Le spectre de l’anarchie armée au Maghreb et au Sahara

Les dernières évolutions tragiques en Libye préfigurent une tendance de fond particulièrement lourde et sanguinaire dans notre région. Avec l’assentiment du monde dit libre qui feint de s’en offusquer
S’achemine-t-on d’aventure vers l’anarchie armée et généralisée en Libye ? Tout porte à le croire. Les derniers développements font craindre le pire. Et les réactions internationales qui s’ensuivent renforcent les appréhensions sur fond d’un alarmisme justifié.
D’abord, les faits. Avant-hier, les autorités de Tripoli ont qualifié de «tentative de coup d’Etat» l’offensive menée à Benghazi par un général à la retraite contre des milices islamistes. Les heurts particulièrement violents ont fait au moins 79 morts et 141 blessés vendredi. Le rouleau compresseur meurtrier a commencé lorsque Khalifa Haftar, général à la retraite, a lancé vendredi matin une opération avec un groupe baptisé «Brigade du 17-Février», contre des groupes qualifiés de terroristes à Benghazi. La ville est réputée pour abriter plusieurs mouvances terroristes lourdement armées. Le général Haftar s’est autoproclamé chef de l’armée nationale. Il se fait fort du soutien de nombreux officiers de l’armée régulière qui ont fait défection, ainsi que d’officiers et d’unités combattantes munies d’avions et d’hélicoptères de combat.
Pour l’heure, Tripoli considère l’offensive de Khalifa Haftar et consorts comme «un agissement en dehors de la légitimité de l’Etat et un coup d’Etat», aux termes du communiqué lu par le président du Congrès général national (CGN, Parlement), Nouri Abou Sahmein. Ce dernier a renchéri : «Tous ceux qui ont participé à cette tentative de coup d’Etat vont être poursuivis par la justice». De son côté, Khalifa Haftar balaie l’accusation d’un revers de main : «Notre opération n’est pas un coup d’Etat et notre objectif n’est pas de prendre le pouvoir. Cette opération vise un objectif précis qui est d’éradiquer le terrorisme. L’opération va continuer jusqu’à purger Benghazi des terroristes».
Entre-temps, l’armée régulière a décrété samedi une zone d’exclusion aérienne sur Benghazi et sa région, menaçant d’abattre tout avion militaire faisant intrusion dans cette zone. Ce qui n’a pas empêché le raid d’un avion militaire contre un groupe d’ex-rebelles islamistes au nord-ouest de la ville.
Hier, c’était au tour de Tripoli de flamber et trembler. Des coups de feu ont été entendus au sud de Tripoli, non loin des locaux du Congrès général national (CGN, Parlement). Les députés ont été prestement évacués. Des témoins ont indiqué que les civils armés appartenaient aux tristement célèbres brigades de Zenten, qui contrôlent plusieurs sites sur la route de l’aéroport. Peu auparavant, un convoi de voitures blindées était entré dans Tripoli depuis la route de l’aéroport, et s’était dirigé vers les locaux du CGN. Les routes ont été fermées à la circulation, tandis que les civils se bousculaient et se pressaient de rentrer chez eux. Un vent de panique souffle sur Tripoli et d’autres villes et régions libyennes.
Panique en Libye, fortes appréhensions à l’international. Branle-bas diplomatique et militaire dans les capitales mondiales. Des réunions de très haut niveau ont eu lieu au Caire, à Tunis, à Alger et ailleurs. On s’attend au pire. Des vols réguliers sont suspendus. Les Américains ont acheminé des centaines de marines d’Espagne vers les côtes italiennes du sud. Les Français sont en état de veille.
Les états-majors internationaux sont sur le qui-vive. Les observateurs aussi. On fait l’état des lieux et on esquisse des prévisions à court et moyen terme.
Le circonstanciel ne saurait cacher la tendance de fond. Al Qaïda a opéré depuis quelque temps un vaste redéploiement géostratégique. Le Maghreb, le Sahara et l’Afrique subsaharienne lui tiennent désormais de principal lieu d’ancrage. Soit une dizaine de millions de kilomètres carrés. Cela va des confins du Soudan à l’Atlantique en abordant les zones limitrophes de l’Afrique de l’Ouest et les hauteurs de l’Atlas.
Les convulsions dudit printemps arabe ont été mises à profit de ce dessein démentiel. Les interventions du Qatar, de la France, de l’Italie, des Etats-Unis d’Amérique et de l’Otan en Libye ont favorisé les mouvances terroristes de la nébuleuse Al Qaïda au Sahara, au Mali, en Tunisie et aux abords de l’Algérie. De sorte que les dernières évolutions tragiques en Libye préfigurent une tendance de fond particulièrement lourde et sanguinaire dans notre région. Avec l’assentiment du monde dit libre qui feint de s’en offusquer.

Soufiane Ben Farhat

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