Au Maroc, parler du droit du Sahara Occidental à l’autodétermination est un vain mot. Les plus progressistes des Marocains refusent la justesse même de la lutte des Sahraouis pour l’indépendance.
Rabat 4 avril. La capitale du royaume chérifien recevait le président français, François Hollande. Dans son discours devant les deux chambres du Parlement réunies en séance commune, l’invité du roi Mohammed VI appuie les réformes politiques lancées par le palais royal. Il en vante la substance et salue «les avancées démocratiques» du Maroc.
Rabat et Casablanca (Maroc).
De notre envoyé spécial
Le président français décline la cartographie de la présence française dans ce pays du Maghreb occidental. Une centaine d’entreprises dans le secteur de l’aéronautique se trouvent à Casablanca, où Airbus fabrique certaines pièces pour ses appareils, une usine du constructeur automobile Renault à Tanger qui est déjà à sa première année de production, et des investissements dans l’agro-industrie, sans compter le traitement de l’eau et bien évidemment le tourisme qui capte des milliers de visiteurs européens et français. Le tout a été enrobé par François Hollande dans deux maîtres mots : la colocalisation et l’amitié. Son discours a mis le Maroc en émoi.
Le chef de l’Etat français a offert un cadeau à son hôte en soutenant le plan de large autonomie proposé en 2007 par le palais en guise de solution au problème du Sahara occidental, pourtant pris en charge par les instances de l’Organisation des Nations unies. Le lendemain, toute la classe politique en parlait ; la presse marocaine en première ligne. Hollande a été applaudi. Et tout le monde acquiesce ; la droite et la gauche, l’on se demande à présent comment rendre pratique l’appui de la France au plan de l’autonomie marocain et surtout comment faire pression sur l’Algérie ?
Le makhzen omniprésent
Il y a un tel endoctrinement que le Marocain lambda suit l’actualité et répercute le discours officiel. Dans les cafés de Casablanca, capitale industrielle du Maroc, dans les taxis, on ne manque pas de vous faire la remarque dès que l’on sait que vous venez d’Alger. «Pourquoi vous nous empoisonnez la vie avec le problème du Sahara occidental ?» «Si les Algériens nous laissaient tranquilles, on leur ouvrirait un couloir sur l’Océan», soutient un chauffeur de taxi au centre-ville de Casablanca. Et les Sahraouis ? Une simple question et notre transporteur change d’humeur et se tait pendant tout le reste du trajet. Dans ces contrées, la cause des Sahraouis, qui ne demandent rien de plus que de vivre dans leur pays colonisé par le Maroc après le départ des Espagnols, est un vain mot. Les plus progressistes des Marocains refusent la justesse même de la lutte des Sahraouis pour l’indépendance.
De l’Istiqlal aux islamistes du Parti pour la justice et le développement (PJD) au gouvernement depuis plus d’une année, on entend presque les mêmes propos. Ils attendent tous l’évolution et les conséquences du discours de François Hollande. Une certaine élite marocaine, la presse et tout ce que compte Mohammed VI comme cour font pression et demandent avec insistance aux Français d’aller plus loin que ce qui a été dit. Il y a une sorte d’acharnement contre l’Algérie qui, selon le discours ambiant, est à l’origine de tous les maux du royaume. Un jeune Casablancais, Jawad, pense qu’il y a deux problèmes majeurs entre les deux pays : la question du Sahara et la fermeture de la frontière. «Cela nous pénalise», dit-il. Mais allez lui expliquer que les Sahraouis veulent leur indépendance et que les frontières ce sont les Marocains eux-mêmes qui sont à l’origine du problème ! Il refuse même d’en discuter. Quid des questions des libertés publiques dans le royaume ?
Depuis que l’allié français distribue les bonnes notes à Mohammed VI, il y a de moins en moins de voix qui s’élèvent au Maroc pour dénoncer la répression qui frappe le monde de la presse, la société civile et les organisations des droits de l’homme.
Que reste-t-il du Mouvement du 20 février ?
Le makhzen a pu imposer une véritable omerta. Aucune voix ne discorde. Il a transformé, comme le soutient un militant des droits de l’homme, la devise «Dieu, le roi et la patrie» en «le roi est le dieu du Maroc». Cela semble marcher, puisque tout le monde se refuse de critiquer Mohammed VI, tant que le business marche bien. Un membre des jeunes du Mouvement du 20 février, mouvement né dans la foulée du Printemps arabe en 2011, est totalement «désespéré de voir un jour son pays progresser vers plus de liberté et de démocratie». «Notre organisation, qui a pu mobiliser les Marocains pour exiger une monarchie parlementaire et réduire les pouvoirs exorbitants du palais royal qui a procédé à des réformettes, s’est effilochée au fil du temps.» «La propagande officielle a réussi à démobiliser plus d’un», ajoute notre interlocuteur qui pense que le mouvement est en hibernation, il dort, soutient-il, avant d’être interrompu par son camarade. Catégorique, celui-ci tempête : «Il ne dort pas, notre mouvement est tout simplement mort.» La raison ? Les Marocains ne suivent plus. Le makhzen a réussi à mettre «dans la poche» quelques-uns de ses membres en les convaincant par divers moyens, certains par le fric, d’autres par la trique. Selon des confrères marocains, d’autres raisons sont à l’origine du recul de la contestation.
Dès le début, elle a été infiltrée par des éléments d’El Aadl wal ihssan et des militants du PJD qui n’ont pas manqué au moment voulu de planter un coup de couteau dans le dos d’un mouvement spontané de jeunes déterminés à remettre en cause l’ordre monarchique. Plus que cela, le Mouvement du 20 février a été, selon des journalistes marocains rencontrés à Casablanca, constitué de figures emblématiques, de leaders qui auraient pu émerger de la contestation. Il faut le dire, le makhzen est omniprésent dans la société. Nous avons eu à le vérifier et voir comment la persécution peut inhiber l’action politique.
Au lendemain de notre arrivée à Casablanca via Rabat où nous avions passé trois jours, des policiers en civil se présentent sur le lieu de notre résidence. «Il est où l’Algérien qui a loué ici ?», avaient-ils demandé à la réception. Nous savions que les journalistes algériens qui se rendent au Maroc sont particulièrement surveillés, mais pas au point d’épier le moindre de leurs mouvements, comme par exemple aller prendre un café.
Nous nous présentons alors à la sûreté de wilaya de Casablanca pour demander pourquoi des policiers en civil cherchaient après nous ? Ils ne savaient en réalité rien de la «visite» et de l’identité des visiteurs. Nous avons pris alors la décision de nous présenter au consulat d’Algérie à Casablanca pour informer les responsables de la situation, qui ont montré toute leur disponibilité à nous rassurer et surtout à apporter de l’aide. L’«algérophobie» de la police parallèle marocaine faisant le pied de grue devant l’immeuble où nous avons loué peut produire des effets inattendus.
L’«ennemi algérien»
L’expérience nous donne une idée sur le niveau de souffrance des persécutés marocains et sahraouis. Et combien pèse le fait seulement d’être poursuivi par des inconnus dont la police marocaine elle-même ignore l’existence. Un citoyen de Casablanca trouve cela «normal». Selon lui, «c’est cela qui a rendu le Maroc plus sûr et a fait de lui une destination préférée des touristes étrangers». «Si ce n’était pas la sécurité qui règne partout dans le royaume, dit-il, Chirac, Hillary Clinton et toute la nomenclature européenne, notamment française, n’auraient pas eu des résidences de luxe à Marrakech.» C’est vrai que les investissements étrangers, surtout français ainsi que la coopération dans le domaine de la formation, l’ouverture sur le monde avec une diversité effective en matière de culture et de religion, sont une réalité, mais derrière ce décor, il y en a une autre plus poignante de répression, de régression des libertés, notamment d’une incommensurable misère sociale : chômage, et pauvreté.
Derrière les grands buildings de Casablanca et ses vastes avenues se cache une véritable détresse humaine. Des enfants de 15 ans, parfois moins, sillonnent les artères de la ville pour glaner quelques dirhams en proposant de cirer les chaussures des passants. Les mendiants quémandant le prix d’un repas aux «gawris» (Occidentaux). Le Maroc est en réalité en pleine crise.
Le ministre de l’Intérieur, Mohamed Al Ancer, le reconnaît lui-même dans ses déclarations publiques : «La situation économique du Maroc est très difficile, et ce n’est certainement pas avec des paroles en l’air qu’on va régler les problèmes.» Le chef du parti Istiqlal, Hamid Chebat, n’en dira pas moins. Pour lui, «la situation est très dangereuses». Tous les indicateurs économiques sont au rouge. Le gouvernement de Abdelilah Benkirane, du parti islamiste PJD, vient d’ailleurs de décider l’arrêt de l’exécution de 15 milliards de dirhams des dépenses de l’investissement au titre de l’exercice de 2013, alors que l’économie marocaine a besoin de 25 milliards de dirhams pour rester à flot.
La coalition au gouvernement ne cesse de subir les contrecoups de cette situation. L’équilibre est tellement fragile que l’édifice chérifien peut tomber en ruine à n’importe quel moment. Mais le roi compte sur le soutien de l’«ami», qui pense que le palais est sur la bonne voie et tente même de lui ouvrir des perspectives en soutenant son plan de large autonomie comme solution au conflit du Sahara occidental. L’acharnement du palais royal sur l’Algérie à travers sa cour et sa presse participe de cette vieille recette de vouloir désamorcer la bombe interne en faisant endosser tous les problèmes de la monarchie au prétendu «ennemi algérien».
Said Rabia
El Watan, 13 avril 2013
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