Pendant les 14 jours précédant le démantèlement du camp de Gdeym Izik, j’ai travaillé au sein du service de sécurité du camp.
Le 8 novembre 2010, je me trouvais dans le camp. Nous avons entendu des bruits d’hélicoptères et des cris de haut-parleurs et nous avons eu peur. J’ai tenté de fuir vers la ville, mais j’ai été arrêté par une douzaine de gendarmes en tenue et armés de bâtons. Ils ont commencé à me rouer de coups de poings, de coups de pieds et de coups de bâton.
Ils m’ont embarqué dans leur voiture. Sur le trajet de 20 minutes vers la gendarmerie, ils ont continué à me frapper. J’ai reçu un coup de crosse sur la tête et un autre sur l’oreille gauche.
Au sein de la gendarmerie, j’ai été détenu avec une centaine d’autres sahraouis. Nous étions répartis dans deux pièces, l’une d’environ 9 m2, l’autre en forme de couloir d’environ 1m sur 4m. Parmi mes codétenus se trouvaient cheikh banga, Mohamed Bani et Mohamed El-Ayoubi.
Nous avons tous été torturés par des gendarmes. Ils ne s’appelaient pas entre eux par leurs noms si bien que je ne sais pas qui m’a torturé.
Ils ont versé sur mon corps de l’eau sale et de l’urine, m’ont frappé avec des bâtons sur toutes les parties du corps et surtout la tête, m’ont insulté et menacé de viol. J’avais les yeux bandés pendant les sessions d’interrogatoire. Nous manquions de nourriture et d’eau. Sous la torture, les agents m’ont forcé à apposer mes empreintes sur des feuilles dont je n’ai pas pu lire le contenu.
Le jeudi 11 novembre, vers 20h, avec Mohamed El-Ayoubi et six autres codétenus, nous avons été conduits au tribunal dans un camion militaire. Arrivés au tribunal, les six autres codétenus ont été sortis du camion, mais Mohamed El-Ayoubi et moi avons dû y rester, jusqu’à environ 9h le lendemain matin.
Le vendredi 12 novembre au matin, nous avons été ramenés à la gendarmerie. J’ai été mis à part avec trois autres détenus, Cheikh Banga, Mohamed Bani et Mohamed El Ayoubi. Puis nous avons été rejoins par deux autres détenus qui ne faisaient pas partie de notre groupe et que je ne pouvais pas voir car j’avais les yeux bandés. J’ai su que c’était Naâma Asfari et Mohamed Bourial car lorsque les agents s’éloignaient, nous pouvions murmurer.
Puis on nous a fait monter de force dans un 4×4 de la gendarmerie, toujours menottés et les yeux bandés et on nous a conduits à l’aéroport comme on l’a découvert par la suite. Le transfert a été rapide. J’ai su que Naâma Asfari était avec moi lorsque j’ai entendu son nom prononcé dans la voiture.
Vers 13h30, chacun de nous a été escorté jusqu’à l’avion par deux agents qui nous tenaient par le bras. Nous sommes montés avec les agents à bord de l’avion et on nous a couchés à plat ventre sur le sol. L’avion a décollé. Pendant environ 1h30 à 2h de trajet, les agents et les détenus sont restés silencieux et les agents nous ont frappés sur tout le corps et sur le visage avec leurs brodequins. L’avion a atterri à l’aéroport militaire de Kénitra comme on l’a appris par la suite. Puis nous avons été conduit directement au tribunal militaire de Rabat, à bord d’un 4×4.
On nous a emmenés dans la salle du Tribunal en nous bousculant et en nous insultant : «Polisario, sales Sahraouis, séparatistes, indépendantistes, vous avez dépassé les bornes… »
Nous sommes ensuite passés l’un après l’autre devant le juge d’instruction, le Colonel Bakaali. J’étais le quatrième à passer. Avant d’entrer dans son bureau, on nous a enlevé le bandeau et les menottes. Il m’a dit les charges qui pesaient contre moi et m’a demandé si j’étais impliqué. J’ai nié toutes les accusations. J’avais du sang sur la tête, sur ma figure et sur mon t-shirt depuis le premier ou deuxième jour de torture. Malgré cela, le juge n’a posé aucune question sur les sévices subis.
En sortant du bureau on m’a remis le bandeau et les menottes et les agents m’ont ramené dans la salle du Tribunal en silence.
Vers 22h30, après être tous passés devant le juge, nous sommes sortis du tribunal et avons été conduits en prison, mais nous ne savions pas laquelle, Nous avons su que nous étions détenus à Salé seulement 12 jours plus tard, grâce à l’assistant social de la prison. Il était venu nous voir pour nous poser des questions sur notre situation familiale et nous avions alors vu le nom de la prison sur les papiers qu’il avait dans la main.
Nous avons passé la première nuit derrière le deuxième portail, couchés par terre dans la cour, les mains menottées par derrière et accrochées au le grillage, les yeux bandés sans avoir bu ni mangé depuis le vendredi matin.
Le lendemain matin, le samedi, à 9h, on nous a emmenés nous doucher dans une douche collective. C’est à ce moment là que nous nous sommes découverts mutuellement et c’est la première fois que j’ai vu Naâma, car je ne le connaissais pas auparavant. Comme nous tous, Naâma présentait des traces de torture sur le corps, sur le visage, la tête et le dos. J’avais moi aussi des traces au niveau de la tête, du visage, principalement à gauche du front, ainsi qu’en bas de jambes. Nous n’avons pas pu prendre de douche pendant les deux mois qui ont suivi.
On nous a ensuite donné une tenue de détenus et on nous a mis chacun dans une cellule. El Yacoubi, était vieux et très fatigué et partageait une cellule avec 3 autres détenus Bani Mohamed, Hassan Dah et Deich Daf. Les autres étaient seuls dans leur cellule.
Les premiers mois de la détention se sont déroulés de la façon suivante :
Des gardiens étaient présents en permanence et nous punissaient s’ils nous entendaient parler.
Nous prenions le déjeuner chacun dans sa cellule, des haricots secs. On nous interdisait de parler entre nous à travers les murs. Après deux mois de détention, nous avons pu nous doucher. Quand nous nous croisions en allant à la douche, une fois par semaine, pendant 15 minutes le vendredi, c’était la fête. Nous nous parlions tout doucement.
A partir du deuxième mois, nous avions droit à deux promenades de 5 minutes par jour, une le matin et une le soir. Cette promenade se déroulait à l’intérieur, dans le couloir longeant les cellules. Nous étions sortis séparément et ne pouvions donc pas nous voir. Pendant les 15 premiers jours, nous sommes restés pieds nus.
Après cinq mois de détention et une grève de la faim de 19 jours, nous avons obtenu le droit à une promenade à l’extérieur.
La cellule de Naâma était juste à côté de la mienne et, malgré la surveillance des gardiens, nous avons pu nous parler un peu. Il m’a notamment raconté toutes les tortures subies pendant sa garde à vue.
Le 22 novembre deux autres détenus sont arrivés : Abderrahman Zayou et Lamine Hadi Mohamed.
Pendant 5 mois, c’est à dire jusqu’à la grève de la faim en avril 2011, nous avons été seuls, et nous avons subi des tortures psychologiques. Les gardiens de la prison rentraient la nuit nous mettaient les menottes, nous fouillaient. Il était interdit d’ouvrir la fenêtre. Nous étions privés de promenade et ne voyions donc jamais le soleil.
J’ai pu recevoir pour la première fois la visite d’un membre de ma famille, mon frère en l’occurrence, qu’un mois après mon arrestation.
Quand les familles étaient autorisées à nous rendre visite, elles ne pouvaient apporter que des desserts. Il était interdit de mettre des vêtements civils sauf quand venaient les avocats, les familles ou le juge d’instruction.
La Commission du Tribunal Militaire a visité notre quartier de détention. Lors d’une de ces visites, j’ai dit au Commandant que nous avions besoin de soleil. Il m’a répondu : «La prochaine fois, je t’en apporte dans un sac en plastique».
Nous étions privés de tous les droits.
Je sais que ce témoignage est effectué pour être produit en justice.
Fait à , le
Signature : TAKI EL MACHDOUFI
— con Elmachdoufi Taki.