Aziza Brahim et l’héritage sahraoui Soutak, nouvel album de la chanteuse du Sahara occidental

07/02/2014 – 
Issue d’une génération déracinée qui n’a jamais eu l’occasion de fouler la terre de ses ancêtres et vit en exil, la chanteuse sahraouie Aziza Brahim s’est chargée de reprendre en musique le flambeau de la révolte poétique porté par sa grand-mère. A travers Soutak, son troisième disque, elle donne à sa mission un ton plus acoustique.
“Le temps défile comme les kilomètres sur une autoroute, mais c’est un voyage irréversible. Si les choses ne sont pas réglées bientôt, cela fera quarante ans que nous, le peuple du Sahara Occidental, aurons pris cette route, depuis que notre pays a été envahi, ravagé, volé.” En quelques lignes, en guise d’introduction au livret qui accompagne le CD de son nouvel album Soutak, Aziza Brahim plante le décor. La chanteuse trentenaire a épousé la cause sahraouie avec une détermination qui confère à sa musique une dimension autre qu’artistique.
Le sang de la révolte, mais aussi celui de la poésie, coule dans ses veines par hérédité. Mabruk, son précédent album paru en 2012, rendait hommage à sa grand-mère, Ljadra Mint Mabrouk, que ses compatriotes connaissent pour ses poèmes et son exaltation du sentiment patriotique. L’illustre aïeule a d’ailleurs fait l’objet d’un épisode de la série documentaire Poets in Protest diffusée l’an dernier sur Al-Jazeera, revenant sur la situation dans laquelle se trouve ce territoire dont la superficie équivaut à la moitié de la France, situé entre le Maroc au nord et la Mauritanie au sud, bordé par l’océan Atlantique à l’ouest et partageant ses frontières à l’est avec le Mali et l’Algérie.
Autrefois colonie espagnole, le Sahara occidental est occupé dans sa très grande majorité par le Maroc qui y revendique et exerce sa souveraineté, en dépit de l’opposition armée menée par le Front Polisario avant qu’un accord entre les belligérants soit signé, prévoyant un référendum d’autodétermination dont l’organisation a toujours été repoussée par le royaume chérifien.
La musique pour s’amuser
Aziza est née en Algérie, près de Tindouf, où elle grandit avec ses neuf frères et sœurs. “Je pensais que cet endroit était mon pays. Je ne savais pas que c’était un camp de réfugiés. L’innocence d’un enfant s’avère parfois appropriée pour résister, se protéger dans les contextes les plus durs. Comme on n’avait pas de jouets, on faisait de la musique pour s’amuser. Le jeu consistait à faire des chansons avec les poèmes de ma grand-mère. Ma mère et elle ou d’autres femmes du voisinage formaient le jury. Je faisais tout mon possible pour gagner”, confie-telle, rappelant au passage avoir vécu ses premières expériences musicales lors de ces vendredis où les familles musulmanes se rassemblaient pour prier et chanter les louanges au Prophète.
Si elle commence à faire entendre sa voix dans les récitals avec sa grand-mère, c’est à Cuba – où elle est envoyée à onze ans pour suivre ses études secondaires – qu’a lieu sa première prestation en solo. Devant ses camarades d’école sahraouis, elle interprète une chanson du Libanais Walid Toufic. “J’ai écouté Ali Farka Touré, mais aussi Warda, Oum Khalsoum, Salif Keita. Je me souviens du raï :Cheb Khaled, Cheikkha Rimitti, Cheb Mami… Du reggae, avec Bob Marley et Alpha Blondy et des cassettes arabes que mon oncle rapportait d’Alger. Et aussi de Dimi Mint Abba, la référence du haul (la musique traditionnelle, NDLR), avec Malouma”, liste la jeune femme qui joue des percussions, comme sa mère et ses sœurs. 
De La Tierra derrama lagrimas à Soutak
Forte de toutes ces influences, elle se met à composer ses propres titres lorsqu’elle retourne au milieu des années 1990 sur le sol africain, huit ans après l’avoir laissé. Son style ne tarde pas à attirer l’attention, à l’échelle locale. Avec La Tierra derrama lagrimas, devenu un morceau phare de son répertoire, elle remporte le premier prix du concours organisé dans le cadre du festival culturel de la République arabe sahraouie démocratique, État fantôme créé par les indépendantistes.
Tout en étant enrôlée au sein de l’ensemble national sahraoui avec lequel elle part en tournée dans les pays voisins, elle fait ses premiers enregistrements, qui atterrissent sur des compilations remarquées, et monte un groupe baptisé Leyuad pour l’accompagner sur les scènes de France, d’Allemagne et d’Espagne, son nouveau pays de résidence. L’équipe changera en 2006 pour devenir Gulili Mankoo, formation afro-latino. Le son d’Aziza se fait résolument moderne.
Cette fois, pour Soutak, son nouveau disque conçu à Barcelone et emballé par le producteur américain Chris Eckman (Samba Touré, Tamikrest…), elle a eu envie de revenir à un mode plus traditionnel, acoustique afin de “faire ressortir le chant et souligner ce que disent les textes”. Avec en filigrane un second objectif : voyager, en partant de sa culture pour aller vers celle du Mali, “le plus naturellement, sans problème, parce que ce sont des cultures proches”.
http://www.rfimusique.com/actu-musique/musiques-monde/album/20140207-aziza-brahim-soutak
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