La grande manœuvre marocaine au Sahara (2e partie)

Et la guerre aura lieu
Par D.M. Chetti 
A la croisée des chemins entre l’Afrique et l’Europe, la Méditerranée, l’Atlantique et le monde arabe, le Maroc a toujours eu une place spéciale dans la diplomatie occidentale et dans sa planification stratégique, spécialement américaine. 
Les nationalistes sahraouis, avant d’avoir le Maroc comme principal ennemi, ont eu à combattre les Espagnols avant 1975. 
Le Polisario a été créé en 1971 par Mustapha Sayed El-Ouali qui a explicitement appelé à la lutte armée dans le cadre du Front populaire pour la libération de Saguia El-Hamra et Rio de Oro. 
Puis, avec le soutien de la Libye, de l’Algérie et de la Mauritanie, ses forces ont commencé à attaquer les intérêts espagnols. Sur la scène internationale, le Polisario a su attirer l’attention sur sa cause à l’ONU et ailleurs, mais son leadership a été lent à identifier la menace posée par le Maroc sur la route de son indépendance.
En mai 1975, une mission de l’ONU se rend au Sahara espagnol à la rencontre des manifestations spectaculaires de soutien public au Polisario et manifestant leur opposition à l’unification avec le Maroc ou la Mauritanie. 
Le 15 octobre, elle publie un rapport en faveur de l’autodétermination des Sahraouis. Le lendemain, la Cour internationale de justice de La Haye rendra publique sa décision contre la revendication du Maroc pour le territoire, mais le roi du Maroc Hassan II en fera une interprétation différente. 
Le même jour, il annoncera l’ouverture de bureaux de recrutement pour lancer «la marche verte» à laquelle 350.000 volontaires participeront.
Entre temps, le dictateur espagnol Franco était sur son lit de mort et, sous la pression des Etats-Unis et de la France, il finira par abandonner le territoire du Sahara. Il donnera une ultime consigne, celle de ne pas tirer sur les marcheurs marocains qui traverseraient la frontière le 6 novembre 1975. 
Le 14 novembre, c’est le pacte de Madrid, qui divisera le territoire entre le Maroc et la Mauritanie. Franco, à l’hôpital, décédera tôt le matin du 20 novembre. 
Le Maroc entreprendra sa conquête du Sahara occidental après la marche verte de novembre 1975 alors que certains Sahraouis, ayant acquis une expérience militaire dans l’armée espagnole, rejoindront l’aile militaire du Front Polisario et mèneront de sérieuses attaques contre les forces armée royales marocaines qui, avec de grandes colonnes motorisées, avaient occupé des postes profondément à l’intérieur du Sahara, allant jusqu’à Tifariti, près du nord de la frontière mauritanienne, et occupant Guelta au sud-ouest. 
Puis une colonne de cinq bataillons des FAR stationnera à Mahbes, dans le nord-est du Sahara occidental, près de la frontière algérienne. Le lac d’Amgala est utilisé comme un point de transit pour les réfugiés évacués vers l’Algérie sous l’assistance de l’armée algérienne qui leur fournit de la nourriture et des fournitures médicales. 
En janvier 1976, les troupes marocaines attaqueront les troupes algériennes à cet endroit.
Les débuts militaires du Front Polisario et ses succès contre le Maroc et son allié, la Mauritanie, défièrent toutes les attentes.
Les raisons de ce succès et de la survie du Polisario sont à chercher non seulement dans ses soutiens extérieurs, principalement algériens, dans les erreurs marocaines et les faiblesses mauritaniennes, mais aussi dans sa stratégie militaire et les compétences tactiques de ses soldats, dotés d’un moral d’acier et capable de maîtriser les configurations géographiques à leur avantage. 
Les forces armées mauritaniennes, peu dotées de ressources matérielles et humaines, ont été contraintes de se retirer de la guerre en 1979 après avoir subi des pertes conséquentes de la part du Polisario.
L’armée marocaine a révélé à plusieurs reprises son inefficacité opérationnelle face aux tactiques de guérilla du Polisario et, après plusieurs échecs, elle obtiendra un renfort stratégique grâce à l’aide des Américains, qui, après la chute du Shah, tenaient à ne pas perdre un autre allié stratégique en Afrique.
A partir de 1981, le Maroc commencera la construction de la plus grande barrière militaire fonctionnelle dans le monde, un mur de 2.720 km qui lui permettra d’occuper et de contrôler 80% du territoire du Sahara occidental et de contrer les offensives du Front Polisario. 
Dix ans plus tard, l’intervention de l’ONU permit la signature d’un cessez-le-feu, qui a eu lieu après que les deux parties, complètement épuisées, réaliseront qu’aucune d’elle ne pourra remporter la victoire décisive. 
La lutte continua alors dans la sphère diplomatique. Dans les territoires occupés, le Maroc a dépensé beaucoup d’argent pour sa sécurité et le développement économique, mais n’a pratiquement consacré aucun effort pour gagner les cœurs et la sympathie du peuple sahraoui. 
Il a également encouragé l’installation d’un grand nombre de personnes en provenance du Maroc, en partie avec l’ espoir de déjouer ainsi la prédiction du Polisario qui espérait gagner le référendum sur le futur statut du territoire. 
Représentant de l’ONU, l’Américain James Baker a exercé de considérables efforts pour tenter de parvenir à un règlement, mais, devant l’intransigeance marocaine, il finit par démissionner en 2003. 
Dans le même temps, le mécontentement a grandi dans les camps de réfugiés et les territoires occupés, en particulier parmi les jeunes Sahraouis. Beaucoup d’entre eux, désespérés de voir leurs aînés trouver une autre issue à leur quotidien, montrent leur déception avec le Polisario qui n’arrive pas à marquer des points sur le front diplomatique. 
Ce mécontentement s’est manifesté par l’intermédiaire d’une révolte du style «intifada» que l’encadrement du Polisario n’a pas vu venir. 
En réponse à cette intifada, les forces marocaines entamèrent alors des séries d’enlèvements et d’arrestations suggérant à l’opinion internationale que ce sont des actes terroristes menées par des organisations criminelles ayant des liens avec Al-Qaïda, dont l’objectif est de tenter une infiltration du Sahara occidental et des camps de réfugiés. Ce que réfutent, bien évidemment, en bloc les dirigeants du Polisario.
Dans le sillage de la marche verte, au moment où l’Espagne annonçait le retrait de ses troupes du Sahara, l’avenir du Polisario semblait sombre pour beaucoup d’observateurs et les Marocains étaient confiants dans leur nouvelle conquête. 
Après tout, même l’Espagne, qui avait commis d’importantes erreurs politiques et disposant de peu de ressources, avait réussi à maintenir sa présence pendant près d’un siècle ! Le Maroc comptait en finir rapidement avec l’insurrection sahraouie. Résultat, un quart de siècle plus tard, le conflit est toujours là !
Les raisons de la survie du Polisario s’expliquent sans doute par les soutiens extérieurs, en particulier algériens, sa démarche diplomatique sur le plan international et surtout par la ténacité de ses combattants qui maîtrisent aussi bien la tactique que la stratégie sur le terrain. 
Le succès est dans le haut niveau moral de ses troupes, l’expérience de ses soldats et la capacité des Sahraouis à utiliser les conditions géographiques à leur avantage.
Aujourd’hui, la communication et la coordination entre les indépendantistes du Polisario, qui veulent la libération des territoires occupés par le Maroc et les camps de réfugiés où se trouvent leurs sympathisants, sont facilitées en grande partie par l’Internet qui a aussi contribué à accroître leur membres, surtout des jeunes qui commencent à se radicaliser, perdant confiance en la direction du Polisario, même si cette dernière continue à alimenter des perspectives antimarocaines très marquées.
Le risque encouru, en attendant, c’est, bien entendu, l’infiltration d’éléments terroristes dans les camps sahraouis en Algérie. La véritable menace se situe à ce niveau.
Le Maroc, comme précisé dans la première partie consacrée à ce sujet, a toujours entretenu des relations étroites avec les Etats-Unis et la France, renforcées à mesure que son voisin algérien prônait, dans le passé récent, une voie socialiste et non alignée dans sa politique intérieure et l’autodétermination du peuple sahraoui dans sa politique extérieure. 
Compte tenu de l’importance de la stabilité du Maroc aux yeux de l’axe atlantique et de la menace qu’une augmentation de l’activité terroriste dans la région poserait pour les Etats-Unis et pour l’Europe en particulier, il est urgent de promouvoir une solution de sortie au problème du Sahara occidental au lieu de se contenter de suivre l’évolution des événements en attendant que cela profite aux intérêts américains ou européens, sans quoi la situation risque de devenir de plus en plus explosive.
L’Echo d’Algérie, 22/12/2013

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