Gdeim Izik : les dessous du procès

Le procès des 24 inculpés sahraouis reprend vendredi matin devant le tribunal militaire de Rabat. Lakome revient sur les points-clé de l’affaire.
Reporté à plusieurs reprises depuis 2011, le procès des 24 sahraouis détenus dans le cadre des événements de Gdeim Izik s’est finalement ouvert le 1er février dernier au tribunal militaire de Rabat, sous forte présence sécuritaire et médiatique. La prochaine audience se tient vendredi matin.
Alors que 14 personnes au total ont trouvé la mort lors de ces tragiques événements, dont 11 membres des forces de l’ordre, l’instrumentalisation politique à outrance des événements de Gdim Izik rend difficile la lecture de ce procès et de ses enjeux. Lakome revient donc sur les points-clé de l’affaire.
Tribunal militaire : pourquoi ?
La décision des autorités marocaines de traduire les 24 accusés devant le tribunal militaire de Rabat a suscité l’inquiétude des juristes et des acteurs associatifs marocains et internationaux, craignant l’absence d’équité et de transparence liée par définition à toute juridiction d’exception. L’argument ayant été exploité par le Polisario, les autorités se sont justifiées en rappelant que cette décision est conforme à la loi marocaine en vigueur.
Le code marocain de justice militaire, inchangé depuis 1956, prévoit en effet la possibilité de traduire des civils devant cette juridiction, notamment en cas de crime contre des membres des forces armées royales et assimilés (article 3).
Le choix du tribunal militaire est pourtant contesté. « Ce tribunal d’exception est tout à fait contradictoire avec la nouvelle constitution. C’est un problème à la fois pour les inculpés et pour les familles des victimes », affirme Maître Ahmed Arahmouch, membre d’un collectif d’observateurs nationaux. Ce dernier explique que les familles de victimes ne peuvent pas se constituer partie civile : « C’est malheureusement interdit par la loi. Il faudra attendre le jugement définitif de la juridiction militaire avant d’entamer un éventuel nouveau procès devant un tribunal civil ».
De son côté, le Comité de l’ONU contre la torture, dans son rapport 2011-2012 sur le Maroc, avait expressément demandé à Rabat de « modifier sa législation afin que toutes les personnes civiles soient jugées exclusivement par des juridictions civiles », conformément à l’esprit de la nouvelle constitution votée en juillet 2011, qui consacre la primauté des conventions internationales sur le droit interne marocain.
Les familles des victimes rencontrées par Lakome, elles, ne saisissent pas forcement les différences entre un tribunal civil et militaire. « Tout ce que nous demandons, c’est que le procès soit équitable et que justice soit faite pour que nous puissions enfin faire notre deuil », explique Ahmed Tartour, le porte-parole du Collectif des familles et amis des victimes (COFAV).
Un observateur du procès confie à Lakome sous couvert d’anonymat que « dans le contexte marocain et vu le degré d’indépendance de la justice, peu importe au final que le procès se tienne devant un tribunal civil ou militaire, le résultat serait à peu près le même ».
Qui sont les 24 détenus ?

Naama Asfari

24 sahraouis se trouvent aujourd’hui sur le banc des accusés. « On peut les diviser en deux catégories, affirme un de leurs avocats, maître Boukhaled.Certains sont des activistes des droits de l’homme, d’autres étaient membres du comité de dialogue qui a négocié avec les autorités marocaines jusqu’à la veille du démantèlement du camp ». La plupart ont été arrêtés dans les jours qui ont suivi les événements.

Parmi ces militants indépendantistes, on peut citer notamment Enaama Asfari, avocat de 43 ans, diplômé de l’université de Marrakech et vice-président d’une ONG sahraouie (CORELSO). Il a été arrêté le 7 novembre 2010, soit la veille du démantèlement du camp.
De quoi sont-ils accusés ?
La procédure d’instruction a été clôturée en novembre 2011. Selon l’acte d’accusation, les charges retenues contre les 24 accusés sont :
– constitution d’une bande criminelle visant à exercer la violence contre les hommes de la force publique pendant leur service
– participation à la violence contre les hommes de la force publique dans l’exercice de leurs fonctions, allant jusqu’au meurtre
– profanation de cadavre
Lors de la première audience du procès, le 1er février, le tribunal militaire de Rabat a rejeté la demande de la défense visant à convoquer comme témoins l’ex-ministre de l’Intérieur Taieb Cherkaoui, trois walis de l’Intérieur ainsi que la députée PPS Gajmoula Bent Ebbi, tous présents lors des négociations avec le comité de dialogue. Ce procès militaire se concentre donc sur les 24 accusés et ne s’étendra pas à la recherche d’éventuelles responsabilités officielles (pointées du doigt par la commission d’enquête parlementaire dédiée aux événements de Gdim Izik).
Quelles sont les pièces du dossier ?
Selon la mission d’observation internationale présente au procès, menée par le juge italien Nicola Quatrano, « la procédure accusatoire se base exclusivement sur les confessions que les accusés ont faites en l’absence de leurs avocats et/ou en situation de détention dans les locaux de la Police judiciaire. En outre, il faut souligner que plusieurs familles ont dénoncé des situations de tortures et de mauvais traitements à l’encontre des inculpés ».
Maître Boukhaled, l’un des avocats de la défense, affirme lui aussi que le dossier ne contient que les PV de la police et ceux de l’instruction. « Le tribunal dit avoir des pièces à conviction mais nous ne savons pas lesquelles ». Il s’agit peut être du montage vidéo de 14 minutes présenté par les autorités et qui ont choqué le pays entier par la violence des images. On y voit notamment une personne en train d’uriner sur un cadavre. Mais la plupart des jeunes visibles sur la vidéo sont masqués et difficilement identifiables. Amnesty International a demandé aux autorités la vidéo originale intégrale mais s’est vu opposer une fin de non-recevoir. L’ONU non plus n’a pu y avoir accès selon le rapport 2011 de Ban Ki Moon adressé au Conseil de sécurité.
Qui sont les victimes ?
Les événements de Gdim Izik ont fait 13 victimes au total selon le bilan officiel : 11 membres des forces de l’ordre (police, gendarmerie, forces auxiliaires, protection civile) et deux civils sahraouis.
Voici la liste des 11 noms des membres des forces de l’ordre, communiquée par l’agence de presse officielle MAP en novembre 2010 : Nour Eddine Ouderhm, Med Ali Boualem, Yassine Bougataya, Abdelmoumen Ennchioui, Oulaid Ait Alla, Badr Eddine Torahi, Abdelmajid Adadour, Belhouari Anas, Bentaleb Lakhtil, Mohamed Najih, Ali Zaari.
Les familles des victimes se sont regroupées avant l’ouverture du procès pour former un collectif : le COFAV. Lakome a rencontré son porte-parole, Ahmed Tartour, accompagné de trois autres parents de victimes. « Nos enfants avaient entre 20 et 24 ans, ils étaient gendarmes. Leur rôle à Gdim Izik était de coordonner la sécurité du campement et d’aider leurs occupants », expliquent-ils. Ils affirment que leurs fils, désarmés au moment du démantèlement, « ont été victimes d’actes de barbarie de la part de criminels ». Aucun d’entre eux n’a pu voir les corps avant l’enterrement et ne savent pas si une autopsie a été réalisée. « A quoi sert une autopsie de toute façon, explique l’un d’eux, la voix encore nouée par l’émotion. On a vu sur la vidéo ce qui s’est passé. Ils ont été assassinés ! ».
Lakome a également rencontré les parents du jeune Abdelmoumen Ennchioui, membre des forces auxiliaires, âgé de 26 ans à l’époque. « Il était stationné à Settat, il a été envoyé à Laâyoune quatre jours à peine avant le démantèlement du camp. C’était le plus âgé de ses collègues », explique son père, lui-même militaire à la retraite. « On nous a dit que ce jour-là, il a été renversé par une Land Rover ; il est mort sur le coup », Sa famille non plus n’a pas pu voir son corps avant l’enterrement. Les parents demandent simplement que « les coupables soient punis par la justice ».
Des parents des forces de l’ordre tués à Gdim Izik. A droite, Ahmed Tartour, porte-parole du collectif.

Quid des victimes sahraouies ?
Brahim Guergar Ould Med Ould Hammadi, retraité de l’OCP, a été heurté par un véhicule de police lors des violences qui ont enflammé Laâyoune le jour du démantèlement, le 8 novembre 2010. Le procureur général prés la cour d’appel de Laâyoune a ordonné à l’époque l’ouverture d’une enquête pour déterminer les circonstances du décès mais les résultats ne sont pas connus.
La deuxième victime civile, Brahim Daoudi, est décédée dans d’étranges circonstances. Sa femme a été informée de sa mort « par suffocation » à l’hôpital militaire de Laâyoune, sans savoir pourquoi il était là-bas. « Je ne sais toujours pas comment il est mort. Il n’avait pas d’antécédent et ne s’était jamais plaint d’une maladie quelconque. Je n’ai pas reçu de certificat de décès ni de rapport d’autopsie. Je n’ai pas pu voir son corps, qui a été amené tout droit de l’hôpital militaire jusqu’au cimetière » a-t-elle témoigné à Amnesty International.
On peut également ajouter une troisième victime civile aux événements de Gdim Izik. Quelques jours avant le démantèlement du camp, le 24 octobre 2010, un jeune sahraoui de 14 ans, Nayem el-Gareha, avait été tué par balles par la gendarmerie royale. Selon les autorités marocaines, il faisait partie d’une bande de criminels qui essayaient d’entrer en force dans le camp. Dans son rapport au Conseil de sécurité de l’ONU, Ban Ki Moon parle d’un jeune « abattu par les forces marocaines le 24 octobre à l’entrée du camp, dans des circonstances imprécises ». Là aussi une enquête a été ouverte mais les suites n’ont pas été rendues publiques.
A l’instar des familles des membres des forces de l’ordre décédées, les proches des victimes sahraouies se sont réunis aujourd’hui à Rabat, au siège de l’AMDH. Ces derniers expliquent à Lakome ne pas avoir de contacts avec les familles des soldats décédés. « On n’a pas de problèmes avec eux, c’est l’Etat marocain qu’on tient pour responsable. On a vu leur souffrance lors de l’audience, la même que la notre mais aussi que celle des accusés », affirme la sœur de Said Dembar, un jeune sahraoui assassiné à Laâyoune en décembre 2010 par un policier (qui a été condamné en première instance à 15 ans de prison). Tous seront présents demain au tribunal militaire de Rabat pour soutenir… les 24 accusés.

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