Sahara Occidental: Vers une surveillance onusienne des droits de l’Homme

El Fah Said, en état de coma suite à la
répression du 30 avril à El Aaiun
Le Conseil de sécurité de l’ONU avait prolongé, l’année dernière, le mandat de la Minurso tout en demandant au Maroc « d’améliorer la situation ». A l’origine de l’initiative américaine, un rapport sur les violations multiples et répétées des droits de l’Homme au Sahara occidental.
Retour sur un précieux témoignage.
Il ne fallait pas être Saint Just pour conclure à la violation des droits de l’Homme par le Maroc sur les territoires du Sahara occidental qu’il occupe, à la suite du retrait des troupes espagnoles en 1973. Dans son dernier rapport sur la question (*), le Département d’Etat américain évalue à 85 % du territoire l’espace occupé par le Maroc, pour une population estimée à plus de 500.000 habitants. Le rapport est un réquisitoire en règle, un témoignage à charge, qui a le courage de dire et de rappeler ce que tout le monde sait déjà : l’incompatibilité entre une royauté moyenâgeuse et des droits humains hérités des Lumières. Le document témoigne que le gouvernement marocain a déployé des troupes militaires et encouragé les populations civiles à s’y établir pour étendre son administration aux trois provinces du Sahara occidental. Les Forces armées royales et le Front Polisario s’opposeront par intermittence de 1975 à 1991, date de déploiement d’un contingent de maintien de la paix des Nations unies, la Mission des Nations unies pour un référendum au Sahara occidental (Minurso), dont le mandat ne comporte pas, initialement, la surveillance des droits de l’Homme. L’envoyé personnel du secrétaire général des Nations unies pour le Sahara occidental, Christopher Ross, est en charge du référendum qui doit permettre au peuple sahraoui d’opter soit pour une « autonomie » concédée par le Maroc à l’intérieur du royaume, soit pour l’indépendance prônée par le Polisario.
Les pourparlers informels entre le Maroc et le Polisario sont à leur neuvième round (les derniers datent du 11 au 13 mars, à Manhassett, New York).
Outre les conditions générales peu propices à l’exercice des droits de l’Homme dans leur acception moderne, les territoires sahraouis ont ceci de particulier que la répression est étendue aux groupes et associations indépendantistes, relève le rapport américain qui énumère à ce titre les restrictions à la liberté d’expression, de presse, de réunion et d’association, le recours à la détention arbitraire et prolongée, à la torture et aux violences physique et verbale des détenus lors des arrestations et emprisonnements. Au-delà du refus, attendu, d’enregistrer des associations indépendantistes, les autres ne se s’en sortent pas mieux : impossibilité d’ouvrir des bureaux, de recruter des membres, de recueillir des dons, etc.
Les violations les plus outrancières des droits de l’Homme se poursuivent, sur fond « d’impunité généralisée et de corruption des services de sécurité et du système judiciaire ».
La première section du rapport traite des multiples atteintes au principe fondamental du « respect de l’intégrité de la personne ».
Atteintes au rang desquelles est recensée « la privation arbitraire ou illégale de la vie ». Traduire : le système monarchique a droit de vie et, surtout, de mort sur ses sujets. Les agents de sécurité se sont rendus coupables d’homicides en juin 2010 au barrage de Laayoune. Les corps des victimes n’ont été remis aux familles qu’une demi-heure avant l’enterrement.
Toujours au Sahara occidental, des dizaines de personnes (entre 53 et 71) meurent sous la torture, en détention, sans qu’aucune enquête ne soit ouverte.
Au rang des mêmes crimes, la monarchie est rendue coupable de disparitions massives pour motif politique qu’elle s’applique à « réparer » et à faire oublier par des compensations matérielles au profit des familles de victimes en passant par le très gouvernemental Conseil national pour les droits de l’homme (CNDH) ; compensations qui prennent la forme de licences de taxis, de logements et de postes de travail dans l’administration.
L’intégrité physique de la personne est exposée à une troisième violation : « la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Les témoignages recueillis sur les actes de torture, violences et autres mauvais traitements infligés aux détenus signalent la situation particulièrement inhumaine que connaissent les défenseurs sahraouis de l’indépendance.
Le cas le plus « typique » est la torture en détention dont témoignent en grand nombre des victimes auprès de Juan Mendez, le rapporteur spécial de l’ONU sur la torture. Après sa visite au Maroc et au Sahara occidental, M. Mendez avait également déclaré qu’il y avait de bonnes raisons de croire à la crédibilité des allégations d’agression sexuelle, de menaces de viol, y compris à l’endroit des membres des familles de victimes, et d’autres formes de mauvais traitements.
Par ailleurs, le rapport de M. Mendez cité par le Département d’Etat fait étalage des sévices dont se rendent régulièrement coupables les forces de sécurité : « Coups de câbles électriques, asphyxie avec des chiffons humides trempés dans l’urine ou des produits chimiques, brûlures de cigarettes, suspension par les bras comme un «poulet ficelé» pendant des périodes prolongées ».
Aucun espace n’échappe à ces dépassements. Encore moins les centres de détention où les détenus qui ne sont pas éloignés vers d’autres prisons du Royaume subissent également la violence physique, la torture et le manque d’accès aux soins, l’interdiction des droits de visites familiales, d’alimentation et de vêtements propres, comme c’est le cas à Laayoune dont la prison est interdite d’accès aux défenseurs des droits de l’Homme et aux ONG depuis 2008. Les tribunaux refusent d’ordonner des examens médicaux ou de prendre en compte les résultats d’examens médicaux dans les cas d’allégations de torture. En fait, la plupart des plaintes sont carrément rejetées. Au titre de la même section, le document américain fixe en quatrième position les arrestations et les détentions arbitraires, qualifiées de « systématiques ».
Le rôle de la police et de l’appareil de sécurité est ici fortement souligné. L’impunité de la police, des forces auxiliaires ou de la police judiciaire est totale. Au point qu’aucune plainte n’a été enregistrée contre elles. Pourtant, les habitants du Sahara occidental déposent des centaines de plaintes contre les autorités d’occupation implantées sur le territoire, rappelle le document. Plaintes restées sans suite, au regard du peu de considération pour les procédures, le parquet s’a
ssociant généralement à la répression, en dehors de tout contrôle de la défense.
Les libertés, un non-sens
La deuxième section du document traite des graves manquements aux libertés civiles, en territoires sahraouis occupés.
Parler de la liberté d’expression et de presse au Sahara occidental semble relever du non-sens. Les journalistes étrangers n’échappent pas à cette restriction dans l’exercice de leur métier. Il leur est, notamment, interdit de rencontrer « des militants politiques de gauche ». Quinze Espagnols et quatre blogueurs norvégiens ont fait les frais de ces restrictions – ils ont été arrêtés et expulsés – pour avoir voulu rencontrer les militants indépendantistes.
Une « étroite surveillance » est également exercée contre les militants des droits de l’Homme et les « blogueurs affiliés à des groupes politiques de gauche » qui ont « besoin de cacher leur identité ». 
La liberté de réunion, de rassemblement, de manifestation et d’association pacifiques n’échappe pas à la chape de plomb. « Les autorisations sont rarement accordées pour des événements à caractère politique en dehors de celles liées aux élections – pour les adouber. Le gouvernement utilise généralement les retards administratifs et d’autres méthodes pour empêcher ou décourager les manifestations à connotation politique ».
Des manifestations ont été réprimées sans ménagement à Laayoune, Dakhla et Smara et leurs instigateurs arrêtés.
Pas question aussi de liberté d’association ou de culte.
Récupérations
La troisième section du rapport traite des droits politiques, y compris celui de changer de gouvernement. Elle fait état des efforts du pouvoir central d’insérer (ou de récupérer) les élites sahraouies par le jeu institutionnel en les cooptant au sein des conseils municipaux et de l’organe parlementaire.
Cela est certainement insuffisant à combler le déficit de légitimité qui frappe les organes de gouvernance, largement entachés de « corruption et de manque de transparence », selon les termes du rapport. La corruption est jugée « généralisée au sein des forces de sécurité et de l’administration judiciaire ». Le document évoque le pantouflage qui s’exerce en termes « d’implication de militaires dans le secteur privé, en particulier des officiers pour obtenir un accès préférentiel aux licences de pêche ou d’exploitation de carrières de sable et d’autres matériaux ».
Les syndicats marocains sont « présents mais pas actifs » dans les territoires sahraouis occupés. La plupart de leurs membres sont des employés gouvernementaux ou d’organismes de l’État marocain. Dans les phosphates et les industries de la pêche, où la présence syndicale est plus marquée, les stimulants salariaux (jusqu’à 85 % de plus que dans le reste du royaume) sont utilisés comme levier de peuplement et de délocalisation, donc de colonisation.
Compte tenu de la gravité de la situation, les Etats-Unis ont proposé que la mission de l’ONU de maintien de la paix au Sahara occidental (Minusrso) soit chargée de veiller au respect des droits de l’Homme dans ce territoire occupé par le Maroc.
La proposition était faite à trois jours de l’adoption, le 25 avril, de la résolution pour le renouvellement annuel du mandat de la Minurso. Colère et déception se sont exprimées de l’autre côté de la frontière. Mécontent, Rabat a répliqué en annulant les manœuvres militaires annuelles « Lion africain », auxquelles devaient participer 1 400 soldats américains et 900 militaires marocains. La violence des réactions marocaines n’a pas permis à la procédure initiée par les Etats-Unis d’aboutir, mais pour le Polisario ce n’est que partie remise dans un processus inéluctable d’autodétermination.
Le président sahraoui, Mohamed Abdelaziz, estime que le gouvernement marocain est « mis au pied du mur » du fait des appels incessants à l’élargissement de la mission de la Minurso à la surveillance des droits de l’Homme au Sahara occidental.
M. Abdelaziz a indiqué que les « prochaines semaines s’annoncent déterminantes quant au processus de l’autodétermination du Sahara occidental », du fait, estime-t-il, du « débat profond qui est engagée sur la situation des droits de l’Homme dans les territoires occupés ». « Il s’agit d’une question de décolonisation et l’ONU ne pourra pas continuer d’aller à l’encontre de ses principes », a-t-il dit, soulignant que l’observation de la situation des droits de l’Homme relève de la « mission naturelle » de la Minurso.
Il restait aussi à connaître la position des autres membres du groupe des Amis du Sahara occidental, qui se compose de la France, habituellement favorable aux thèses marocaines, des Etats-Unis, du Royaume-Uni, de la Russie et de l’Espagne.
L’Algérie déplore, par la voie mesurée de ses diplomates, rapportés par le site d’information TSA, « les écarts de langage, irresponsables et inadmissibles, comme le fait pour le secrétaire général de l’Istiqlal de revendiquer une partie du territoire algérien ». Ces écarts sont jugés « démonstratifs de ce réflexe pavlovien qui consiste à mettre, mécaniquement, l’Algérie au box des accusés chaque fois que la cause sahraouie marque des points sur la scène internationale ».
Ammar BELHIMER
El Djazair.com, Mai 2013

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