Et si le véritable problème entre l’Algérie et la France était, simplement, celui de la décolonisation du Sahara occidental ? Nous savons que l’annexion par le Maroc de ce territoire était soutenue dès le départ par la France – de là à penser qu’elle était aussi encouragée, voire même suscitée, il n’y a qu’un pas. Il faut dire que, indépendante politiquement, l’Algérie ne se contentait pas de l’être, elle nationalisait aussi ses hydrocarbures, entrait dans une autre guerre d’un autre type, pour recouvrer son «indépendance économique».
Le problème avec le Maroc sur le Sahara occidental pouvait apparaître aux yeux des Français, comme un moyen de tempérer ses ardeurs et contenir ses prétentions. De ce fait, sous Boumédiène, l’Algérie a même frôlé la guerre avec son voisin – c’est dire combien la stratégie française a été efficace. La visite de Giscard en 1975 intervenait dans ce contexte où les rapports de force s’étaient inversés au détriment de l’ex-colonie «rebelle». Boumédiène aura beau multiplier les séductions à cette occasion, rien n’y fera : jamais la France ne renoncera à son atout géopolitique. Quitte à ce que son ex-colonie bascule dans le camp soviétique ! Mais il ne faut jamais dire «jamais».
Lorsque Chadli s’engagea dans le pluralisme, après les émeutes d’octobre 1988, influencé et soutenu par un Mitterand qui prônait la démocratisation de l’Afrique (pour le plus grand intérêt de son pays, cela va sans dire), alors les portes d’une solution au problème du Sahara s’ouvrirent toutes. Et avec elles l’édification du grand Maghreb. Adoption du principe du référendum pour l’autodétermination du peuple sahraoui (celui-là même que l’Algérie cherche à appliquer aujourd’hui), par le maroc et le Polisario ! Rencontre entre chefs d’Etat, la main dans la main, à Ifrane, Alger, Tipaza etc. Las, l’émergence du FIS et sa victoire aux municipales, puis aux législatives, a compromis le beau plan. La fermeture par le Maroc de ses frontières avec notre pays, représentera son enterrement. Il ne sera donc plus question de référendum. La France de Chirac prendra ses distances, toutes ses distances, avec le pouvoir algérien (cette mise à distance, empreinte d’une franche hostilité, sera l’œuvre de Alain Juppé malgré l’opposition des milieux médiatiques et politiques, en particulier celle des Juifs originaires d’Algérie qui voulaient soutenir le «combat anti-intégriste» du pouvoir et la ligne dure des «éradicateurs» nationaux). Enfin, les choses évoluent, et après que Bouteflika soit devenu président, le 11 septembre et la hausse des prix du pétrole, vont améliorer le reste : la stabilité et la croissance sont de retour en Algérie.
Chirac, qui avait entre les mains tous les arguments pour donner à la coopération avec l’Algérie le profil qu’il voulait, a tardé, trop tardé, pour comprendre cette évolution. Lorsqu’il a voulu la mettre en œuvre, il était déjà trop tard : Bouteflika n’avait plus besoin de lui, autrement dit l’Algérie n’avait plus besoin de la France. Ce fut l’histoire des «bienfaits de la colonisation» et le déclenchement de la «guerre mémorielle» qui empêcha une normalisation des rapports entre les deux pays. Pourquoi cette nouvelle guerre ? Parce qu’aux yeux de Bouteflika, toute normalisation avec la France devra passer par la résolution du problème du Sahara occidental. Le référendum pour l’autodétermination adoptée par Hassan II a été remis en cause par son fils, Mohammed VI. Retour donc à la case départ. Arrive ensuite Sarkozy, avec ses gros sabots et son intransigeance, qui ne fera qu’envenimer les choses. Il balaie d’un revers la demande algérienne de la repentance, sans comprendre que cette demande en cache une autre, n’est qu’un prétexte pour la question du Sahara.
Au-delà des beaux principes sur les peuples, l’Algérie vit encore cette annexion marocaine comme une menace permanente contre sa propre sécurité. Dès l’origine, Bouteflika y était impliqué au titre de ministre des Affaires étrangères. La France y a joué un rôle inamical envers notre pays, et continue à le faire, en soutenant l’annexion et en faisant fi des résolutions de l’ONU. Elle ne semble pas prête à reconsidérer sa position. Alors, que peut faire Hollande, sinon poursuivre, sous d’autres formes, la politique de Sarkozy ? L’interventionnisme militaire prôné au Mali participe de cette même politique qui consiste pour l’ancienne puissance coloniale à étouffer dans l’œuf toutes les ambitions de son ex-colonie. Qui aura le dernier mot ? Eh bien, c’étaient un peu les Russes dans les années soixante-dix, et ce sera peut-être l’Amérique, demain…
B. D.
Le Jour d’Algérie, 19 Déc 2012