plus forte augmentation en termes de pourcentage a eu lieu entre 1977 et 1981, l’augmentation numérique la plus importante a eu lieu entre 1981 et 1991 (11.535), et entre 1991 et 2000 (27.955). L’augmentation entre 2000 et 2007 a atteint à peine 19% (9.316), ce qui suggère que le taux de repeuplement a considérablement baissé. Etant donné que presque 40% de la population native du Sahara Occidental vit toujours en exil (d’après la liste électorale des Nations Unies de 1999), ce chiffre donne un panorama des caractéristiques de la colonisation marocaine selon lequel la période la plus importante d’expansion numérique a eu lieu entre 1990 et 2000, c’est-à-dire à peu près au cours de la période ayant suivi le cessez-le-feu des Nations Unies de 1991. Cette expansion se stabilise ensuite après 2000. Pendant la guerre, qui a duré environ de 1977 à 1990, il semble que le Sahara Occidental occupé ait connu un taux plus important de colonisation atteignant jusqu’à 555%. Ces données reflètent clairement une campagne coordonnée par l’état pour peupler le Sahara Occidental car (1) elles
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10 La ville la plus au sud du Sahara Occidental, Lagouira (Lagwirah), située au sud de Nouadhibou près de la pointe du cap partagé avec la Mauritanie, est très peu peuplée et demeure de facto son contrôle mauritanien depuis la guerre, bien que Nouakchott ait renoncé à ses revendications lors de l’Accord d’Alger signé en 1979 avec le Polisario. La présence administrative marocaine s’arrête au petit poste frontière de Guerguarate.
11 La province de Laâyoune s’étend aussi à l’intérieur du Maroc jusqu’à la petite ville côtière de Tarfaya, qui pourrait augmenter cette population de quelques milliers.
12 En s’efforçant de créer ses propres faits sur le terrain, le Polisario envisage actuellement des plans pour étendre sa présence civile dans les zones de Tifariti et de Bir Lahlu (dans la zone nord), ce qui pourrait inclure le déplacement de réfugiés dans ces zones. Aucun déplacement majeur de réfugiés, cependant, n’a été annoncé.
13 Ici, je considère que ces chiffres ne proviennent pas des infrastructures disponibles. D’après la correspondance avec les données de recensement (au moins pour la période de 1994 à 2004), cela semble être une hypothèse fiable et les données de Cherkaoui sur le nombre d’écoles (2007 : page 111) suggèrent que la demande a dépassé l’offre. Le taux de scolarisation (voir Cherkaoui, 2007 : page 110) modifierait ces données mais pas dans le sens où on pourrait en déduire des caractéristiques de colonisation.
dépassent largement les données de croissance démographiques habituelles et (2) elles doivent être mises en parallèle avec la baisse spectaculaire de 40% de la population native sahraouie lors de l’exode de 1975 et 1976.
Une analyse approfondie de la croissance démographique au sein des provinces du Sahara Occidental entre les recensements marocains de 1994 et 2004 est intéressante pour deux raisons. D’abord, le Maroc n’a pas fourni, ni aux médias, ni à des observateurs internationaux, des informations démographiques détaillées sur les caractéristiques de sa colonisation au Sahara Occidental. Les restrictions imposées par le Maroc aux étrangers au Sahara Occidental rendent extrêmement difficiles – voir pratiquement impossibles – la collecte de données fiables et impartiales sur les populations. Ensuite, la période entre 1994 et 2004 correspondait à celle pendant laquelle les efforts des Nations Unies pour identifier et analyser les électeurs potentiels pour le referendum d’autodétermination étaient à leur apogée. Alors que la tristement célèbre « Seconde Marche Verte » a eu lieu bien avant cette période (de 1991 à 1992), lorsque le Maroc a délibérément déplacé plus de 100.000 « Sahraouis » au Sahara Occidental pour le référendum, une analyse de la période située entre 1994 et 2004 peut mettre en lumière certaines logiques politiques de la colonisation marocaine au Sahara Occidental.
Entre 1994 et 2004, les trois régions du sud ont vu leur population augmenter significativement, passant de 598.495 à 817.929. Si l’on isole ces trois régions principalement au sein du Sahara Occidental, les données diminuent environ de moitié, passant de 252.146 en 1994 à 415.945 en 2004. Comme nous venons de le conclure ci-dessus, la croissance démographique dans les provinces principales du Sahara Occidental occupé par le Maroc dépasse la croissance démographique humaine naturelle, ce qui provient très certainement de la campagne d’état pour peupler la région. Laâyoune a connu une croissance de 36%, Boujdour de 112%, Dakhla de 130 % et Aousserd revendique une augmentation stupéfiante de 718%.14 Au total, la croissance démographique de ces provinces a presque atteint 65%, alors que, pour les provinces voisines au Maroc de Guelmim, Tan Tan et Tata, elle n’a atteint que 10%. La province d’Assa-Zag, qui se trouve principalement du côté du Sahara Occidental, mais dont la plus grande agglomération, Assa, se trouve au Maroc, a vu sa population augmenter de 43.535 personnes en 2004, une augmentation de près de 100%. Au niveau national, la population du Maroc n’a augmenté que de 14%, et pourtant, s’il l’on met de côté les trois régions sahariennes, étant donné que leur population est relativement faible, la moyenne ne change pas beaucoup. La ville la plus grande du Maroc, Casablanca, a vu sa population augmenter de 8% sur la même période (voir HCP 2005).
C.3. Les Sahraouis face aux Marocains au Sahara Occidental occupé
Maintenant que nous avons un ordre d’idée de la taille de la population au Sahara Occidental occupé par le Maroc, nous pouvons essayer d’examiner le pourcentage des colons et résidents qui ne sont pas d’origine sahraouie. Il semble préférable de considérer que les aspects qualitatifs des caractéristiques de la colonisation marocaine au Sahara Occidental sont aussi importants que les aspects quantitatifs que nous venons d’étudier. L’ « ethnicité » – faute d’un meilleur terme – est sans doute le facteur qualitatif le plus important ; la jeunesse et la problématique du genre sont également importants mais s’écartent du champ de cet article.
Commençons par la population native du Sahara Occidental : une distinction (déjà mentionnée précédemment) doit être faite entre la population indigène sahraouie du Sahara Occidental et la population d’origine ethnique sahraouie provenant des régions voisines de Mauritanie, d’Algérie, et notamment du sud du Maroc. En pratique, les Sahraouis font rarement cette distinction entre les Sahraouis spécifiquement du Sahara Occidental et les Sahraouis en général. Etre Sahraoui signifie être un descendant de l’un des principaux groupes sociaux (ou « tribus ») dont l’habitat s’étendait, majoritairement ou au moins en partie, au Sahara Occidental. Pourtant, lorsque les Nations Unies ont tenté d’organiser un référendum au Sahara Occidental dans les années 1990, les deux critères du sang et de la terre – c’est-à-dire l’origine territoriale du Sahara Occidental – étaient derrière les tentatives de chaque Sahraoui pour s’inscrire au vote (S/23299, Annexe I : paragraphe 23, pages 29-31 ; voir aussi Jensen, 2005 : chapitre 5). Un autre aspect important de l’identité sahraouie est l’usage du dialecte arabe hassanya, commun aux Mauritaniens, mais qui se distingue du dialecte arabe marocain dominant (le darijah) ou du dialecte berbère utilisé juste au nord du Sahara Occidental (le tashilhit). Il existe également de nombreuses différences culturelles entre les Sahraouis et les Marocains (qu’ils soient arabes ou berbères) concernant les aspects les plus ordinaires (comme la nourriture et l’habillement) comme les aspects les plus remarquables (comme les pratiques religieuses et les relations hommes- femmes). Pour une grande partie, ces différences découlent de l’environnement social des uns, principalement
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14 Alors que la petite ville d’Aousserd (Awsard) est située à l’intérieur des terres, la province d’Aousserd englobe dans sa juridiction la bande de côte atlantique la plus au sud. Il est probable que la majorité de sa population s’explique par l’importante industrie de pêche au poulpe qui s’est développée le long de la côte du Sahara Occidental depuis le cessez-le-feu de 1991. Lors de la saison de pêche au poulpe, la population de pêcheurs itinérants augmenterait de dizaine de milliers de travailleurs.
nomade et pastoral (que l’on retrouve au sein d’autres cultures du Sahara, comme les Touaregs et les Maures), qui s’oppose au cadre de vie des autres, composé de zones urbaines, d’agriculture de montagnes et de plaines méditerranéennes relativement luxuriantes. La présence de populations d’origine ethnique sahraouie au sud du Maroc commence à compliquer les choses, sans évoquer le fait que la dynastie marocaine actuelle prétend être originaire du désert algérien de l’ouest plutôt que des médinas de Fez ou de Marrakech.
Etant donné le fait que le Maroc ne considère pas le Sahara Occidental comme un pays distinct, et parce que l’identité sahraouie est si étroitement liée au projet nationaliste du Polisario, on comprend aisément que Rabat soit réticent à reconnaître une identité sahraouie, même en tant que groupement ethnolinguistique distinct, tout comme les groupes amazighes (berbères) au Maroc. Il est fréquent de rencontrer au sein du discours politique marocain l’idée selon laquelle l’identité des Sahraouis serait d’ordre géographique plutôt que politique ou ethnique – Saharien/ Sahraoui signifiant littéralement « du Sahara ». D’après cette définition, les colons marocains, quel que soit leur origine ethnique, peuvent donc devenir sahraouis. Les personnes d’origine ethnique sahraouie sont souvent appelées Hassani, en référence à leur dialecte arabe, le hassanya. Par exemple, en défendant récemment la politique de Rabat au Sahara Occidental, Abdelhamid El-Ouali, un Marocain spécialisé en droit et en études politiques, a accusé l’Espagne d’avoir créé le « nationalisme pseudo-sahraoui » en 1973, soutenant que les Sahraouis étaient un « soi- disant peuple » – et précisant qu’il était nécessaire d’utiliser des guillemets pour évoquer le « peuple sahraoui ». Malgré un vaste répertoire, le manuscrit d’El-Ouali ne contenait pas d’occurrence du terme « sahraoui » (El-Ouali, 2008 : page 93).
Comme le gouvernement marocain n’a jamais fourni, ni même apparemment effectué, de statistiques sur la répartition de la population par ethnie ou par langue, seule une estimation approximative de la population non- sahraouie au Sahara Occidental est possible, en se basant sur deux sources imprécises : les données du recensement mené par le gouvernement marocain, et la liste d’électeurs de la MINURSO. Nous avons estimé précédemment, d’après la liste d’électeurs des Nations Unies, que la population totale de natifs du Sahara Occidental s’élevait à 170.000 personnes en 1994, soit environ 50% de la population vivant sous administration marocaine (c’est-à-dire environ 75.000). Sur une population totale de 252.146 personnes au Sahara Occidental occupé en 1994, la population indigène sahraouie atteignait donc environ 30%. D’après le recensement marocain de 2004, le pourcentage de personnes originaires du Sahara Occidental a vraisemblablement diminué. Même si la population native du Sahara Occidental a augmenté en même temps que le reste de la population marocaine au Sahara Occidental entre 1994 et 2004 (c’est-à-dire, au même taux extraordinairement élevé de 65%), on peut imaginer que 123.000 natifs sahraouis vivaient sous l’occupation marocaine en 2004. Pourtant, si l’on considère que l’augmentation surprenante de la population est presque exclusivement liée aux activités colonisatrices de l’état marocain, qui encourage l’arrivée de colons venus du nord, il est intéressant d’évaluer la population actuelle de natifs sahraouis en se basant sur un taux de croissance annuelle comparable dans la région de 1 à 3%, qui se rapproche de la moyenne globale de la plupart des pays. A ce taux, la population native du Sahara Occidental sous occupation marocaine pourrait atteindre 90.000 à 100.000 personnes en 2004. Cela suggère raisonnablement que les colons marocains comptaient pour environ 75 à 80% de la population du Sahara Occidental occupé en 2004.
Il a été largement admis qu’une grande part de la population des 300.000 colons marocains au Sahara Occidental était constituée d’Arabes marocains parlant darijah et qui étaient présents sur le territoire pour faire leur service militaire, pour être employés au sein de la bureaucratie gouvernementale ou pour profiter des incitations économiques. En ce qui concerne l’armée, il a été largement souligné que le Maroc maintenait au Sahara Occidental une armée de 100.000 à 150.000 hommes, dont la plupart sont postés le long de la barrière défensive (le « berm »). Nous ne savons pas si ces soldats (et éventuellement les membres de leur famille qui les accompagnent) sont à ajouter ou déduire des données du recensement marocain. En résumé, le nombre total de Marocains au Sahara Occidental, si l’on comptabilise ou non la présence militaire dans les recensements de 1994 ou de 2004, ou aux deux, peut varier de 150.000 à 450.000 personnes.
Alors qu’il est clair que les natifs du Sahara Occidental représentent aujourd’hui une minorité dans leur propre pays, cette observation doit être nuancée par le fait qu’un pourcentage important de la population de colons marocains se compose apparemment de personnes de l’ethnie sahraouie venus du sud du Maroc. (L’importance historique et politique de l’arrivée massive de ce groupe ethnique sera étudiée ci-après.) De la même manière, plusieurs visites de recherches à Laâyoune (en 2001, 2003 et 2005) suggèrent que l’économie du service privé semble être bien représentée auprès des Amazighes de langue tashilhit des régions du sud marocain de la vallée de Sus, de l’Anti- Atlas et de Nun-Dra‘a, en particulier dans le secteur de la restauration et des petites commerces. Dans l’histoire récente, les Berbères de langue tashilhit de l’Anti-Atlas font partie des classes dominantes de marchands au Maroc, ce qui leur a valu une réputation d’exploitants commerciaux habiles dans les villes principales au nord de Marrakech (Waterbury 1972). Il y a un chevauchement géographique considérable et même un mélange ethnique entre les populations tashilhites et sahraouies au sud du Maroc. Les autres populations berbères majeures au Maroc, qu’elles
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soient de langue tarifit au nord ou tamazight dans le Moyen Atlas et le Haut Atlas Oriental, ne semblent pas être très représentées au Sahara Occidental occupé par le Maroc.
Une analyse de la politique de colonisation au Sahara Occidental occupé devrait aussi prendre en compte les facteurs qui motivent de nouvelles populations à s’installer sur le territoire contesté, en particulier pour déterminer si certains sont « poussés » par le gouvernement marocain (par exemple, la Seconde Marche Verte, les fonctionnaires du gouvernement, le service militaire) ou s’il sont « attirés » par les subventions apparemment généreuses de l’état et d’importants développement d’infrastructures (à propos du développement du territoire sous occupation marocaine, voir Thobhani, 2002 ; Cherkaoui, 2007). Les régions sahariennes du Maroc, par exemple, comptent parmi les taux les plus élevés de logement, d’accès à l’électricité et d’équipement en infrastructures routières par personne au Maroc.15 Alors que le personnel militaire, les enseignants et les autres fonctionnaires bénéficient certainement de subventions gouvernementales (doublement du salaire, logement, allègement des taxes et subventions sur certains produits comme le pétrole), il n’est pas sûr que ce soit le cas pour les employés du secteur privé. L’importante économie des services au Sahara Occidental (par exemple les hôtels, les magasins et les restaurants) résulte sans doute plus des opportunités économiques générées par les incitations du gouvernement, qui vise principalement à attirer de non-Sahraouis à s’engager dans le service public loin de chez eux. L’effet d’attraction ou effet « porté à bout de bras » est particulièrement rentable, si l’on compare à l’augmentation des activités illégales ou parallèles, qui, dans le reste du Maroc, compensent de plus en plus le chômage chronique des jeunes. Historiquement, il est probable que les colons marocains, qui ont été incités à s’installer tout au long des années 1980 et 1990 par des subventions du gouvernement, pour la plupart des administrateurs et des employés liés à l’armée, aient aidé à lancer et alimenter les forces « axées sur le marché » qui ont attiré de nouvelles personnes à travailler au Sahara Occidental. Cependant, ceci n’est qu’une hypothèse préliminaire pour essayer de comprendre toutes les forces possibles – qui s’ajoutent aux efforts coercitifs et aux subventions de l’état – qui stimulent l’occupation marocaine au Sahara Occidental occupé. Pour le moment, il suffit simplement de reconnaître que, pour atteindre une meilleure compréhension des forces qui soutiennent l’activité de colonisation marocaine au Sahara Occidental, les données démographiques et économiques actuellement disponibles ne sont pas suffisantes. La mentalité du gouvernement marocain, en tant qu’état occupant depuis trente-cinq ans, ne présage rien de bon pour l’obtention d’informations plus spécifiques.
D. LE RÔLE DES COLONS DANS LE PROCESSUS DE PAIX
D.1. La Seconde Marche Verte et le Référendum
Au cours des dix premières années de la mission des Nations Unies au Sahara Occidental (de 1991 à2001), les colons marocains n’étant pas originaires du Sahara Occidental n’ont pas été inclus de manière formelle dans le processus de paix et n’ont joué qu’un rôle indirect. Au moment où le Conseil de Sécurité des Nations Unies a créé la MINURSO en avril 1991, il était bien connu que le gouvernement marocain avait encouragé un nombre important de ses citoyens à s’installer dans les zones du Sahara Occidental qu’il contrôlait, en particulier dans les villes majeures de Laâyoune, Smara et Dakhla. En revanche, que ce soit pour les parties concernées ou pour les membres de la communauté internationale, il ne faisait aucun doute que ceux qui participeraient au référendum seraient les natifs du Sahara Occidental. Parmi les 83.971 personnes du Sahara Occidental occupé ayant demandé à voter au referendum, seuls 41.150 remplissaient les conditions requises. On peut raisonnablement en conclure qu’un nombre important de colons marocains ont essayé de se faire passer pour des natifs du Sahara Occidental auprès de la MINURSO.
La tentative du Maroc – de contrôler le résultat du vote en s’appuyant sur sa propre population et ses colons au Sahara Occidental – aurait dû apparaître clairement dès le premier jour. Après la création de la MINURSO par le Conseil de Sécurité en avril 1991, le gouvernement marocain a fourni une liste de plus de 120.000 « personnes du Sahara Occidental » dans le but de l’ajouter à la version du recensement espagnol de 1974 révisée par la MINURSO. Si cette liste supplémentaire de votants – ostensiblement compilée par le Ministère de l’Intérieur marocain – avait été acceptée, l’électorat aurait augmenté de plus de 150%. Le gouvernement marocain a demandé que les Nations Unies ajoutent sur leur liste ces électeurs sans poser de questions. Le Polisario, naturellement, a rejeté cette demande. Pour le Polisario, les principes de comptabilisation de 1988 signifiaient que les individus, et non des listes soutenues par un gouvernement, pourraient émettre une demande pour être inscrit sur la liste de la MINURSO. Si la Commission d’Identification de la MINURSO avait sérieusement considéré l’ensemble des 120.000 candidats, le calendrier initial datant d’avril 1991, et s’étalant sur neuf mois, aurait dû être abandonné. Avec un budget serré, la MINURSO ne s’attendait à examiner que 10.000 candidats supplémentaires pour le référendum – les personnes nées
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15 Voir le site internet du gouvernement marocain http://www.sahara-developpement.com [consulté le 29 mars 2009].
après le recensement de 1984 ou qui avaient été exclues par erreur (Zoubir and Pazzanita, 1995 : page 618 ; Bolton, 1998 ; Jensen, 2005 : page 74). Vigoureusement interrogé lors d’une audience du sous-comité du Congrès, le Secrétaire d’Etat adjoint américain pour l’Afrique a reconnu que la demande du Maroc constituait une « violation » du Plan de Règlement de 1991 (Congrès Américain, 1992).
Pour plaider sa cause, le Maroc a aussi organisé la Seconde Marche Verte. Le 15 septembre 1991, un peu plus d’une semaine après l’adoption du cessez-le-feu, le roi Hassan II a informé Javier Pérez de Cuéllar, alors Secrétaire Général des Nations-Unies, que le gouvernement marocain prévoyait aussi de déplacer 170.000 de ses citoyens pour les « rapatrier » au Sahara Occidental pour le référendum. D’après le gouvernement marocain, il s’agissait de réfugiés du Sahara Occidental du temps de la colonisation espagnole, mais des militants locaux des droits de l’homme avaient plus récemment annoncé que la grande majorité de ces personnes étaient de l’ethnie sahraouie mais originaires du territoire marocain.16 Rabat comptait sur le fait que la mission des Nations Unies serait incapable de distinguer les personnes d’ethnie sahraouie mais provenant du Maroc des Sahraouis natifs du Sahara Occidental. D’après Pérez de Cuéllar, le Secrétaire d’Etat américain d’alors, James Baker, aurait décrit l’action marocaine comme une « tentative à peine déguisée de truquer les résultats de l’élection » (Pérez de Cuéllar 1997 : page 349).
La Seconde Marche Verte du Maroc a provoqué un léger scandale au sein du Secrétariat des Nations Unies. Marrack Goulding, alors Secrétaire Général adjoint des Nations Unies aux opérations de maintien de la paix, a essayé de faire remonter une information au chef de la MINURSO, le Représentant Spécial Johannes Manz, selon laquelle le transfert de population constituait une « déviation majeure par rapport au plan ». Mais Pérez de Cuéllar a tout simplement supprimé cette ligne du communiqué. Marrack Goulding a aussi conseillé au Secrétaire Général d’informer le Conseil de Sécurité de cette évolution négative, qui constituait une grave menace à la réalisation intégrale du Plan de Règlement. Pourtant, le Secrétaire Générale a décidé de laisser le Conseil de Sécurité dans l’ignorance (Goulding, 2002 : page 211). A la fin de l’année 1991, Johannes Manz a decidé de démissionner de son poste à la MINURSO. Il a aussi expliqué dans une lettre « confidentielle » à Pérez de Cuéllar :
« En ce qui concerne les violations d’ordre non-militaire, le transfert de personnes non identifiées dans le Territoire, ce que l’on appelle la « Seconde Marche Verte » est, d’après moi, contraire à l’esprit, si ce n’est aux termes mêmes, du Plan de Paix. » (cité dans Chopra, 1999 : page 198).
Cet acte, cependant, n’a eu que peu d’impact sur le Secrétaire Général, sur le point de prendre sa retraite, et qui a rapidement œuvré pour légitimer les préoccupations du Maroc en proposant des critères alternatifs d’identification des votants (voir UNSC S/23299). Malgré la présence des Nation Unies après le cessez-le-feu de septembre 1991, il était extrêmement difficile pour les observateurs internationaux d’obtenir une vision claire des populations au Sahara Occidental occupé. Peu après le cessez-le-feu, les autorités marocaines auraient informé la population du Sahara Occidental qu’il leur était interdit de parler aux étrangers, y compris aux journalistes ou aux membres de la MINURSO. Des employés de la mission des Nations Unies basés à Laâyoune ont fait part de leur frustration liée à leur interdiction de parler à la population locale (magazine Washington Report on Middle East Affairs, août 1992). Les réunions publiques étaient interdites, y compris, pendant une certaine période, pour des événements sociaux comme les mariages. Des soldats marocains auraient troqué leur uniforme militaire pour une tenue civile, agissant sous la couverture de différents rôles civils (par exemple, comme chauffeur de taxi ou opérateur téléphonique). De la même manière, un reporter du New York Times (23 février 1992) à Laâyoune a écrit : « En vérité, la surveillance est si intense qu’il est difficile de savoir ce que pensent réellement ces quelques 100.000 personnes dans cet avant-poste désertique à propos du référendum ».
L’importance des espoirs portés par le Maroc sur ses colons pour modifier l’électorat du référendum est peu à peu apparue. Quatre ans après le début de la mission, Human Rights Watch (1995) a enquêté sur les opérations menées par la MINURSO et en est arrivé à la conclusion que « le Maroc, la plus forte des deux parties aussi bien militairement que diplomatiquement, s’est régulièrement conduit de façon à enrayer et compromettre l’impartialité du processus référendaire » (HRW, 1995 : page 3). Cette conclusion a été corroborée par plusieurs entretiens, confidentiels et publics, avec des responsables des Nations Unies impliqués dans le processus. Le rapport précisait que certains candidats soutenus par le Maroc se faisaient visiblement passer pour des personnes venant du Sahara Occidental :
Des témoignages de membres de la commission d’identification de la MINURSO indiquent que de nombreux candidats proposés par le Maroc et identifiés jusqu’à ce jour ne disposent pas de documents prouvant leur lien avec le Sahara Occidental, ne parlent pas le dialecte régional hassanya, ne connaissent
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16 Jacob Mundy, entretiens divers, à Laâyoune, au Sahara Occidental, en août 2003 et novembre 2005.
pas la structure tribale de la région et ont clairement mémorisé les réponses aux questions factuelles et biographiques posées par la commission d’identification. (ibid.: page 18)
Le rapport mentionne également une conscience croissante que les Chouyoūkh (al-shuyukh) – les leaders sahraouis traditionnels sur lesquels s’appuie la MINURSO pour examiner les candidats – cèdent à une influence politique. Un responsable de la MINURSO a confié à Human Rights Watch :
[Deux] ou trois fois, j’ai vu un observateur marocain prendre à part l’un des cheikhs marocain pendant la pause et lui crier dessus parce qu’il n’avait pas pris la bonne décision. Mais en règle générale, c’était plus subtil : nous identifiions des personnes d’un sous-groupe [tribal] dans l’un des centres d’identification et nous étions supposés continuer avec le même sous-groupe dans un autre centre d’identification [les jours suivants]. Mais, sans crier garde, un certain cheikh [marocain], qui avait voté de la mauvaise manière, ne réapparaissait pas le lendemain. (ibid.: page 21)
D’après un ancien responsable de la MINURSO, « Le triste cas des cheikhs disparus est devenu un aspect presque ridicule du folklore de la MINURSO » (Adebajo, 2002 : page 18). En 2000, un ancien responsable de la mission des Nations Unies a écrit :
Le gouvernement marocain se donne apparemment beaucoup de mal pour s’assurer qu’un maximum de ses candidats soit considéré comme autorisé à voter. Un document publié dans l’édition du 24 au 30 mars 1998 du magazine francophone Jeune Afrique a été présenté comme une instruction du Ministère de l’Intérieur marocain destinée aux responsables provinciaux pour veiller à ce que les candidats souhaitant voter au référendum soient inscrits à un cours intensif sur les procédures d’identification des votants mené par un ministère. (Dunbar, 2000 : note 25)
Des agents du Polisario croient largement que Rabat a même soudoyé des responsables de la Commission d’Identification des Nations Unies, en particulier ceux qui avaient le dernier mot sur l’authenticité du candidat. Le fait que l’Unité d’Examen Juridique de la MINURSO ait ensuite disqualifié 4.000 candidats soutenus par le Maroc indique que les accusations du Polisario n’étaient pas infondées.
D.2. Les colons et la « troisième voie »
En 2000, peu après la finalisation par la MINURSO de sa liste provisoire de votants pour le référendum au Sahara Occidental, la question de savoir si le Maroc a essayé ou non de truquer le vote est devenue un sujet controversé. Dans son rapport de 2000 au Conseil de Sécurité, Kofi Annan a proposé une série d’arguments selon lesquels les Nations Unies devaient abandonner les Accords d’Houston de 1997, qui avaient principalement ratifié le Plan de Règlement de 1991 avec la signature des parties (UNSC S/2000/131). Les arguments de Kofi Annan étaient principalement d’ordre logistique : le Maroc ayant essayé de faire appel pour chaque votant rejeté (l’ensemble des 135.431 personnes concernées), cela aurait nécessité de renouveler presque entièrement le processus de sélection. Kofi Annan a critiqué le fait que la poursuite du Plan de Règlement de 1991 reporterait le référendum à 2002. En termes de raisonnement politique, Kofi Annan a soutenu que la nature du référendum, selon lequel le vainqueur raflerait toute la mise, était en train de générer des chamailleries sans fin et que les Nations Unies devaient trouver une solution de compromis.
En réalité, il y a deux raisons contextuelles à l’abandon du referendum en 2000. La première est la mort du roi Hassan II et l’ascension de son fils, Mohamed VI, à l’été 1999, alors que la MINURSO était sur le point de terminer l’identification des votants. Le nouveau roi ne souhaitait pas tenir la promesse, faite par son père en 1981, d’organiser un référendum au Sahara Occidental. Les alliés du Maroc – en particulier Paris et Washington – ne souhaitaient pas non plus que ce nouveau souverain marocain tienne cette promesse. La deuxième raison est l’effet de la situation au Timor-Oriental. La violence généralisée ayant suivi le vote pour l’indépendance du Timor Oriental à la fin du mois d’août 1999 est devenu un exemple effrayant des efforts incroyables qu’une puissance occupante peut mettre en œuvre pour conserver un territoire annexé. Poursuivre un vote au Sahara Occidental, contre la volonté du Maroc, aurait constitué une proposition risquée, en particulier étant donné que le pouvoir du nouveau roi n’était pas consolidé.
Lorsque le Secrétariat des Nations Unies et le Conseil de Sécurité ont commencé à chercher une approche alternative, la mission de conception d’une solution a été confiée à l’Envoyé des Nations Unies au Sahara Occidental, l’ancien Secrétaire d’Etat américain James Baker, qui avait négocié les Accord d’Houston entre le Polisario et la Maroc en 1997. La première proposition alternative de James Baker est arrivée en 2001. Tenant sur une seule page, le « Projet d’Accord Cadre » (PAC) était peu détaillé. Son objectif principal, bien que soldé d’un
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échec, était d’encourager au dialogue. Pour le Polisario, le PAC représentait un virage radical par rapport aux Accords d’Houston sur un point fondamental : il ne proposait pas explicitement de référendum d’indépendance, une condition pourtant sine qua non de l’autodétermination pour les nationalistes sahraouis. D’après l’autonomie proposée par le PAC, le gouvernement marocain aurait le contrôle des affaires étrangères, de la défense et de certains aspects de sécurité interne. La majorité des questions internes serait gérées par un gouvernement autonome du Sahara Occidental. En ce qui concerne la question de l’autodétermination, la proposition mentionnait un référendum ambigu sur un « statut final » au cours des cinq années de la mise en œuvre du plan. Bien que le premier gouvernement autonome du Sahara Occidental aurait été basé sur un équilibre entre les natifs du Sahara Occidental et les colons marocains, l’électorat pour le vote sur le statut final aurait été très favorable au Maroc : « Afin d’être autorisé à voter à ce référendum [sur le statut final], un votant doit avoir résidé à plein temps au Sahara Occidental l’année précédente » (UNSC S/2001/613 : Annexe I, paragraphe 5, souligné par l’auteur). Avec une telle ouverture, le gouvernement marocain aurait eu la possibilité de déplacer un certain nombre de ses citoyens sur le territoire l’année précédant le référendum afin de remporter le vote. Comme il fallait s’y attendre, le Maroc a accueilli favorablement cette proposition alors que le Polisario – soutenu par l’Algérie – l’a rejeté.
Après un retour à la case départ, James Baker a présenté aux parties un plan révisé au début de l’année 2003. Mais sous les contraintes de la Résolution du Conseil de Sécurité 1429 (du 30 juillet 2002), il aurait dû offrir au Sahara Occidental ce que le Maroc avait refusé explicitement : une tentative en faveur de l’indépendance.17 Le « Plan de Paix pour l’autodétermination du peuple du Sahara Occidental » (PP), de 2003, a finalement été rendu public dans le rapport du Secrétaire Général au mois de mai. Comme le PAC, le PP proposait une courte période de quatre ans d’autonomie avant un referendum de « statut final ». Cependant, le référendum du PP était, au début, un choix clair entre l’indépendance et l’intégration : l’option de l’autonomie ayant été ajoutée ensuite. Fait plus important encore, en ce qui concerne le rôle des colons marocains, la liste des votants était nettement plus équilibrée que ce que le PAC avait proposé. L’électorat devait être constitué des personnes en âge de voter inscrites sur la liste de la MINURSO au 30 décembre 1999 (sans possibilité d’appel), la liste de rapatriement du HCR au 31 octobre 2000, et les personnes qui « ont résidé de façon continue au Sahara Occidental depuis le 30 décembre 1999 » (UNSC 2003/565 : Annexe II, paragraphe 5). On peut aisément comprendre pourquoi le Maroc préférait la première proposition de James Baker. Le PAC proposait un référendum de statut final sans option explicite d’indépendance et aurait constitué un plébiscite des personnes résidant au Sahara Occidental un an avant le vote, donnant ainsi au Maroc davantage de contrôle sur le résultat. Le PP, en revanche, limitait la taille de l’électorat, ce qui le rendait plus équilibré entre les natifs et les colons, et offrait au Polisario de bonnes chances d’obtenir l’indépendance.
Le PP était aussi beaucoup plus explicite en ce qui concerne la forme que prendrait le gouvernement autonome dont les natifs du Sahara Occidental pourraient bénéficier au sein du Maroc avant le référendum sur le statut final. Suite à une période de transition prévue pour le rapatriement des réfugiés, les électeurs natifs du Sahara Occidental de la liste de la MINURSO et ceux de la liste du rapatriement du HCR voteraient pour élire le premier gouvernement autonome de l’Autorité du Sahara Occidental (ASO). En d’autres termes, les colons marocains, même d’ethnie sahraouie mais venant du sud du Maroc, se verraient refuser le droit de vote. L’ASO – exécutive, législative et judiciaire – serait seule responsable pour le « le gouvernement local, le maintien de l’ordre, la protection sociale, les affaires culturelles, l’éducation, le commerce, les transports, l’agriculture, les ressources minières, la pêche, l’industrie, l’environnement, le logement et le développement urbain, l’eau et l’électricité et les infrastructures routières et autres ». Le Maroc, sous le PP, détiendrait le contrôle exclusif « des Affaires étrangères […], de la sécurité nationale et de la défense extérieure », y compris le contrôle des armes à feu (excepté pour les besoins de l’ASO pou le maintien de l’ordre), ainsi que la « défense de l’intégrité du territoire contre toute tentative sécessionniste ». Le drapeau, les timbres, les douanes, la monnaie et les télécommunications resteraient également marocains. La majorité de la population – les colons marocains – n’auraient pas de voix au sein de l’ASO elle- même, mais seraient autorisés à voter lors du référendum sur le statut final.
Sans la participation des colons marocains au gouvernement autonome du PP, comme cela aurait été le cas sous le PAC, James Baker avait mentionné la possibilité tout à fait réelle que les représentants du Polisario et leurs défenseurs dominent les organismes élus. De plus, les enjeux économiques les plus importants au Sahara Occidental auraient été contrôlés par l’ASO, y compris la future prospection pétrolière, la pêche et l’exportation de phosphate brut, ce qui aurait mis fin au contrôle économique du Maroc sur le Sahara Occidental. Théoriquement, l’ASO aurait pu user de son autonomie pour influencer l’opinion des colons marocains au sujet du vote final. Il a été suggéré que certains auraient peut-être même opté pour l’indépendance avec les personnes originaires du Sahara Occidental, si
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17 Le Conseil de Sécurité a affirmé son désir de « garantir une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui pourvoie à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental ». Mais avant tout, dans le premier paragraphe, le Conseil s’est déclaré « prêt à étudier toute solution assurant l’autodétermination qui pourrait être proposée par le Secrétaire général et son Envoyé personnel ».
l’ASO faisait preuve de suffisamment de compétences et proposait de meilleures perspectives que sous le contrôle marocain. En effet, le pilier du PP était, évidemment, son vote de statut final. Comme dans le Plan de Règlement de 1991, la composition de l’électorat était déterminante. Pourtant, au lieu de ne faire voter que les natifs du Sahara Occidental, James Baker a proposé d’inclure la population majoritaire au Sahara Occidental – les colons marocains. Il a soutenu que, évidemment, la seule possibilité de voir le Maroc participer à un acte d’autodétermination, serait que le vote semble être en faveur de Rabat.
S’appuyant sur les ressources disponibles du recensement marocain et de la liste d’électeurs des Nations Unies, le référendum sur le statut final prévu par le PP aurait donné de prime abord un léger avantage numérique au Maroc. Supposons d’abord que la grande majorité des 86.386 natifs du Sahara Occidental figurant sur la liste d’électeurs de la MINURSO votent pour l’indépendance. Essayons ensuite de considérer la population de colons marocains du recensement de 1994 (126.073 personnes, en considérant un âge médian d’environ 18 ans) à laquelle on déduirait les 41.150 natifs du Sahara Occidental de la liste d’électeurs des Nations Unies résidant au Sahara Occidental occupé par le Maroc. Le résultat est assez intéressant : environ 85.999 colons marocains en âge de voter en 1994. Si l’on prend en compte l’importante croissance démographique entre les recensements marocains de 1994 et 2004 (de 252.146 à 415.945 personnes), ce chiffre pourrait être considérablement augmenté par la date limite de 1999 proposée par James Baker. L’augmentation de la population réfugiée dans les camps aurait été prise en compte dans la liste de rapatriement du HCR de l’année 2000. Mais, même si l’électorat des natifs du Sahara Occidental avait augmenté à un taux considérable 3%, la différence entre le recensement marocain de 1994 et celui de 2004 indique que l’avantage numérique est du côté marocain – en particulier si l’augmentation de la population entre 1994 et 2004 était surtout survenue au cours des années suivant le premier recensement (c’est-à-dire entre 1995 et 1999).
Un facteur, cependant, pourrait faire pencher cet équilibre électoral de prime abord en faveur du Polisario : il s’agit de la composition ethnique de la population de colons marocains. Comme nous l’avons étudié précédemment, les rapports des années 1991 et 1992 indiquent que le Maroc a déplacé 170.000 de ses citoyens vers le Sahara Occidental pour le référendum. Ces colons, nous l’avons compris, sont censés être issus de l’ethnie sahraouie et venir du sud du Maroc, et certains sont peut-être même des natifs du Sahara Occidental ayant fui à la fin de la colonisation espagnole (c’est-à-dire dans les années 1950 et 1960). Si la plupart des natifs du Sahara Occidental votaient pour l’indépendance, il suffirait au Polisario de battre entre 10.000 et 20.000 colons marocains pour remporter le référendum proposé par le Plan Baker de 2003. Alors qu’il est difficile d’envisager que les Marocains de langue berbère ou les Arabes de langue darijah votent pour l’indépendance, il est devenu moins facile d’envisager que toutes les personnes d’origine ethnique sahraouie du sud du Maroc fassent de même. Le rejet du PP par le Maroc, qui a précipité la démission de James Baker, reposait sur un rejet de principe de toute proposition qui remette en question l’ « intégrité territoriale » du Maroc. En d’autres termes, le gouvernement marocain est resté campé sur sa position officielle qui rejette toute proposition envisageant l’indépendance. En dehors de cette logique officielle, le Maroc n’a jamais fourni d’autre explication pour son refus d’un référendum pour lequel les colons domineraient l’électorat. Une raison possible sera explorée ci-dessous.
E. CONCLUSION : COLONIALISTES OU CINQUIÈME COLONNE ?
Lors des dernières élections marocaines, c’est au Sahara Occidental occupé que l’on a enregistré les taux les plus élevés de participation électorale de tout le Maroc, alors que la moyenne nationale de participation a décliné progressivement, passant de 85% dans les années 1970 à moins de 40% aujourd’hui (Storm, 2008 : page 43). Lors des élections parlementaires de 2002, la participation électorale était de 70% au Sahara Occidental, soit 18% de plus que la moyenne nationale. Les élections locales de l’année suivante ont fait état de résultats similaires : 68% de participation au Sahara Occidental contre une moyenne nationale de 44%. Alors que les élections législatives marocaines de 2007 ont obtenu le taux de participation électorale le plus bas de l’histoire du Maroc (37%), le gouvernement a pu se vanter d’un taux de participation de 67% dans les Provinces Sahariennes (voir les sources de l’état marocain de 2003, 2004 et 2008). Pour des raisons évidentes, il convient de ne pas considérer ces chiffres sans un brin de scepticisme. Il est clair que le gouvernement marocain a de bonnes raisons de présenter à la communauté internationale un nombre exagéré de votants au Sahara Occidental, puisque cela suggère que ces régions soient les plus patriotes du pays. Deuxièmement, étant donné l’importante présence militaire au Sahara Occidental, le taux de participation élevé peut être une conséquence du vote organisé dans les casernes – une pratique opaque notoire qui permet une certaine manipulation. Mais si l’on considère que ces chiffres sont fiables, que devons-nous en faire ? Sont-ils simplement un effet de la mobilisation pro-marocaine de la part des colons au Sahara Occidental ? Ou sont- ils aussi un signe du soutien des Sahraouis à l’intégration au Maroc ?
En écrivant pour soutenir les revendications du Maroc au Sahara Occidental, la seule étude de Cherkaoui (2007) sur les caractéristiques du mariage sahraoui entre 1960 et 2007 tente de prouver que les populations marocaine et sahraouie sont en train de s’assimiler progressivement. Cherkaoui admet que les contrats de mariage marocains « ne
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mentionnent pas nécessairement les tribus » et que « cette étude porte uniquement sur le mariage au Sahara [Occidental], et non sur le choix des époux parmi les Sahraouis en général ». Au lieu de cela, il déduit de ses informations primaires des « zones de résidence » pour la naissance à propos de 30.000 contrats de mariage et en déduit l’origine ethnique (pages 139-40). Cherkaoui fait une distinction entre le Sahara Occidental, les « autres régions sahariennes » (c’est-à-dire l’ancien Maroc Espagnol du sud, également connu sous les noms de « Tekna Zone » ou de bande de Tarfaya) et les « régions non-sahariennes du Maroc » (page 142). Ses conclusions montrent que, depuis 1975, le peuple d’origine du Sahara Occidental a tendance à se marier une fois sur deux en dehors de la région.18 Mais les résultats de l’étude suggèrent que plus de 80% de ces mariages interrégionaux se fassent entre le Sahara Occidental et les zones du sud du Maroc dominées par les Sahraouis (page 148, tableau page 144). Ce qui commence comme une tentative de démontrer « l’intégration sociale progressive des Sahraouis dans la société marocaine dans son ensemble » (page 152) dégénère en un argumentaire partisan contre l’autodétermination basé sur l’idée que les Sahraouis voteraient, par leur mariage, pour l’intégration au Maroc. Par ailleurs, Cherkaoui prévient que les « élans séparatistes » des Sahraouis engendreront un irrédentisme ethnique insatiable tant que tout le sud du Maroc jusqu’au Haut Atlas ne sera pas incorporé à un Sahara Occidental indépendant (pages 148-9). Il s’agit d’un point de vue assez ironique quand on sait que le conflit du Sahara Occidental résulte directement de l’irrédentisme marocain, alors que le Polisario a refusé de soutenir des revendications pour une république sahraouie plus large qui pourrait inclure le sud du Maroc. Qui plus est, Cherkaoui, tout comme le gouvernement marocain, est incapable de fournir une réponse satisfaisante à une question très basique : si les Sahraouis sont si intégrés politiquement et socialement au Maroc, pourquoi le Maroc a-t-il donc décidé de s’opposer à un référendum qu’il ne pourrait prétendument pas perdre ? En réalité, alors qu’un certain niveau d’intégration et de respect mutuel existe entre Sahraouis et Marocains sur le lieu de travail et dans d’autres espaces publics au sein du territoire occupé, les fêtes de famille et les autres activités culturelles ont tendance à être très séparées selon les ethnies, et les mariages mixtes entre Sahraouis et non-Sahraouis sont relativement rares.
Coûte que coûte, le roi Hassan II, jusque sur son lit de mort, a semblé assuré qu’il gagnerait le Sahara Occidental. Cependant, son héritier a subi une prise de conscience brutale plusieurs mois après son couronnement. En septembre 1999, le Sahara Occidental a fait face à une série de manifestations d’étudiants et d’ouvriers menées par des Sahraouis qui se sont transformées en d’immenses manifestations pour l’indépendance. D’après le Secrétariat d’Etat américain, les autorités marocaines ont « encouragé des gangs de voyous locaux à cambrioler et à vandaliser les maisons et les commerces de certains résidents sahraouis » (Etat, 2000). Pourtant, il y a également eu des rapports selon lesquels d’autres colons marocains – d’origine ethnique sahraouie – auraient rejoint les manifestants. Après la Seconde Marche Verte de 1991-1992, le Maroc a installé ces personnes prétendument du Sahara Occidental dans plusieurs campements temporaires à la périphérie de grandes villes comme Laâyoune, Smara et Dakhla. Etant donné que le référendum était à l’origine prévu sur une durée de neuf mois, on s’attendait à ce que ces personnes votent rapidement puis repartent aussi vite. En 1999, les conditions dans les camps al-Wahdah (d’unité) – devenus largement des bidonvilles – étaient devenues intolérables. Si l’on considère que le nombre situé entre 100.000 et 170.000 participants à la Seconde Marche Verte est plus ou moins juste, les résidents des camps Wahdah (progressivement démolis et remplacés par des logements à Laâyoune après 2000) pourraient représenter une source de soutien importante pour les nationalistes du Sahara Occidental (voir Shelley, 2004 : pages 85-6).
Après le soulèvement de 1999, on a rapporté de plus en plus de manifestations sporadiques de jeunes et une augmentation de l’opposition nationaliste organisée au Sahara Occidental, en particulier pendant la visite royale du roi Mohamed VI en 2002. La situation a encore explosé en mai 2005, quand la répression policière suite à une petite manifestation de défense des droits de l’homme a précipité une semaine de troubles qui ont commencé au Sahara Occidental et se sont étendus à des groupes d’étudiants sahraouis dans des campus marocains. Alors que les forces de sécurité marocaines étaient en mesure d’étouffer la situation, un sentiment général de troubles s’est installé au Sahara Occidental, et de jeunes sahraouis se sont engagés chaque nuit dans des activités de propagande, en ayant apparemment chaque jour des escarmouches avec la police marocaine. On a même rapporté des manifestations éclairs dans des écoles primaires et dans des collèges. Pourtant, l’évolution majeure depuis le déclenchement des protestations de 1999 et de l’« Intifada » (soulèvement) de mai 2005, a été la participation croissante de personnes d’ethnie sahraouie dans le mouvement nationaliste. Les personnages emblématiques du mouvement nationaliste
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18 D’après les graphiques de Cherkaoui, la seule variable de temps utilisée est la première – l’année 1975. Les autres repères temporels sont marqués par des chiffres (2, 3, 4 et 5) plutôt que par des dates mais aucune échelle de temps n’est fournie. Il semble possible que les colons marocains aient été comptabilisés dans la chute spectaculaire de 90% dans les données de Cherkaoui représentant l’endogamie. Sa réponse à cette accusation (page 145) est d’affirmer que cela n’était pas possible car le lieu de naissance était pris en compte. Cela n’écarte pas la possibilité que les enfants de colons marocains non-sahraouis nés au Sahara Occidental puissent être affectés par ces résultats (par exemple, les 16% de natifs du Sahara Occidental qui se marient hors du sud du Maroc ou hors du Sahara Occidental).
sahraoui viennent du sud du Maroc et non du Sahara Occidental. Leur rôle majeur dans la politique de résistance au Sahara Occidental laisse présager d’un résultat possible au référendum qui inclurait tous les colons marocains, sans que ce soit nécessairement un résultat prédéterminé par les groupes ethniques.
REMERCIEMENTS
Merci à Brahim Ansari pour sa collaboration. Certaines informations ci-dessous proviennent de mes contributions originales au livre co-écrit avec Stephen Zunes, Western Sahara : War, Nationalism and Conflict Irresolution (Syracuse University Press, 2010).
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1 Alors que la Cour a déterminé que le peuple natif du Sahara Occidental constituait la puissance souveraine au Sahara Occidental au moment de la colonisation (vers 1885), elle était convaincue qu’il existait des liens (naturels) entre le sultan du Maroc et des groupes de Sahraouis habitant la zone située au sud du Maroc et au nord du Sahara Occidental. Ces liens, d’après la Cour, étaient insuffisants pour remettre en cause le droit du Sahara Occidental/ Espagnol à un référendum d’autodétermination (voir Franck 1976 et 1987 ; Mundy 2010). L’invasion par le Maroc du Sahara Espagnol en octobre et novembre 1975 visait clairement à empêcher Madrid de pousser la CIJ à mandater un vote (voir Mundy 2006).