La profondeur géopolitique de l’œuvre d’Hergé n’est pas à démontrer. Ainsi, c’est avec raison que le génial dessinateur belge n’avait pas situé au Maroc « Tintin au pays de l’or noir » mais plutôt choisi ce pays comme théâtre de l’un de ses albums consacré au trafic de drogue (« Le Crabe aux pinces d’or ») dans ce royaume qui reste le premier producteur mondial de cannabis, dixit l’ONU. Car du pétrole, il n’y en a point (encore) dans le pays. Si certains doutent de la volonté des autorités d’éradiquer la culture du cannabis, enracinée historiquement dans le nord du pays, celles-ci ont pris le taureau par les cornes à propos des hydrocarbures.
C’est même un petit bouillonnement. Cette année, selon Abdelkader Amara, le ministre de l’Énergie, le Maroc devrait être le théâtre d’au moins 20 forages onshore ou offshore ; deux fois plus qu’en 2013. L’État a mis en place un cadre fiscal des plus attractifs voilà dix ans et multiplie depuis l’octroi de licences d’exploration, une trentaine à ce jour sur 900 000 km2 « explorables ». Y compris dans des zones sensibles comme les eaux proches des Canaries ou le Sahara occidental au statut international disputé. Kosmos Energy, Longreach Oil & Gas Exploration, Fastnet, Cairn Energy et First Sahara Energy… une poignée d’opérateurs se sont mis en tête de piocher dans le sous sol ou de lancer des études sismiques approfondies, comme Chariot Oil & Gas qui a annoncé un programme de 13 millions de dollars.
Pour la plupart, il s’agit de « junior companies » ou de sociétés montées par de vieux briscards du pétrole alliés à de jeunes loups de la finance. Ces entreprises répètent un schéma classique : elles lèvent des fonds à Londres ou à Toronto auprès d’investisseurs audacieux alléchés par l’espoir de gains mirifiques et prêts à rêver sur les promesses géologiques des « marges Atlantique », du jurassique inférieur ou du pétrole de schiste. Las ! À la différence de celles de son rival algérien, les vastes étendues du Maroc restent vierges d’hydrocarbures exploitables : 300 forages n’ont donné que des puits secs.
Depuis 2013, l’intérêt renouvelé de certaines majors (elles avaient pour la plupart d’entre elles déserté le pays suite à des campagnes infructueuses), comme Chevron ou BP qui ont acquis des parts dans certains blocs, a réactivé l’espoir des investisseurs. Et des autorités. Car l’énergie coûte cher à Rabat. Le Maroc importe toute son énergie, soit une facture de 9,1 milliards d’euros l’an passé. Dans ce pays affligé d’un déficit commercial abyssal pesant 20% du PIB, le pétrole et le gaz creusent la moitié de ce trou. En trouver ne serait-ce qu’un peu ce serait « Le Trésor de Rackham le rouge » !
Pierre-Olivier Rouaud
L’Usine Nouvelle, 23/02/2014