Le Tribunal de Strasbourg déclare que l’Espagne a violé la Convention Européenne des droits de l’homme de 30 sahraouis qui ont demandé l’asile

La Commission espagnole d’aide aux réfugiés a fait recours il ya deux ans, contre la décision de la Haute Cour Espagnole qui a autorisé l’expulsion de 30 demandeurs d’asile sahraouis dans le contre de Fuenteventura après le refus de leur demande de protection internationale par le ministère de intérieur. Les Sahraouis ont exprimé une crainte de persécution par les autorités marocaines après leur participation aux événements au camp de Gdeim Izik en 2010 .
Dans la décision rendue publique aujourd’hui, la Cour européenne de Strasbourg reconnaît la violation de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) en raison de l’absence dans la législation espagnole d’un mécanisme ayant un effet suspensif automatique qui permette de paralyser le retour des demandeurs d’asile jusqu’à ce que la décision sur leur cas soit définitive
Selon la décision, l’Espagne doit garantir le séjour des demandeurs de protection internationale sur le territoire espagnol pendant les démarches de leurs dossiers.
La Cour européenne des droits de l’homme ( CEDH ) est préoccupé par les mécanismes efficaces de sauvegarde pour protéger les demandeurs d’asile contre les refoulements arbitraires vers leur pays d’ origine alors que les tribunaux étudient l’affaire. En outre, poursuit la Cour, ces mécanismes sont une garantie juridique de l’Etat de droit et des principes fondamentaux d’une société démocratique inhérents à tous les articles de la Convention européenne des droits de l’homme.
Texte intègre de la résolution:
ARTÍCULO 13 Derecho a un recurso efectivo
Toda persona cuyos derechos y libertades reconocidos en el presente Convenio hayan sido violados tiene derecho a la concesión de un recurso efectivo ante una instancia nacional, incluso cuando la violación haya sido cometida por personas que actúen en el ejercicio de sus funciones oficiales.
ARRÊT
STRASBOURG
22 avril 2014
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire A.C. et autres c. Espagne,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Luis López Guerra,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Santiago Quesada, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 1er avril 2014,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouvent trente requêtes (voir détails en annexe) dirigées contre le Royaume d’Espagne et dont trente personnes se déclarant d’origine sahraouie (« les requérants ») ont saisi la Cour les 28 et 31 janvier 2011, le 28 mars 2011, le 27 septembre 2012 et le 2 octobre 2012 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a décidé que l’identité des requérants ne serait pas divulguée (article 47 § 3 du règlement).
2. Les requérants ont été représentés respectivement (voir détails en annexe) par Mes E. Gracia Cano, M. Valiente Ots et B. Alfonso Camacho, avocats de l’organisation non gouvernementale CEAR (Commission espagnole d’aide aux réfugiés). Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, F. de A. Sanz Gandasegui, avocat de l’État, chef du service juridique des droits de l’homme au ministère de la Justice.
3. Les requêtes concernent des procédures de renvoi des requérants vers le Maroc (Sahara occidental). D’origine sahraouie, les requérants craignent, s’ils venaient à être expulsés, de faire l’objet de représailles de la part des autorités marocaines, en raison de leur participation au campement de protestation de Gdeim Izik, démantelé le 8 novembre 2010. Ils invoquent les articles 2, 3 et 13 de la Convention.
4. Les 31 janvier, 1er février, 30 et 31 mars 2011, 27 septembre et 2 octobre 2012, le Président en exercice a décidé d’appliquer l’article 39 du règlement de la Cour et d’indiquer au Gouvernement qu’il était souhaitable, dans l’intérêt des parties et du bon déroulement de la procédure devant la Cour, de ne pas expulser les requérants pendant la durée de la procédure devant la Cour.
5. Les 7 novembre et 1er décembre 2011 et les 2 et 3 octobre 2012, les requêtes ont étécommuniquées au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Les requérants sont des demandeurs de protection internationale d’origine sahraouie.
A. Faits survenus avant l’arrivée des requérants en Espagne
7. Le 10 octobre 2010, des personnes d’origine sahraouie installèrent des tentes, en signe de protestation contre leurs conditions de vie, leur marginalisation et pour réclamer des emplois et un logement convenable, au camp Gdeim Izik, à 12 km à l’est de Laâyoune, situé dans le territoire du Sahara occidental. Selon les autorités marocaines, l’installation du camp était illégale et non-autorisée. Le 8 novembre 2010, des affrontements éclatèrent lorsque les forces de sécurité marocaines intervinrent pour évacuer de force et démanteler le camp. Onze membres des forces de sécurité et deux Sahraouis furent tués dans ces violences. D’après un rapport d’Amnesty international (« Des civils sahraouis jugés devant un tribunal militaire au Maroc : un procès vicié à la base », document du 1er février 2013), quelques 200 sahraouis furent arrêtés par les forces de sécurité dans les jours qui suivirent. D’autres interpellations intervinrent en décembre 2010.
8. À la suite du démantèlement du campement, les requérants arrivèrent à bord de bateaux de fortune sur les côtes de Fuerteventura, aux îles Canaries, entre le 5 janvier 2011 et le 19 août 2012. Quelques jours après leur arrivée, ils déposèrent des demandes de protection internationale auprès de l’Office de l’asile et des réfugiés du ministère de l’Intérieur.
B. Demandes de protection internationale
9. Les faits exposés par les requérants sont les suivants :
1. 6528/11 A C.
10. Au moment de présenter sa demande de protection internationale, le requérant aurait fourni une photo sur laquelle il apparait en compagnie d’un autre activiste sahraoui, portant des drapeaux du Front Polisario. D’après lui, le frère de cet autre activiste aurait été brûlé vif par les autorités marocaines en 2005. Le requérant soutient avoir fait l’objet de mauvais traitements en 2008, lorsqu’il fut arrêté par la police marocaine dans son domicile familial et jugé dans le cadre d’un procès inéquitable à l’issue duquel il fut condamné à une peine de prison pour un délit de trafic de stupéfiants. Il affirme à cet égard que les jeunes activistes sahraouis sont habituellement accusés de la commission de ce type de délit et condamnés sans respecter les garanties du droit à un procès équitable. Le requérant purgea la peine dans la « prison noire » de Laâyoune où il affirme avoir été victime d’une agression sexuelle et de traitements dégradants.
2. 6529/11 M.L.
11. Le requérant allègue avoir été cruellement frappé par les autorités marocaines lors de son arrestation au camp de protestation en novembre 2010. Il fut transféré à un endroit près de Río de Oro, d’où il s’enfuit. Il affirme que sa sœur aurait également été arrêtée et remise en liberté ultérieurement.
3. 6530/11 M.A.E.K.
12. Le requérant se plaint d’avoir été frappé à la tête lors du démantèlement du campement. Au moment où il présenta sa demande de protection internationale devant les autorités espagnoles, il avait une cicatrice et se sentait désorienté à cause de forts maux de tête qui auraient leur origine dans le coup reçu.
4. 6559/11 H.B.
13. Le 11 novembre 2010, des agents des forces de l’ordre marocaines entrèrent de force dans le domicile du requérant et d’autres personnes résidant à Laâyoune. Il se trouvait au travail au moment de l’intrusion, mais décida de porter plainte pour dénoncer les dégâts causés dans son domicile. Au commissariat de police, il affirme avoir été battu par les agents, accusé de collaborer avec la cause sahraouie.
5. 6562/11 M.M.
14. Le requérant affirme que l’un de ses frères a été battu lors des affrontements entre les sahraouis et la police marocaine. Il est resté caché jusqu’à son départ vers l’Espagne. Des policiers l’ont depuis cherché à son domicile de Laâyoune.
6. 6569/11 H.E.M.
15. Le requérant craint des représailles par les autorités marocaines. Après le démantèlement du campement, ses parents ont été arrêtés à leur domicile et remis en liberté quelques heures plus tard. Ses cousins ont été aussi arrêtés et sont en prison. Il allègue avoir été arrêté à plusieurs reprises et battu au commissariat.
7. 6572/11 M.A.
16. Le requérant craint des représailles du fait d’avoir été détenu à deux reprises par la police marocaine et condamné à une peine d’un mois de prison pour désordre public alors qu’il se promenait avec des amis sahraouis. Il n’a pas résidé dans le campement, il fournissait de l’eau et des aliments. Des agressions brutales par la police marocaine à d’autres sahraouis ont eu lieu et il craint une nouvelle détention.
8. 6574/11 R.E.K.
17. Le requérant affirme avoir été battu par la police marocaine pendant le démantèlement du campement. Craignant des représailles par les autorités marocaines il s’enfuit dans le désert pour éviter son arrestation. Suite à la diffusion de sa demande de protection internationale et de son identité par des photographies dans les médias, les autorités marocaines ont harcelé sa famille.
9. 6586/11 B.B.
18. Le requérant soutient avoir été battu par des autorités marocaines et ne pas avoir été soigné à hôpital après sa libération du fait de son origine sahraouie. Il affirme avoir déjà été arrêté et harcelé pendant deux jours par les autorités marocaines en 2005 pour avoir participé à une manifestation. Le 14 et le 21 novembre 2010 la police marocaine demanda des renseignements sur lui à son domicile. Il décida alors de se réfugier dans le désert. Il craint pour sa vie et son intégrité physique s’il était arrêté par les autorités marocaines.
10. 6590/11 F.E.W.
19. Craignant des représailles par les autorités marocaines, le requérant s’enfuit dans le désert pour éviter son arrestation. Il soutient que des agents des forces de l’ordre marocaines entrèrent de force dans son domicile familial le jour du démantèlement du campement et causèrent des dégâts et violèrent sa sœur âgée de 18 ans. Son père porta plainte mais il ne fut pas assisté et, étant illettré, il ne put pas la déposer formellement. Il craint pour sa vie et son intégrité physique s’il était arrêté par les autorités marocaines.
11. 6595/11 A.E.M.
20. Le requérant craint des représailles par les autorités marocaines en raison de sa participation active en tant que membre d’un de ses groupes de surveillance du le camp de protestation de Gdeim Izik. Des membres de sa famille ont été durement attaqués par les autorités marocaines après le démantèlement du campement, avec l’entrée de force au domicile de sa tante, où sa sœur fit l’objet d’une agression sexuelle par un/des agents de police. Le requérant empêcha ensuite le passage de la police marocaine en brûlant un véhicule. Il blessa avec un couteau un policier qui le menaçait avec une arme et s’enfuit alors dans le désert. Des policiers l’ont cherché depuis à son domicile de Laâyoune, et il craint pour sa vie.
12. 6602/11 S.R.
21. Le jour du démantèlement du campement, les agents des forces de sécurité marocaine auraient battu tous les membres de sa famille. Le requérant craint d’être détenu et emprisonné en cas de retour au Maroc.
13. 6605/11 S.S.
22. Le requérant se plaint que le 8 novembre 2010 lui et d’autres membres de sa famille firent l’objet de coups et blessures infligés par les autorités marocaines lorsqu’elles entrèrent de force dans leur domicile. Il affirme avoir participé aux combats entre des sahraouis, des marocains et des forces de l’ordre qui eurent lieu dans les rues de Laâyoune. Il craint des représailles des autorités marocaines, car il reconnait avoir commis un délit de désordre public. Il allègue avoir fait l’objet de persécution de la part des autorités marocaines dans le passé. Il dénonce en outre le harcèlement policier dont sa famille fait l’objet depuis son arrivé en Espagne.
14. 6869/11 A.B.
23. Le requérant allègue avoir été condamné et incarcéré dans la « prison noire » de Laâyoune en 2008 pour avoir battu un policier qui avait frappé sa mère. Il affirme avoir participé à des manifestations en 2006, 2007 et 2009, après avoir été mis en liberté. Lors du démantèlement du camp, la police militaire entra dans son domicile pour l’arrêter. Il fut frappé et s’évada par une fenêtre, se cassant une cheville. L’hôpital refusa de le soigner en raison de son origine sahraouie. Il dénonce que les agents de la police militaire agressèrent sexuellement ses sœurs. Les parents du requérant n’ont pas dénoncé les agressions sexuelles par peur des représailles.
15. 6875/11 A.M.
24. À la suite du démantèlement du camp de protestation, la police se présenta dans le domicile familial pour arrêter le requérant. Il s’enfuit et se cacha dans le désert. Sachant que la police le recherchait, le requérant embarqua sur un bateau de fortune pour les Iles Canaries.
16. 19730/11 B.T.
25. La requérante soutient avoir été arrêtée en 2006 pour avoir participé à des manifestations et avoir été violée par un agent de police. Elle ne dénonça pas le viol pour ne pas déshonneur sa famille et fut mariée de force. Au camp de Gdeim Izik elle put s’exprimer librement en faveur du peuple Sahraoui. Le 8 novembre 2010 elle affronta l’assaut des forces de sécurité marocaines avec des pierres et des bâtons. Elle s’enfuit en Espagne par crainte de représailles. Depuis, la police l’a cherché à trois reprises à son domicile.
17. 19739/11 S.A.
26. Le requérant allègue avoir été poursuivi par les autorités marocaines lors de sa participation, avec d’autres jeunes, à des manifestations pour l’indépendance du Sahara. Il affirme avoir été arrêté pendant trois jours au cours desquels il fut torturé et soumis à des interrogatoires. L’auteur des tortures fut « Tuhima », connu pour ses techniques de torture. Par ailleurs, la police aurait fouillé son domicile.
18. 19766/11 M.A.
27. Le requérant allègue avoir été arrêté pour la première fois en 2006 pour avoir participé à une manifestation où il a été pris en photo par les autorités marocaines avec d’autres manifestants. Après s’être refugié en Mauritanie, il retourna au Maroc où il fut arrêté et détenu pendant une semaine à la prison de Laâyoune où il affirme avoir été torturé. Il participa à une manifestation l’année suivante et il fut de nouveau détenu et torturé. Suite au démantèlement du campement, il retourna à Laâyoune. Depuis, la police s’est présenté à son domicile à plusieurs reprises.
19. 19774/11 H.B.
28. Le requérant indique qu’il a déjà participé à des actes de protestation contre l’occupation du Sahara occidental avec le groupe El Uali auquel il appartenait. En 2005, il fut arrêté en raison de ses activités dans ce groupe, ainsi que pour avoir participé à une manifestation en faveur de l’indépendance du Sahara dans le quartier de Matallah. La police lui reprocha également l’exposition sur la voie publique de drapeaux du Front Polisario. Il fut arrêté pendant 15 jours au commissariat central de Laâyoune, puis purgea une peine de prison à la « Prison noire » de la même ville. En 2006, il fut arrêté pendant deux mois, accusé de distribuer des brochures pour l’indépendance du Sahara. Il affirme que les autorités marocaines contrôlent ses mouvements. Il soutient que la police a menacé sa famille si elle ne dévoilait pas l’endroit où il se trouve.
20. 19783/11 H.A.
29. Le requérant est membre d’une famille pro-sahraouie qui inclut d’éminents dissidents. Il soutient avoir été arrêté et maltraité à plusieurs reprises du fait de sa participation à diverses manifestations en 2008 et 2010. À la suite du démantèlement du campement, où il s’était installé avec sa famille, il se réfugia à Smara mais fut détenu et battu par la police. De retour à Laâyoune, la police le chercha infructueusement.
21. 19791/11 E.G.
30. Le requérant s’installa au campement de Gdeim Izik entre le 12 octobre et le 8 novembre 2010, où il était un membre actif du groupe chargé de la sécurité. Étudiant, il avait participé à des manifestations en faveur de l’Indépendance du Sahara occidental à Laâyoune et avait été persécuté par les autorités marocaines de ce fait. Sa participation à une manifestation promue par Mohamed Salem Ayach entraina son arrestation et sa détention pendant trois jours au commissariat de Skeikima Avenue où il fut torturé. Il fut par la suite arrêté à plusieurs reprises pour sa participation à des manifestations en faveur du Front Polisario. La police marocaine fouilla son domicile plusieurs fois. Son frère ainé fut arrêté dans le campement, torturé et puis relâché. Le requérant craint des représailles en raison de ses activités en tant que dissident.
22. 19796/11 E.E.M.
31. Le requérant fut arrêté en raison de sa participation à des mouvements de protestation contre l’occupation marocaine du Sahara occidental. Au cours de celles-ci et d’autres détentions il affirme avoir été torturé par Aziz Awuche. Il se plaint également d’avoir été arrêté puis torturé après le démantèlement du camp Gdeim Izik. De peur des représailles, il se réfugia dans le désert et quitta le pays à bord d’un bateau de fortune.
23. 19837/11 A.E.J.
32. Le requérant craint des représailles en raison de sa participation au camp de protestation de Gdeim Izik. Il signale qu’il fut arrêté pour la première fois en raison de son activité dissidente le 15 juillet 2001, alors qu’il distribuait des drapeaux du Front Polisario. Il faisait alors partie d’une organisation d’étudiants nommée Chahid el Hafed, promue par les sympathisants d’Ali Salem Tamek, un important activiste politique détenu dans la prison de Casablanca. Ce dernier serait également en contact avec Aminetu Haidar. Le requérant fut arrêté pendant 15 jours au commissariat central de Laâyoune, où il fut battu, avec comme résultat des cicatrices au visage et une déviation de l’os frontal du nez. Il fut également victime d’une hémorragie interne pour laquelle il fut opéré dans une clinique à Agadir. Le 20 mai 2005 il fut arrêté à nouveau lors d’une manifestation pour l’indépendance du Sahara. Lorsqu’il quitta le camp de Gdeim Izik, le requérant se réfugia provisoirement chez des amis à Tan Tan. Ultérieurement, il regagna son domicile pour quitter le pays peu après de peur que la police ne vienne le chercher.
24. 19846/11 M.C.
33. Le requérant affirme avoir fait l’objet de détentions arbitraires. En 2005 il fut illégalement accusé d’avoir brûlé une voiture de police dans la station-service de Joumani. Il fut arrêté et détenu pendant une semaine dans une prison où il fut torturé pour obtenir des aveux. En 2006, alors qu’il était en vacances, il fut détenu pendant treize jours au commissariat à Douirat, où il fut de nouveau torturé. Le requérant se référa à ses blessures à la tête lors de sa demande de protection internationale. Il affirme que le jour du démantèlement du campement, il fut arrêté dans le quartier de Al Mataar où il fut brutalement battu dans une voiture. Le 11 novembre 2010 il fut convoqué au commissariat mais ne s’y présenta pas par crainte de représailles. Sa mère comparut à sa place et fut gardée au commissariat pendant six heures. Il s’enfuit et se cacha pendant un mois dans le désert, avant d’arriver en Espagne.
25. 19854/11 M.M.E.A.
34. Le requérant fut arrêté en 2009 dans le cadre d’une protestation lorsqu’il était en train de placer des drapeaux sahraouis. De ce fait, il fut condamné à deux ans de prison pour (fausse) accusation de vol. Il quitta la prison trois mois plus tard, sa famille ayant soudoyé le ministère public. Il s’installa alors au camp Gdeim Izik. Lors du démantèlement violent du camp, il fut blessé par arme blanche à une jambe et fut transporté dans un hôpital éloigné, les hôpitaux proches refusant de traiter les blessés sahraouis. La police est entrée de force à son domicile à deux reprises. Son frère a été arrêté et détenu afin qu’il donne des renseignements sur le requérant. Il fut remis en liberté sous la menace de représailles si M.M.E.A. ne se présentait pas devant les autorités. De peur d’être arrêté et incarcéré, le requérant quitta le pays à bord d’un bateau de fortune.
26. 19913/11 Y.E.Y.
35. Le requérant fut détenu en 2005 pendant deux jours, pour avoir participé à une manifestation. Il s’installa au camp Gdeim Izik. Il fait valoir que sa famille est harcelée et persécutée pour des raisons politiques (ils sont liés de façon directe et active avec le Front Polisario). Ceci est accrédité par son oncle, qui travaille dans la délégation du Front Polisario à Las Palmas. Un autre oncle est l’adjoint au représentant du Front Polisario à Madrid. Il a été convoqué à plusieurs reprises par l’ancien gouverneur (wali) de Laâyoune pour être interrogé sur les activités de sa famille. En 2010 il fut arrêté et détenu, avec 22 autres jeunes, lors de l’arrivée de l’activiste sahraoui Aminetu Haidar à Laâyoune, et fut torturé pendant la nuit et remis en liberté le lendemain. Il a joué un rôle très actif au camp Gdeim Izik, où il s’occupait de la sécurité, sous la supervision de son frère Mohamed Yahyaoui, résident en Espagne, qui se rendit à Laâyoune pour s’installer dans le camp. Après le démantèlement du camp, les autorités marocaines ont exercé des représailles contra sa famille. Elles sont entrées de force au domicile familiale. Il s’enfuit et, de peur de représailles, il quitta le pays à bord d’un bateau de fortune.
27. 19920/11 H.H.
36. Le requérant craint les représailles des autorités marocaines en raison de sa participation au camp de Gdeim Izik. Il explique qu’il est connu pour son intervention dans des mouvements de protestation contre l’occupation marocaine du Sahara occidental, à la suite desquels il fut arrêté et torturé à plusieurs reprises entre 2006 et 2008. Par ailleurs, le requérant souligne que la maison de sa famille fut attaquée et son frère emprisonné dans la « Prison noire » de Laâyoune, motifs qui l’amenèrent à quitter le pays.
28. 19951/11 I.S.
37. Le requérant fut arrêté par la police marocaine en 2005 du fait qu’il portait des drapeaux sahraouis et fut accusé, jugé et condamné à deux ans d’emprisonnement pour un délit de trafic de stupéfiants. Il purgea sa peine dans la « prison noire » et dans la prison de Melloul. Il fut violemment expulsé du campement de Gdeim Izik lors du démantèlement et partit à Laâyoune. Face à la situation de désordres qu’il y retrouva, il décida de s’enfuir. Il craint des représailles pour ses activités dans le campement ainsi qu’en raison de son casier judiciaire.
29. 61912/12 Y.H.
38. Le requérant craint que s’il est expulsé vers le Maroc, il fasse l’objet de représailles de la part des autorités marocaines, en raison de sa participation au camp de protestation de Gdeim Izik, démantelé le 8 novembre 2010. Il explique appartenir à la tribu sahraoui Erguibat Sahel. Lui et sa famille auraient été parmi les premiers à participer à ce camp. Avant cela, le requérant affirme avoir pris part à plusieurs actions organisées par le peuple sahraoui et avoir été arrêté et frappé par la police. Par ailleurs, un groupe policier nommé « le groupe de la mort » l’aurait menacé de l’accuser de trafic de drogues s’il n’arrêtait pas ses revendications. Finalement, il informe que depuis sa fuite, sa famille a reçu la visite de la police à son domicile à sa recherche, ce qui lui fait craindre pour son intégrité physique s’il retourne au Maroc.
30. 6249/12 A.E.G.
39. Le requérant craint que s’il est expulsé vers le Maroc, il fasse l’objet de représailles de la part des autorités marocaines. Il affirme être le neveu de Brahim Noumria, activiste politique défenseur des droits fondamentaux dans le Sahara occidental, emprisonné et torturé à plusieurs reprises en raison de ses activités en défense du peuple sahraoui. Le requérant affirme avoir pris part à plusieurs actions organisées par le peuple sahraoui, et avoir été arrêté et frappé par la police.
40. Suite à la diffusion de leurs demandes de protection internationale et de leurs identités par des photographies dans les médias, les autorités marocaines auraient harcelé les familles de certains de ces requérants.
C. Procédures entamées en Espagne
1. Procédures administratives
41. Entre le 14 janvier 2011 et le 3 septembre 2012, le ministre de l’Intérieur rendit trente décisions de rejet de ces demandes de protection internationale. Il motiva les décisions en se référant à l’article 21 § 2 b) de la loi 12/2009 du 30 octobre 2009 relative au droit d’asile, considérant que les demandes des requérants étaient fondées sur des allégations contradictoires et insuffisantes, leurs exposés des faits étant vagues et imprécis quant aux motifs qui auraient animé la persécution alléguée.
42. Les requérants sollicitèrent le réexamen de ces décisions en fournissant de nouvelles informations. La délégation du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) en Espagne indiqua que les motifs invoqués et les informations fournies par les requérants étaient cohérents et apportaient des indices suffisants pour justifier la recevabilité de leurs demandes de protection internationale. Toutefois, par des décisions rendues entre le 19 janvier 2011 et le 6 septembre 2012, le ministre de l’Intérieur confirma les décisions attaquées.
2. Procédures judiciaires
43. Le 21 janvier 2011, les treize premiers requérants formèrent des recours de contentieux administratif devant l’Audiencia Nacional contre les décisions du ministre de l’Intérieur. En même temps, ils demandèrent la suspension de l’exécution de la mesure d’expulsion, sur la base de l’article 135 de la loi no 29/1998 du 13 juillet 1998 sur la juridiction du contentieux administratif. Le restant des requérants fit de mêmes à des dates ultérieures.
44. Pour ce qui est des treize premiers requérants, le 27 janvier 2011, l’Audiencia Nacionalordonna à l’Administration de surseoir provisoirement aux expulsions (suspensión cautelarísima), le temps d’examiner les demandes de mesures provisoires présentées. Toutefois, le 28 janvier 2011, l’Audiencia Nacional décida de rejeter lesdites demandes de suspension des ordres d’expulsion pris à l’encontre desdits requérants, considérant que les moyens formulés à l’appui de leurs recours ne permettaient de conclure ni à l’existence dans leur chef de situations d’urgence spéciale susceptibles de justifier une suspension de toute expulsion du territoire national ni à la perte d’efficacité de la procédure au fond en cas d’exécution des mesures d’expulsion en cause. Par diverses décisions rendues entre janvier 2011 et septembre 2012, L’Audiencia Nacional rejeta également les demandes de suspension des ordres d’expulsion pris à l’encontre des autres requérants, par des décisions adoptées aussi dans des courts délais après le sursis provisoire à l’Administration.
45. Entre le 28 janvier 2011 et le 1er octobre 2012, les requérants saisirent la Cour de trente demandes de mesures provisoires sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Ils exposaient avoir subi par le passé ou lors de leur arrestation et pendant le démantèlement du camp de Gdeim Izik en novembre 2010 des mauvais traitements de la part des autorités marocaines, en rapport avec leur origine sahraouie, ou indiquaient se sentir menacés et avoir peur de représailles. Aux dates indiquées au paragraphe 4 ci-dessus, la Cour décida d’indiquer au gouvernement espagnol, en application de l’article 39 de son règlement, de ne pas procéder au renvoi des requérants pendant la durée de la procédure devant la Cour.
46. Les procédures entamées auprès de l’Audiencia Nacional suivirent leur cours. Par divers arrêts dont les dates figurent en annexe, elle rejeta les recours présentés par certains des requérants (la Cour ne dispose pas d’information sur les éventuels arrêts ou décisions prononcés à l’égard de tous les requérants). Ils ont saisi le Tribunal suprême de pourvois en cassation. Les suites desdits pourvois n’ont pas été portées à la connaissance de la Cour par les parties à ce jour.
II. CONTEXTE DE L’AFFAIRE
A. Le Sahara occidental
47. Selon la lettre du 29 janvier 2002 adressée au président du Conseil de sécurité des Nations unies par le Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques de cette organisation, le statut juridique du Sahara occidental est le suivant :
Protectorat espagnol depuis 1884, le Sahara espagnol a été inscrit en 1963 sur la liste des territoires non autonomes relevant du Chapitre XI de la Charte des Nations unies (A/5514, annexe III). Le 14 novembre 1975, une Déclaration de principes sur le Sahara occidental a été signée à Madrid par l’Espagne, le Maroc et la Mauritanie (l’Accord de Madrid). En vertu de cette déclaration, les pouvoirs et responsabilités de l’Espagne, en tant que Puissance administrante du territoire, ont été transférés à une administration tripartite temporaire. L’Accord de Madrid ne prévoyait pas de transfert de souveraineté sur le territoire ni ne conférait à aucun des signataires le statut de puissance administrante, statut que l’Espagne ne pouvait d’ailleurs unilatéralement transférer. Le transfert des pouvoirs administratifs au Maroc et à la Mauritanie en 1975 n’a pas eu d’incidence sur le statut du Sahara occidental en tant que territoire non autonome.
48. Le 26 février 1976, l’Espagne a informé le Secrétaire général des Nations unies qu’à dater de ce jour, elle mettait fin à sa présence au Sahara occidental et renonçait à ses responsabilités sur le territoire, laissant ainsi de fait le Maroc et la Mauritanie administrer le territoire dans les zones placées respectivement sous leur contrôle. La Mauritanie s’étant retirée du territoire en 1979, à la suite de la conclusion de l’accord mauritano-sahraoui du 19 août 1979 (S/13503, annexe I), le Maroc administre seul le territoire du Sahara occidental depuis cette date. Toutefois, le Maroc ne figurant pas comme puissance administrante du territoire sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU, il ne communique pas de renseignements sur le territoire en vertu de l’alinéa e de l’Article 73 de la Charte des Nations unies.
B. Le Rapport d’Amnesty International du 20 décembre 2010
49. Dans un rapport rendu publique le 20 décembre 2010, l’organisation non gouvernementale Amnesty International appela les autorités marocaines à mener une enquête approfondie, indépendante et impartiale sur l’ensemble des atteintes aux droits humains qui se seraient produites en lien avec les évènements du 8 novembre 2010 à Laâyoune, et à poursuivre en justice les auteurs des abus perpétrés. Selon ce rapport, des affrontements violents éclatèrent en début de journée lundi 8 novembre, lorsque les forces de sécurité marocaines intervinrent pour faire évacuer le campement de Gdeim Izik, qui avait été dressé dans le désert, à quelques kilomètres de Laâyoune, début octobre 2010, par des sahraouis pour protester contre la marginalisation dont ils se disaient victimes et contre l’absence d’emplois et de logements appropriés.
50. Le rapport, intitulé Rights Trampled : Protests, Violence and Repression in Western Sahara, fait état des affrontements violents qui éclatèrent en début de journée le lundi 8 novembre 2010, lorsque les forces de sécurité marocaines intervinrent pour faire évacuer le camp de Gdeim Izik, qui avait été dressé dans le désert à quelques kilomètres de Laâyoune au début du mois d’octobre 2010 par des sahraouis, pour protester contre la marginalisation dont ils se disaient victimes et contre l’absence d’emplois et de logements appropriés. Les troubles s’étendirent ensuite à Laâyoune, où manifestants sahraouis et résidents marocains se livrèrent à des attaques incendiaires contre des maisons, des boutiques et des commerces ainsi que des bâtiments publics. De nombreux sahraouis furent arrêtés et frappés ou soumis à des actes de torture ou autres mauvais traitements.
51. Selon ce rapport, treize personnes, onze membres des forces de sécurité et deux sahraouis, décédèrent à la suite des violences dans le campement et à Laâyoune. Le bilan le plus lourd fut enregistré lors de l’opération de démantèlement du campement par les forces de sécurité marocaines qui perdirent neuf de leurs hommes, tués lors des affrontements ou dans des attaques délibérées par des sahraouis résistant à la destruction de leur campement. Les enquêteurs d’Amnesty International qui se rendirent sur place fin novembre interrogèrent de nombreux témoins qui affirmèrent que des membres des forces de sécurité n’avaient pas hésité à frapper des femmes âgées à coups de matraque pour les obliger à partir avant de déchirer leurs tentes. Certaines portaient encore des blessures visibles plus de deux semaines plus tard.
52. La nouvelle de l’évacuation du campement par les forces de sécurité atteignit Laâyoune où, alimentée par des rumeurs exagérément alarmistes faisant état de morts parmi les sahraouis et d’actes de brutalité de la part des forces de sécurité, elle provoqua de violentes manifestations des sahraouis qui s’en prirent à des bâtiments publics, des banques, des voitures et autres biens appartenant à des citoyens marocains ou à des sahraouis considérés comme favorables à l’administration du Sahara occidental par le Maroc. Après une période d’accalmie, de nouvelles violences éclatèrent, les résidents marocains s’en prenant à des maisons, des boutiques et des commerces appartenant à des sahraouis ; plusieurs résidents sahraouis furent frappés. Les forces de sécurité présentes n’intervinrent pas lors des attaques des maisons et des commerces sahraouis et prêtèrent même parfois main forte aux agresseurs.
53. Les forces de sécurité marocaines arrêtèrent environ 200 sahraouis lundi 8 novembre et dans les jours et les semaines qui suivirent. Toutefois, selon Amnesty International, aucune interpellation ni poursuite en justice en lien avec les attaques menées par des résidents marocains contre des sahraouis, leurs maisons ou leurs biens n’avaient été enregistrées à la date de publication du rapport.
54. Tous les sahraouis interviewés par Amnesty international décrivirent la façon dont ils avaient été battus, torturés ou les mauvais traitements qui leur avaient été infligés au moment de leur arrestation ou lors de leur garde à vue par les autorités marocaines ; la plupart d’entre eux avaient des cicatrices et des blessures visibles à l’appui de leur témoignage. Malgré cela, les autorités marocaines ne prirent aucune mesure pour enquêter sur les allégations de torture et autres mauvais traitements comme le prévoient la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auxquels le Maroc est État partie.
55. Plus de 130 sahraouis étaient passibles de poursuites en justice après les évènements du lundi 8 novembre. Certains sont des militants politiques sahraouis déjà connus qui prônent l’autodétermination du Sahara occidental. Leur arrestation a fait renaître la crainte que les autorités ne cherchent à impliquer dans les évènements du 8 novembre des personnes critiques du gouvernement et des opposants pacifiques, du fait de leurs opinions politiques.
56. Certains des accusés comparurent devant un juge d’instruction sans assistance juridique et plusieurs d’entre eux auraient présenté des signes visibles de torture et autres mauvais traitements et se seraient plaints des violences subies. Aucun ne fut cependant vu par un médecin et aucune enquête n’aurait été diligentée concernant l’objet de leurs plaintes. Des détenus déclarèrent qu’à l’issue de leur interrogatoire, ils avaient dû signer ou apposer l’empreinte du pouce au bas de déclarations qu’ils n’avaient pas été autorisés à lire, ce qui faisait craindre que ces déclarations faites sous la torture ou la contrainte ne soient utilisées comme preuve à charge contre eux lors de leur procès, en violation du droit international.
57. Les conclusions de ce rapport se fondèrent sur une visite d’établissement des faits réalisée par Amnesty International au Maroc et au Sahara occidental entre le 22 novembre et le 4 décembre 2010. Dans le cadre de cette visite, Amnesty International rencontra des responsables gouvernementaux à Rabat et Laâyoune et s’entretinrent avec des familles de sahraouis et des membres des forces de sécurité tués ou blessés, des proches de détenus, d’anciens détenus, des défenseurs des droits humains et des avocats, entre autres.
C. Human Rights Watch
58. Selon l’organisation non-gouvernementale Human Rights Watch dans une dépêche publiée le 26 novembre 2010, les autorités marocaines devraient ouvrir une enquête sur la riposte violente aux affrontements du 8 novembre 2010. Le texte de la dépêche était le suivant :
« Les forces de sécurité marocaines ont à plusieurs reprises battu et maltraité des personnes qu’elles ont arrêtées à la suite des troubles survenus le 8 novembre 2010 à El-Ayoun, capitale du Sahara occidental, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Une enquête de Human Rights Watch a démontré qu’elles avaient également attaqué directement des civils. Les autorités marocaines doivent immédiatement mettre fin aux mauvais traitements des détenus et mener une enquête indépendante sur ces exactions, a indiqué Human Rights Watch.
Le 8 novembre à l’aube, les forces de sécurité marocaines sont intervenues pour démanteler le camp de tentes de Gdeim Izik où des Sahraouis avaient dressé quelque 6 500 tentes au début du mois d’octobre en signe de protestation contre leurs conditions économiques et sociales au Sahara occidental, région sous contrôle marocain. Ceci a déclenché de violents affrontements entre les résidents et les forces de sécurité tant au sein du camp que dans la ville voisine d’El-Ayoun. Onze membres des forces de sécurité et au moins deux civils ont été tués, d’après les chiffres officiels. Un grand nombre de bâtiments publics et privés et de véhicules ont été incendiés dans la ville.
« Les forces de sécurité marocaines ont le droit de recourir à la force avec mesure pour empêcher la violence et protéger les vies humaines, mais rien ne peut justifier le passage à tabac de personnes en détention provisoire jusqu’à ce qu’elles perdent conscience », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.
Suite à ces premiers affrontements violents, les forces de sécurité marocaines ont participé avec des civils marocains à des attaques en représailles contre des civils et des maisons et ont empêché des Sahraouis blessés d’avoir accès à des soins médicaux. Ce comportement et le passage à tabac de personnes en détention ne peuvent être considérés comme un usage légitime de la force pour empêcher ou mettre un terme à des actes violents perpétrés par quelques manifestants comme par exemple des jets de pierres ou des incendies volontaires, a indiqué Human Rights Watch.
À la suite des violences du 8 novembre, les responsables marocains de la sécurité ont arrêté des centaines de Sahraouis dans le cadre des troubles survenus, dont plus d’une centaine sont toujours détenus. Neuf autres ont été transférés à Rabat pour qu’une enquête soit menée par un tribunal militaire, ont raconté à Human Rights Watch des avocats sahraouis d’El-Ayoun spécialistes des droits humains.
Un accès limité aux informations :
Après le démantèlement du camp de tentes, les autorités marocaines ont rigoureusement limité l’accès à El-Ayoun, n’autorisant que peu de journalistes ou de représentants d’organisations non gouvernementales à atteindre la ville et faisant faire demi-tour à nombre de ceux qui ont essayé. Un chercheur de Human Rights Watch a été empêché à deux reprises d’embarquer sur un vol à destination d’El-Ayoun le 11 novembre et a finalement pu prendre un vol pour s’y rendre le 12 novembre. Le chercheur et un assistant de recherche de Human Rights Watch basé à El-Ayoun ont été en mesure, entre le 12 et le 16 novembre, d’interroger des civils et des policiers blessés dans les hôpitaux et à leur domicile. Ils ont également rencontré Mohamed Jelmous, gouverneur de la région d’El-Ayoun-Boujdour-Saguia el-Hamra.
« Nous sommes heureux que le Maroc ait changé de position et ait autorisé Human Rights Watch à mener une enquête à El-Ayoun », a déclaré Sarah Leah Whitson, « mais un gouvernement qui n’a de cesse de répéter qu’il n’a rien à cacher se doit de le prouver en autorisant tous les médias et toutes les organisations non gouvernementales à se rendre sur place et recueillir des informations sans entraves. »
(…)
Mauvais traitements en détention :
Human Rights a interrogé sept Sahraouis détenus suite aux violences du 8 novembre puis libérés. Tous ont affirmé que la police ou les gendarmes les avaient maltraités en détention, les passant même à tabac dans certains cas jusqu’à ce qu’ils perdent conscience, leur jetant de l’urine dessus, et les menaçant de viol. Les avocats représentant ceux restant en détention ont raconté à Human Rights Watch qu’au moins l’un des détenus avait déclaré à un juge d’instruction qu’il avait été violé en détention, tandis que nombre d’autres ont indiqué au juge d’instruction et au procureur des passages à tabac et autres abus qu’ils auraient endurés en détention.
Les témoins interrogés par Human Rights Watch présentaient de graves contusions et d’autres blessures récentes suggérant qu’ils avaient été passés à tabac en détention.
Les membres des familles des détenus ont affirmé à Human Rights Watch que les autorités marocaines ne les avaient pas informées des détentions pendant plusieurs jours et qu’en date du 23 novembre, les autorités ne leur avaient pas encore donné l’autorisation de rendre visite à leurs proches mis en détention pour certains depuis deux semaines, bien que les avocats chargés de leur défense aient pu les voir pour la première fois ce jour-là. Du fait de ces délais, il a été difficile pour nombre de familles d’établir rapidement le lieu où se trouvaient les personnes disparues ou d’obtenir des informations sur la manière dont elles étaient traitées en détention.
Human Rights Watch a prié les autorités d’informer immédiatement la famille de chaque personne placée en détention, comme le prévoit l’article 67 du Code de Procédure Pénale marocain.
Les Sahraouis incarcérés à la prison d’El-Ayoun faisaient l’objet d’une enquête pour des accusations telles que la création d’un gang criminel dans le but de commettre des crimes contre des personnes et des biens, la possession d’armes, la destruction de biens publics ou encore la participation à la prise en otage et séquestration de personnes, à l’incendie volontaire de bâtiments, à l’usage de la violence contre des membres des forces de l’ordre entraînant des blessures et la mort et à des groupements armés.
(…)
Attaques de maisons appartenant à des Sahraouis :
Human Rights Watch s’est rendu dans les quartiers de Haï Essalam et Colomina Nueva, où de nombreuses maisons appartenant à des Sahraouis ont été attaquées les 8 et 9 novembre par des groupes composés notamment de membres des forces de sécurité et de personnes en tenue de ville, parmi lesquelles certaines semblaient être des civils marocains, ont déclaré les habitants. Les personnes interrogées ont décrit la façon dont les agresseurs avaient passé à tabac les résidents dans leurs maisons et avaient causé des dégâts matériels. Les autorités ont, selon certaines informations, pris des mesures pour dédommager les propriétaires des dégâts causés, mais n’ont annoncé, d’après ce que Human Rights Watch a pu établir, aucune arrestation ni aucune inculpation de civils marocains impliqués dans les violences.
Un résident du quartier de Columina Nueva âgé de 30 ans a décrit la manière dont un groupe de civils marocains s’est rassemblé devant sa maison près de la rue Moulay Ismaïl, aux environs de 15h00 le 8 novembre. Les Marocains étaient accompagnés de policiers en civil, identifiables grâce à leur équipement de protection, et de policiers en uniforme armés de gaz lacrymogène et de pistolets. Les civils sont entrés dans sa maison par effraction et l’ont frappé à la tête avec une machette, le laissant inconscient et avec une entaille profonde. Son frère a été témoin de la scène pendant laquelle les civils ont saccagé sa maison, volant des télévisions, des appareils ménagers de cuisine et beaucoup d’autres objets de valeur et détruisant fenêtres et meubles.
Environ une douzaine de maisons sahraouies de la rue Moulay Ismaïl ou à proximité ont été envahies et endommagées. À deux pâtés de maisons de là, un groupe composé de quelque 40 soldats et policiers ont envahi le domicile de deux femmes âgées à 10h30 le 8 novembre. Les femmes ont déclaré que les envahisseurs avaient ouvert le feu dans la maison avec des fusils anti-émeute à balles en plastique, dit à la famille de quitter les lieux et volé un ordinateur et des bijoux.
(…)
III. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT
59. Pour un exposé du droit du Conseil de l’Europe en matière d’asile, la Cour renvoie aux paragraphes 75, 76 et 82 de l’arrêt I.M. c. France (no 9152/09, 2 février 2012).
60. Pour ce qui est du droit espagnol, les demandes de protection internationale présentées par les requérants ont été traitées selon la procédure prévue pour les demandes présentées aux frontières, avec les garanties prévues dans la loi no 12/2009 du 30 octobre 2009 relative au droit d’asile et à la protection subsidiaire qui, en la matière, dispose ce qui suit:
Article 18. Droits et obligations des demandeurs.
1. Après avoir présenté sa demande, le demandeur d’asile a droit, selon les termes des articles 16, 17, 19, 33 et 34 de la présente loi :
a) à recevoir un document attestant de son statut de demandeur de protection internationale ;
b) à l’aide juridictionnelle gratuite et aux services d’un interprète ;
c) à ce que sa demande soit communiquée au HCR ;
d) à ce que toute procédure d’éloignement, d’expulsion ou d’extradition qui pourrait affecter le demandeur soit suspendue ;
e) à prendre connaissance du contenu du dossier à tout moment ;
f) aux soins de santé dans les conditions applicables ;
g) à percevoir les prestations sociales spéciales selon les termes de la présente loi.
Article 21. Demandes introduites aux postes-frontière.
« 1. Lorsqu’un étranger ne réunissant pas les conditions lui permettant d’entrer sur le territoire espagnol présente une demande de protection internationale à un poste-frontière, le ministre de l’Intérieur peut déclarer la demande irrecevable, par la voie d’une décision motivée, dans les cas visés à l’article 20 § 1. Dans tous les cas, la décision doit être notifiée à l’intéressé dans un délai maximal de quatre jours à compter de la présentation de la demande.
2. De même, le ministre de l’Intérieur peut rejeter la demande par la voie d’une décision motivée, qui sera notifiée à l’intéressé dans un délai maximal de quatre jours à compter de la présentation de ladite demande, dans les cas visés ci-après :
a) dans les cas visés à l’article 25 § 1 c), d) et f) ;
b) lorsque le demandeur présente des arguments incohérents, contradictoires, invraisemblables, insuffisants ou contredisant les informations suffisamment vérifiées sur son pays d’origine, ou de résidence habituelle dans le cas d’un apatride, de telle manière que lesdits arguments mettent en évidence que la demande est infondée quant à l’existence d’une crainte fondée d’être poursuivi ou de souffrir un dommage grave.
3. Le délai prévu au précédent paragraphe peut être prolongé jusqu’à dix jours maximum par une décision du ministre de l’Intérieur, sur demande motivée du HCR, si l’une des conditions prévues à l’article 25 § 1 f) est remplie.
4. Lorsqu’une décision d’irrecevabilité ou de rejet de la demande est rendue, le demandeur dispose d’un délai de deux jours à compter de la notification [de cette décision] pour présenter une demande de réexamen, qui est [alors] suspensive des effets de la décision. La décision relative à cette demande incombe au ministre de l’Intérieur et doit être notifiée à l’intéressé dans un délai de deux jours à compter de la présentation de la demande.
5. À l’expiration du délai imparti pour décider de l’irrecevabilité ou du rejet d’une demande présentée aux frontières, ou d’une demande de réexamen, ou pour statuer sur un recours en reposición en cas d’absence de notification expresse de la décision, la [demande d’asile] suit la procédure ordinaire [applicable en dehors des postes-frontière] et implique la concession de l’autorisation d’entrée et de séjour provisoire au demandeur, sans préjudice de la décision définitive qui sera rendue dans chaque cas. »
Article 22. Séjour du demandeur d’asile 
pendant la durée du traitement de sa demande.
« Dans tous les cas, pendant la durée du traitement de la demande de réexamen et du recours en reposiciónprévus à l’article 21§§ 4 et 5 de la présente loi, ainsi que dans les cas où une demande d’adoption des mesures visées à l’article 29 § 2 est introduite, le demandeur d’asile séjournera dans les locaux habilités à cet effet. »
Article 25. Procédure d’urgence.
« (…)
2. Lorsque la demande de protection internationale est présentée dans un centre de rétention pour étrangers, celle-ci est traitée selon les dispositions de l’article 21 de la loi, relatif aux demandes présentées aux frontières. Dans tous les cas, les demandes ainsi présentées et jugées recevables sont traitées selon la procédure d’urgence visée au présent article. »
Article 29. Recours.
« (…)
2. Lorsqu’un recours de contentieux administratif est introduit et que la suspension de l’acte attaqué est demandée, cette demande entre dans la catégorie des cas d’urgence particulière visés à l’article 135 de la loi no 29/1998 du 13 juillet 1998 sur la juridiction du contentieux administratif. »
Article 34. Intervention dans la procédure de demande.
« Toute présentation d’une demande de protection internationale est communiquée au HCR [des Nations unies], lequel pourra s’informer de la situation du dossier, être présent lors des auditions du demandeur et présenter des rapports, qui devront être versés au dossier.
À cet effet, le HCR a accès aux demandeurs de protection, y compris ceux qui se trouvent dans les locaux des postes-frontière, les centres de rétention pour étrangers ou les centres pénitentiaires ».
Article 35. Intervention dans le traitement de la protection internationale.
« 1. Le représentant du HCR en Espagne est convoqué aux séances de la Commission interministérielle de l’asile et des réfugiés.
2. De même, il est immédiatement informé de la présentation des demandes aux frontières et peut rencontrer les demandeurs s’il le souhaite. Avant qu’une décision sur une demande ne soit prise, selon les termes de l’article 21 §§ 1, 2 et 3, le HCR est entendu.
3. Lorsque les demandes sont traitées selon la procédure d’urgence, (…) si la décision proposée par l’Office de l’asile et des réfugiés est défavorable, le HCR dispose d’un délai de dix jours pour présenter, s’il y a lieu, un rapport. »
61. Dans sa rédaction en vigueur jusqu’au 30 octobre 2011, l’article 135 de la loi no 29/1998 du 13 juillet 1998 sur la juridiction du contentieux administratif, relatif aux mesures d’urgence, était ainsi libellé:
« Le juge ou le tribunal peut [dans un premier temps], au terme d’une appréciation des circonstances d’urgence particulière présentes dans le cas d’espèce, adopter la mesure sans audition de la partie adverse. Cette décision n’est pas susceptible de recours. Dans la même décision, le juge ou le tribunal convoque les parties à une audience qui doit se tenir dans un délai de trois jours et qui porte sur la levée, le maintien ou la modification de la mesure adoptée. Après la tenue de l’audience, le juge ou le tribunal statue par une décision, qui est susceptible de recours conformément aux règles générales.
(…)»
62. Depuis le 31 octobre 2011, l’article 135 de ladite loi se lit ainsi :
« 1. Lorsque les intéressés invoquent des circonstances d’urgence particulière, le juge ou le tribunal peut, sans audition de la partie adverse, par une décision [prise] dans un délai de deux jours :
a) Estimer qu’il existe des circonstances d’urgence particulière justifiant d’adopter ou de refuser la mesure par la voie de l’article 130. Cette décision n’est pas susceptible de recours. Dans la même décision, l’organe judiciaire invite la partie adverse à présenter, dans un délai de trois jours, les observations qu’elle estime pertinentes, ou bien cite les parties à comparaître en audience dans les trois jours de l’adoption de la mesure. Une fois les observations reçues, les parties comparues ou le délai écoulé selon le cas, le juge ou le tribunal rend une décision de levée, de maintien ou de modification de la mesure adoptée, décision qui est susceptible de recours conformément aux règles générales.
(…)
b) Estimer qu’il n’existe pas de circonstances d’urgence particulière et ordonner l’examen de la demande de mesures provisoires par la voie de l’article 131, auquel cas les intéressés ne pourront plus demander d’autres mesures prévues par le présent article.
2. Dans le cas de procédures administratives en matière d’étrangers, d’asile ou d’octroi du statut de réfugié pouvant déboucher sur un éloignement de l’intéressé [du territoire national], si celui-ci est mineur l’organe judiciaire entend le ministère public avant de rendre la décision motivée mentionnée au paragraphe 1 du présent article. »
EN DROIT
I. JONCTION DES REQUÊTES
63. Compte tenu de la connexité des requêtes quant aux faits et aux questions de fond qu’elles soulèvent, la Cour juge approprié de les joindre et de les examiner conjointement dans un seul et même arrêt.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC LES ARTICLES 2 ET 3 DE LA CONVENTION
64. Les requérants se plaignent de ne pas avoir bénéficié, comme l’aurait voulu l’article 13 de la Convention, d’un recours effectif pour faire valoir leurs griefs tirés des articles 2 et 3. Les dispositions invoquées sont ainsi libellées :
Article 2
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi (…) »
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale (…) »
A Sur la recevabilité
65. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il fait valoir qu’après avoir pris connaissance de la décision de la chambre du contentieux administratif de l’Audiencia Nacional de ne pas suspendre les ordres d’expulsion du territoire national pris à leur encontre, les requérants ont directement saisi la Cour pour solliciter l’adoption de mesures provisoires et présenter aussitôt leurs requêtes. Or, expose-t-il, il n’apparaît pas qu’un quelconque recours ait été formé contre la décision de l’Audiencia Nacional mettant fin au sursis provisoire à l’exécution de l’expulsion (paragraphe 44 ci-dessus) que ce soit auprès du Tribunal suprême ou auprès du Tribunal constitutionnel. De même, aucune mesure provisoire conservatoire n’a été demandée à l’une ou l’autre de ces deux juridictions après la levée du sursis par l’Audiencia Nacional. Par conséquent, les voies de recours internes n’ont pas été épuisées. En outre, les affaires au principal sont toujours en cours auprès des organes juridictionnels espagnols (paragraphe 46 ci-dessus).
66. Dans leurs observations en réplique, les requérants rappellent qu’après le rejet de leurs demandes de mesures provisoires présentées auprès de l’Audiencia Nacional, ils pouvaient être expulsés à tout moment.
67. La Cour considère que les arguments avancés par le Gouvernement sont étroitement liés à la substance des griefs énoncés par les requérants. Elle estime par conséquent qu’il y a lieu de joindre l’exception au fond (Mohammed c. Autriche, no 2283/12, § 63, 6 juin 2013).
B. Sur le bien-fondé
1. Arguments des parties
a) Le Gouvernement
68. Le Gouvernement indique que la procédure administrative et judiciaire espagnole relative à l’exercice du droit à l’asile ou à la protection internationale comprend deux phases : une phase administrative et une phase judiciaire.
69. La phase administrative, relevant du ministre de l’Intérieur, est assortie des garanties prévues par l’article 18 de la loi sur le droit d’asile, au nombre desquelles figure l’assistance d’un avocat et d’un interprète (paragraphe 60 ci-dessus). Après un premier examen de la demande d’asile, si celle-ci est rejetée, l’intéressé a le droit de demander aux autorités administratives un réexamen de sa demande et de présenter de nouveaux arguments, voire de nouvelles preuves.
70. Le Gouvernement souligne que, conformément aux articles 34 et 35 de la loi sur le droit d’asile (paragraphe 60 ci-dessus), de très vastes prérogatives sont attribuées au HCR des Nations unies pour intervenir dans la procédure : le HCR peut notamment se faire communiquer toutes les demandes par l’autorité compétente, assister aux entretiens avec le demandeur, présenter des rapports à joindre aux dossiers, avoir accès au demandeur de façon permanente, et participer à la Commission interministérielle de l’asile et des réfugiés.
71. À l’issue de la phase administrative, si la demande de protection internationale est rejetée, l’intéressé peut solliciter un contrôle juridictionnel de la décision administrative, en présentant un recours de contentieux administratif auprès des juges centraux du contentieux administratif (Juzgados Centrales) ou de la chambre du contentieux administratif de l’Audiencia Nacional, selon le cas.
72. Le Gouvernement souligne que, en vertu de l’article 29 de la loi sur le droit d’asile, « lorsqu’un recours de contentieux administratif est introduit et que la suspension de l’acte attaqué est demandée, cette demande entre dans la catégorie des cas d’urgence particulière visés à l’article 135 de la loi no 29/1998 du 13 juillet 1998 sur la juridiction du contentieux administratif ». En d’autres termes, une fois qu’un recours de contentieux administratif a été déposé, si l’intéressé demande la suspension de l’ordre d’expulsion découlant du refus d’accorder la protection internationale, cette mesure d’expulsion est automatiquement suspendue en attendant la décision de l’organe judiciaire.
En vertu de l’article 135 de la loi sur la juridiction du contentieux administratif, la décision de l’organe judiciaire porte sur l’existence de motifs suffisants pour suspendre l’expulsion du territoire en attendant que ledit organe puisse examiner de manière approfondie le bien-fondé de la demande de protection internationale. L’un des aspects que l’organe judiciaire est appelé à examiner à ce stade de la procédure est l’existence d’un risque de préjudice irréparable pour l’intéressé en cas de retour dans son pays d’origine, par exemple le risque d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.
Alors que l’octroi du droit d’asile ou de la protection internationale subsidiaire fait l’objet d’une révision judicaire débouchant sur une décision de justice, la demande de mesures provisoires constitue le recours effectif contre une éventuelle violation de l’article 3 de la Convention en cas d’expulsion.
73. Les requérants ont bénéficié d’un examen complet des faits et des dossiers par la chambre du contentieux administratif de l’Audiencia Nacional. Leurs preuves et leurs arguments auront été examinés à trois reprises (deux fois par l’autorité administrative et une fois par l’autorité judiciaire) avant que leur retour éventuel au Maroc ne devienne possible. Les autorités administratives et judiciaires ont analysé concrètement les risques que pourraient courir les requérants en cas d’expulsion. Pour évaluer ces risques, les autorités espagnoles ont pris en considération les rapports du HCR et les informations émanant de sources indépendantes figurant dans le dossier. La rigueur et la précision de l’examen au niveau judiciaire sont mises en évidence par le fait que les autorités judiciaires ont décidé de revoir une nouvelle fois le cas de trois autres demandeurs sahraouis (qui ne sont pas requérants devant la Cour), ce qui a finalement conduit à la suspension de l’expulsion de l’un des intéressés. Par conséquent, les autorités espagnoles ont examiné les arguments des requérants de manière attentive et rigoureuse et ceux-ci ont bien bénéficié d’un recours effectif.
74. En ce qui concerne la mise à exécution de leur expulsion du territoire espagnol, dans la mesure où les requérants ont demandé la suspension de l’expulsion à titre conservatoire au moment où ils ont introduit leurs recours de contentieux administratif, leur expulsion concrète ne peut pas avoir lieu (en vertu de l’article 29 de la loi sur le droit d’asile) tant que le tribunal n’a pas eu la possibilité d’examiner en profondeur l’existence d’un risque de violation de leurs droits dans le cadre de la procédure afférente à cette demande de suspension.
75. En conclusion, le Gouvernement estime que les griefs formulés par les requérants doivent être rejetés comme non fondés.
b) Les requérants
76. Les requérants rappellent que, compte tenu de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements et vu l’importance que la Cour attache à l’article 3, la notion de recours effectif au sens de l’article 13 requiert, d’une part, un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs sérieux de croire à l’existence d’un risque réel de traitements contraires à l’article 3 et, d’autre part, la possibilité de faire surseoir à l’exécution de la mesure litigieuse (Jabari c. Turquie, no 40035/98, § 50, CEDH 2000‑VIII).
77. Se référant à l’arrêt Čonka c. Belgique (no 51564/99, CEDH 2002‑I), les requérants soulignent que les exigences de l’article 13 sont de l’ordre de la garantie, et non du simple bon vouloir ou de l’arrangement pratique. Ils estiment que les recours comme ceux qu’ils ont présentés en l’espèce doivent avoir des effets suspensifs au moins pendant une période raisonnable, et que la simple possibilité de demander la suspension de l’exécution de l’acte administratif est insuffisante.
78. Dans le cas des requérants la possibilité existait de demander la suspension des effets négatifs de la décision administrative conjointement à l’introduction d’un recours judiciaire, la présentation d’une telle demande ayant pour effet, en vertu de la réglementation, de suspendre aussitôt le renvoi ou l’expulsion. Cependant, cette suspension n’est envisagé dans le système juridique espagnol que de façon temporaire et limitée au traitement de la demande de mesures provisoires conservatoires elle-même et non pas jusqu’à la décision finale dans la procédure principale sur le fond de l’affaire. Les requérants estiment donc que cette possibilité de suspension est insuffisante pour répondre aux exigences de l’article 13 de la Convention.
79. En outre, les lois espagnoles admettent que l’autorité judiciaire puisse refuser les mesures provisoires demandées au terme d’une procédure sommaire, même dans des cas de nature très complexe, comme ceux de l’espèce, puisqu’elle statue dans des délais très brefs, sans que les faits soient clairement établis et sans comparution des parties. Les requérants estiment qu’un tel système ne répond pas aux exigences de l’article 13 puisqu’il ne leur a offert ni audition ni contrôle juridictionnel rigoureux et indépendant des décisions administratives litigieuses.
80. En conclusion, les requérants estiment qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention – combiné avec l’article 3, à raison du risque grave couru par eux d’être renvoyés dans leur pays d’origine – en ce qu’ils pouvaient être expulsés vers le Maroc sans qu’il soit préalablement procédé à une analyse rigoureuse et indépendante de leurs demandes de protection internationale.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux applicables
81. Les principes généraux relatifs à l’effectivité des recours et des garanties fournies par les États contractants en cas d’expulsion d’un demandeur d’asile en vertu des articles 13 et 3 combinés de la Convention sont résumés dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, §§ 286-293, CEDH 2011).
82. La Cour réitère les principes inhérents à l’article 13 de la Convention, qui garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils y sont consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié. La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les États contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000‑XI, et M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 288).
83. Dans cet arrêt M.S.S., la Cour a d’abord rappelé le caractère subsidiaire que revêt, par rapport aux systèmes nationaux, le mécanisme de plainte devant elle, puisqu’elle se garde d’examiner elle‑même les demandes d’asile ou de contrôler la manière dont les États remplissent leurs obligations découlant de la Convention de Genève. Sa préoccupation essentielle est de savoir s’il existe des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire vers le pays qu’il a fui (§§ 286 et 287).
84. La Cour reconnaît une marge d’appréciation aux États contractants, en ce que « l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13 même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul » (Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 53, CEDH 2007‑II, M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 289 et I.M. c. France, précité, § 129).
85. En revanche, l’effectivité commande des exigences d’accessibilité et de réalité : pour être effectif, le recours exigé par l’article 13 doit être disponible en droit comme en pratique, en ce sens particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l’État défendeur (Çakıcı c. Turquie [GC], no 23657/94, § 112, CEDH 1999‑IV, et M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 290).
86. Dans son examen des recours ouverts aux demandeurs d’asile en Grèce, la Cour a également réaffirmé que l’accessibilité en pratique d’un recours est déterminante pour évaluer son effectivité (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 318).
87. Par ailleurs, l’effectivité implique des exigences en termes de qualité, de rapidité et d’effet suspensif, compte tenu en particulier de l’importance que la Cour attache à l’article 3 et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements. Ainsi, « l’article 13 exige un recours interne habilitant à examiner le contenu du grief et à offrir le redressement approprié, même si les États jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur impose cette disposition » (Jabari, précité).
88. L’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 demande impérativement un contrôle attentif par une autorité nationale (Chamaïev et autres c. Géorgie et Russie, no 36378/02, § 448, CEDH 2005‑III), un examen indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitement contraire à l’article 3 (Jabari, précité, § 50) ainsi qu’une célérité particulière (Batı et autres c. Turquie, nos 33097/96 et 57834/00, § 136, CEDH 2004‑IV (extraits),De Souza Ribeiro c. France [GC], no 22689/07, § 82, CEDH 2012). Par ailleurs, compte tenu de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation d’un risque de torture ou de mauvais traitements, la notion de recours effectif au sens de l’article 13 requiert la possibilité de faire surseoir à l’exécution d’une mesure d’expulsion (Jabari, précité, § 50). La Cour a en effet estimé qu’en matière d’éloignement du territoire, un recours dépourvu d’effet suspensif automatique ne satisfaisait pas aux conditions d’effectivité requises par l’article 13 de la Convention (Čonka, précité, § 83, Sultani c. France, no 45223/05, § 50, CEDH 2007‑IV (extraits), Gebremedhin, précité, § 66, Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 200, CEDH 2012, M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 290 à 293, De Souza Ribeiro, précité, § 82). A plus forte raison, les mêmes principes s’appliquent lorsque l’expulsion expose le requérant à un risque réel d’atteinte à son droit à la vie, protégé par l’article 2 de la Convention.
89. Une attention particulière doit être prêtée à la rapidité du recours lui‑même puisqu’il n’est pas exclu que la durée excessive d’un recours le rende inadéquat (Doran c. Irlande, no 50389/99, § 57, CEDH 2003-X).
b) Application en l’espèce des principes susmentionnés
90. La Cour relève que la question qui se pose en l’espèce est celle de l’effectivité des recours exercés par les requérants, visés par une mesure d’éloignement, pour faire valoir leurs griefs tirés des articles 2 et 3 de la Convention. Si l’accès à ces voies de recours n’est pas en cause en tant que tel, le fait qu’elles n’aient été assorties d’un effet suspensif que pendant une durée limitée, et non jusqu’à la décision définitive sur le bien-fondé des demandes de protection internationale, est susceptible de porter atteinte à leur effectivité.
91. À cet égard, la Cour estime nécessaire de souligner qu’en ce qui concerne les requêtes relatives à l’asile et à l’immigration, telles que celles des requérants, elle se consacre et se limite, dans le respect du principe de subsidiarité, à évaluer l’effectivité des procédures nationales et à s’assurer que ces procédures fonctionnent dans le respect des droits de l’homme (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 286 et 287).
92. Dans les présentes affaires, la Cour relève que le fait que les juridictions internes poursuivent à ce jour l’examen des demandes de protection internationale présentées par les requérants ne permet pas de conclure au caractère non défendable de leurs griefs.
93. Cela dit, en l’occurrence, la Cour n’a pas à se prononcer sur la violation de ces dispositions si les requérants devaient être expulsés. Il appartient en effet en premier lieu aux autorités espagnoles, responsables en matière d’asile, d’examiner elles-mêmes les demandes des requérants ainsi que les documents produits par lui et d’évaluer les risques qu’ils encourent au Maroc. La préoccupation essentielle de la Cour est de savoir s’il existe en l’espèce des garanties effectives qui protègent les requérants contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers leur pays d’origine (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 298), dès lors que les recours sur le fond des requérants sont pendants devant les juridictions nationales.
94. On ne saurait exclure que, dans un système où la suspension est accordée sur demande, au cas par cas, elle puisse être incorrectement refusée, notamment s’il devait s’avérer ultérieurement que l’instance statuant au fond doive quand même annuler la décision d’expulsion litigieuse pour non-respect de la Convention, par exemple parce que l’intéressé aurait subi des mauvais traitements dans le pays de destination. En pareil cas, le recours exercé par l’intéressé n’aurait pas présenté l’effectivité voulue par l’article 13 (Čonka, précité, § 82). Dans ce contexte, l’exception du Gouvernement selon laquelle les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes doit être rejetée. La Cour rappelle à cet égard que lorsqu’un individu se plaint de manière défendable que son renvoi l’exposerait à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, les recours sans effet suspensif ne peuvent être considérés comme effectifs au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.
95. Il convient de souligner que les exigences de l’article 13, tout comme celles des autres dispositions de la Convention, sont de l’ordre de la garantie, et non du simple bon vouloir ou de l’arrangement pratique. C’est là une des conséquences de la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique inhérents à l’ensemble des articles de la Convention (voir, mutatis mutandis, Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 58, CEDH 1999‑II).
96. En l’espèce, la Cour observe que les requérants ont exercé les voies de recours disponibles dans le système espagnol pour faire valoir leurs griefs tirés des articles 2 et 3 de la Convention : ils ont déposé des demandes de protection internationale auprès de l’Office de l’asile et des réfugiés du ministère de l’Intérieur, qui furent rejetées, tout comme leurs demandes de réexamen. Les requérants présentèrent par la suite des recours de contentieux administratif contre les décisions leur faisant tort, en demandant en même temps la suspension de l’exécution de la mesure d’expulsion, sur la base de l’article 135 de la loi no 29/1998 du 13 juillet 1998 sur la juridiction du contentieux administratif.
97. Les craintes exprimées par les requérants relatives à des mauvais traitements susceptibles de leur être infligés en cas de retour dans leur pays d’origine ne sont pas, à première vue et sans aucunement préjuger l’appréciation des juridictions espagnoles quant à leur bien-fondé, irrationnelles ou manifestement dépourvues de fondement, tant en raison de la situation générale au Maroc dérivée du démantèlement du campement de Gdeim Izik au Sahara occidental (paragraphes47 à 59 ci-dessus) que des situations particulières alléguées par les requérants.
98. Bien que les autorités espagnoles soient les seules compétentes pour se prononcer en dernier ressort sur l’existence ou non des motifs pouvant faire obstacle aux expulsions décrétées à l’égard des requérants, l’on ne saurait exclure qu’il existe suffisamment d’éléments pour surseoir à l’exécution des décision prises par l’Administration tant que les juridictions internes n’ont pas examiné de façon détaillée et en profondeur le bien-fondé des demandes de protection internationale présentées par les requérants. Certes, la Cour est consciente de la nécessité pour les États confrontés à un grand nombre de demandeurs d’asile de disposer des moyens nécessaires pour faire face à un tel contentieux, ainsi que des risques d’engorgement du système.
99. La Cour reconnaît que les procédures d’asile accélérées, dont se sont dotés de nombreux États européens, peuvent faciliter le traitement des demandes clairement abusives ou manifestement infondées. Elle a d’ailleurs déjà eu l’occasion d’estimer que le réexamen d’une demande d’asile selon le mode prioritaire ne privait pas l’étranger en rétention d’un examen circonstancié dès lors qu’une première demande avait fait l’objet d’un examen complet dans le cadre d’une procédure d’asile normale (Sultani c. France, no 45223/05, §§ 64-65, CEDH 2007‑IV (extraits)). En l’espèce, se penchant tout particulièrement sur le cas des treize premiers requérants exposé au paragraphe 44 ci-dessus, la Cour observe toutefois que l’Audiencia Nacional avaitordonné le 27 janvier 2011 à l’Administration de surseoir provisoirement aux expulsions, le temps d’examiner les demandes de mesures provisoires présentées. Le lendemain, l’Audiencia Nacionaldécida toutefois de rejeter lesdites demandes de suspension des ordres d’expulsion pris à l’encontre desdits requérants, considérant que les moyens formulés à l’appui de leurs recours ne permettaient de conclure ni à l’existence dans leur chef de situations d’urgence spéciale susceptibles de justifier une suspension de toute expulsion du territoire national ni à la perte d’objet de la procédure au fond en cas d’exécution des mesures d’expulsion en cause.
100. La Cour constate qu’en l’espèce le caractère accéléré de la procédure n’a pas permis aux requérants d’apporter des précisions sur ces points, dans le cadre de leur seule possibilité de surseoir aux expulsions, la procédure quant au bien-fondé n’ayant pas en soi de caractère suspensif. Si la Cour reconnaît l’importance de la rapidité des recours, elle considère que celle-ci ne devrait pas être privilégiée aux dépens de l’effectivité de garanties procédurales essentielles visant à protéger les requérants contre un refoulement vers le Maroc (I.M. c. France, précité, §§ 147).
101. Elle souligne que seule l’application de l’article 39 de son règlement a pu suspendre l’éloignement des requérants. En effet, à la suite du rejet de leurs demandes de mesures provisoires devant l’Audiencia Nacional, rien ne pouvait plus faire obstacle à la mise à exécution de leur éloignement.
102. Si l’effectivité des recours au sens de l’article 13 de la Convention ne dépend certes pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant, la Cour ne peut manquer d’observer que, sans son intervention, les requérants auraient été refoulés vers le Maroc sans que le bien-fondé de leurs recours ait fait l’objet d’un examen aussi rigoureux et rapide que possible (voir, mutatis mutandis,M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 388), les recours du contentieux administratif qu’ils avaient déposés n’ayant pas, en tant que tels, d’effet suspensif automatique susceptible de surseoir à l’exécution des ordres d’expulsion prononcés à leur encontre.
103. En outre, la Cour constate que les requérants sont arrivés en Espagne entre janvier 2011 et aout 2012 et que, depuis, ils ont été dans une situation provisoire d’incertitude juridique et de précarité matérielle dans l’attente des décisions définitives sur leurs recours. Nul doute qu’une exigence de célérité et de diligence raisonnables est implicite dans ce contexte et qu’il n’est pas exclu que la durée excessive d’une procédure puisse la rendre inadéquate. La Cour estime que dès lors qu’un recours n’a pas d’effet suspensif ou que la demande de suspension est rejetée, il est essentiel que dans les affaires d’expulsion où sont en cause les articles 2 et 3 de la Convention et lorsque la Cour a fait application de l’article 39 de son règlement, les juridictions fassent preuve d’une diligence de célérité particulière et statuent sur le fond dans des délais rapides. Si tel n’était pas le cas, les recours perdraient leur efficacité.
104. La Cour est consciente de la nécessité pour les États confrontés à un grand nombre de demandeurs d’asile de disposer des moyens nécessaires pour faire face à un tel contentieux, ainsi que des risques d’engorgement du système. Toutefois, tout comme l’article 6 de la Convention, l’article 13 astreint les États contractants à organiser leurs juridictions de manière à leur permettre de répondre aux exigences de cette disposition (voir, mutatis mutandis, Süßmann c. Allemagne, 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, § 55).
105. En conclusion, les requérants ne disposaient pas d’un recours remplissant les conditions de l’article 13 pour faire valoir leurs griefs tirés des articles 2 et 3 de la Convention. Dès lors, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec les articles 2 et 3.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2, 3 ET 5 DE LA CONVENTION
106. Les requérants allèguent que leur éloignement vers le Maroc les exposerait à des risques pour leur vie et/ou à des traitements inhumains et dégradants. Ils invoquent les articles 2, 3 et 5 de la Convention.
107. La Cour observe que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention, les procédures au principal donnant lieu aux questions soulevées au regard de ces dispositions de la Convention étant toujours pendantes devant les juridictions nationales d’après les informations données à la Cour par les parties. Or le principe de subsidiarité s’oppose à ce que la Cour examine la violation alléguée de droits au sujet desquels les juridictions internes n’ont pas encore eu l’occasion de se prononcer définitivement.
108. Il s’ensuit que cette partie des requêtes est prématurée et doit être rejetée conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR
109. La Cour rappelle que, en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, un arrêt devient définitif : a) lorsque les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejette la demande de renvoi formulée en application de l’article 43.
110. Elle considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement (paragraphe 4 ci-dessus) doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne ainsi définitif ou que la Cour rende une autre décision sur l’affaire (voir le dispositif).
V. ARTICLE 46 DE LA CONVENTION
111. Les passages pertinents de l’article 46 de la Convention se lisent ainsi :
« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.
2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.
(…) »
112. Eu égard aux circonstances particulières de l’affaire et, compte tenu du fait que la violation de l’article 13 de la Convention découle de l’absence de caractère suspensif des procédures judiciaires portant sur les demandes de protection internationale présentées par les requérants et du fait qu’elles sont encore pendantes à ce jour alors que les premiers requérants demandeurs d’asile sont arrivés en Espagne en janvier 2011, la Cour estime que l’État défendeur devra garantir, juridiquement et matériellement, le maintien des requérants sur le territoire espagnol pendant l’examen de leurs causes et jusqu’à la décision interne définitive sur leurs demandes de protection internationale.
VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
113. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
114. Les requérants n’ont présenté aucune demande de satisfaction équitable.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Joint au fond l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes concernant le grief portant sur l’article 13 de la Convention et la rejette ;
3. Déclare les requêtes recevables quant au grief tiré de l’article 13 combiné avec les articles 2 et 3 de la Convention, et irrecevables pour le surplus ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec les articles 2 et 3 ;
5. Décide de continuer à indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il est souhaitable, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure, de ne pas expulser les requérants jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard ;
6. Dit qu’eu égard aux circonstances particulières de l’affaire, la Cour estime que l’État défendeur doit garantir le maintien des requérants sur le territoire espagnol pendant l’examen de leurs causes et jusqu’à la décision interne définitive sur leurs demandes de protection internationale.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 avril 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
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