A première vue, il s’agit d’une marche spontanée des Marocains résidents en Belgique, le dimanche 4 novembre à Bruxelles, pour exprimer leur point de vue sur le Sahara occidental, en toute liberté dans la capitale de l’Europe, et surtout pour peser sur le travail de l’émissaire de l’ONU Christopher Ross.
Manifester est un signe de maturité, de citoyenneté, et c’est une façon de tourner le regard médiatique pour défendre une cause qu’on croit juste et légitime.
Seulement, derrière ces considérations de principe, il y a la dure réalité qu’on ne peut cacher par de la désinformation, de la manipulation et des manœuvres politiciennes.
Cette marche a été téléguidée par l’ambassade du Maroc en Belgique par son concours et sa descente dans le terrain en employant tous les moyens d’influence dont elle dispose :
* Démarchage dans les commerces (cafés et magasins),
* Interventions dans les mosquées de la communauté marocaine en Belgique.
* Recours à certains élus issus de l’émigration Marocaine (connus pour leur subordination au pouvoir politique au Maroc) à l’image de Fouad Ahidar élu du parti socialiste flamand.
* Expatriement des « Gnaouas » payés royalement, pour faire de l’ambiance et attirer la foule.
* Invitation du grand rabbin de la communauté juive en Belgique, Albert Guigui.
* Envoi de la femme de l’ambassadeur du Maroc en Belgique Madame Samira Sitaïl dans les quartiers de la communauté marocaine à Bruxelles pour faire de la propagande politique, y compris auprès des jeunes enfants, comme en témoigne une vidéo.
Les slogans et les images vidéos sont une démonstration éclatante de l’implication de l’ambassade du Maroc en Belgique.
Parmi les marcheurs ou les manifestants, il y en a certainement beaucoup qui ont répondu favorablement à l’appel, par conviction respectable. D’autres sont venus uniquement par esprit opportuniste et pour montrer leur sourires et leurs beaux visages aux responsables de l’ambassade ou aux caméras de l’agence officielle marocaine d’information-MAP (Maghreb Arabe Press).
Et bien sûr, tout le service diplomatique était mobilisé et en grand nombre pour l’occasion.
Mais derrière cette pseudo unanimité que cherche à démontrer les services de l’ambassade des Marocains résidents en Belgique, il y a lieu de s’interroger sur l’opportunité et la légalité de la présence de certains participants à cette marche :
-L’ambassadeur du Maroc en Belgique peut-il descendre dans l’arène par sa propre personne (dans la vidéo, la personne tenant le micro, un drapeau marocain, et un chapeau sur la tête), pour exhiber son patriotisme, ou alors il est censé observer une certaine retenue diplomatique, sachant qu’il est en principe et légalement, le représentant de tous les marocains de Belgique en dépit de leurs opinions sur telle question ou tel problème ?
-La femme de l’ambassadeur doit-elle faire, et à quel titre, de la propagande de la position de son mari, « son excellence » l’ambassadeur du Maroc à Bruxelles?
Les élus belges issus de l’immigration marocaine représentent-ils officiellement l’opinion de l’Etat de leur pays d’origine ou celle des citoyens du pays dans lequel ils ont été élus ?
D’ailleurs, leurs fonctions sont rémunérées par les deniers de leurs concitoyens belges.
Dans ce dernier cas, la position officielle de la Belgique s’inscrit dans les résolutions des Nations-Unies qui ne reconnaissent pas « la marocanité du Sahara occidental».
N’y a-t-il pas ici une flagrante sortie de la coutume diplomatique de la part de l’ambassadeur du Maroc en Belgique ?
N’y a-t-il pas ici une contradiction majeure d’élus issus de l’émigration marocaine par rapport à la position officielle de la Belgique?
Sur le fond, le régime marocain est dans une impasse politique totale dans le dossier du Sahara occidental.
Les habitants du Sahara occidental peuvent parfaitement-au regard de la légalité et du droit international-revendiquer l’indépendance par le biais d’un référendum d’autodétermination.
Le blocage de cette solution vient essentiellement du pouvoir marocain qui est absolument sûr de sa défaite dans un tel schéma pour la résolution de ce problème qui dure depuis bientôt 40 ans.
Du fait de sa gestion catastrophique du dossier du Sahara occidental, le pouvoir marocain a réussi l’exploit de retourner pratiquement toute la population sahraouie contre lui.
Il est de notoriété publique, au Maroc même- que les Sahraouis perçoivent le Maroc comme une force d’occupation illégitime.
Pour rappel, Hassan II avait conclu –en 1975 un accord avec l’Espagne de Franco pour partager le Sahara avec la Mauritanie. Mais vu l’incapacité de cette dernière à assumer son rôle néocolonial, et face à l’hostilité des Sahraouis, elle s’est retirée du territoire en conflit en 1978 pour permettre à Hassan II de s’emparer de cette partie et déclarer qu’elle lui appartenait également.
Une incohérence politique totale qui explique, en partie, l’impasse du régime politique marocain aujourd’hui.
Face aux échecs répétés de sa diplomatie, et ses contradictions vis-à-vis du droit international, Hassan II avait fini, contraint et forcé, par concéder dès
1981, lors du sommet de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) à Nairobi au Kenya, le principe d’un référendum d’autodétermination pour régler cet épineux problème. Mais Hassan II s’est vite ressaisi de cet échec en trouvant une parade à son dilemme politique par une astuce qui veut que ce principe d’autodétermination impliquait selon lui la nécessité de faire participer au scrutin les 200 000 Marocains (considérés comme des « colons » par les sahraouis) installés au Sahara après son occupation par le Maroc en 1975.
1981, lors du sommet de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) à Nairobi au Kenya, le principe d’un référendum d’autodétermination pour régler cet épineux problème. Mais Hassan II s’est vite ressaisi de cet échec en trouvant une parade à son dilemme politique par une astuce qui veut que ce principe d’autodétermination impliquait selon lui la nécessité de faire participer au scrutin les 200 000 Marocains (considérés comme des « colons » par les sahraouis) installés au Sahara après son occupation par le Maroc en 1975.
Un chiffre qui retourne complètement la donne (à son avantage) de tout probable référendum, sachant que le dernier recensement de la population sahraouie effectué par l’Espagne (ancienne puissance coloniale), juste avant son retrait, ne dépassait pas les 75 000 Sahraouis.
Hélas pour lui, cette astuce était de courte durée, et se révélera foireuse par la suite, ayant été rejetée par les Sahraouis, et n’ayant pas acquis l’adhésion des Nations-Unies malgré tout l’effort de la diplomatie marocaine.
Pris au mot d’organiser un référendum, Hassan II abusera –jusqu’à sa mort en 1999- du statut quo prétextant et inventant à chaque fois un énième problème qui empêche la tenue du référendum.
Avec l’avènement de Mohamed VI, on change le vocabulaire et la rhétorique et même la sémantique.
Plus question d’un référendum, mais plutôt d’une autonomie sous le drapeau marocain.
Ce plan a été refusé par une très large majorité de sahraouis, et par leur représentant légitime le Front Polisario.
Aux Nations-Unies et au Conseil de sécurité, seule la France – pour des raisons géopolitiques et d’intérêts économiques propres à la France et ses relations étroites avec le régime marocain –approuve ce plan.
A ce jour la 4ème commission des Nations-Unise a inscrit le Sahara occidental sur la liste des territoires à décoloniser. L’ONU prône l’autodétermination par référendum, mais toutes les solutions proposées par la communauté internationale se sont vu refusées par l’état marocain.
Par manque d’informations sur le sujet, par répression, et par une exploitation à outrance de l’Etat marocain (qui s’accapare tous les espaces d’information et d’expression au Maroc) de la fibre nationaliste et chauvine pour détourner les Marocains des vrais enjeux et des problèmes du pays, la majorité de la population marocaine –immigrés compris-baigne dans une ignorance presque totale de cette question.
Les Marocains considèrent qu’il s’agit-là d’une question nationale et du patriotisme hérité des luttes anticoloniales.
Or le pouvoir politique marocain d’aujourd’hui est pro-colonial.
Il est même au service du colonialisme moderne. Un flagrant paradoxe !
Ce conflit sert d’abord et avant tout, le pouvoir politique marocain et la monarchie marocaine. Faire semblant, dans la capitale de l’Europe, de montrer une unanimité de façade, mensongère et hypocrite, est une façon de légitimer un régime policier et de dictature tout court, aux yeux de l’Europe, et de l’opinion internationale
C’est une falsification de l’histoire et de la réalité.
La controverse autour du personnage de Christopher Ross -l’émissaire américain du secrétaire général des Nations-Unies M. Ban Ki Moon – à qui l’Etat Marocain a retiré sa confiance pour finalement courber l’échine et le recevoir -sous la pression et la colère – de la communauté internationale et des Etats-Unis –Madame Clinton en tête- montre clairement l’impasse du régime marocain.
Le pouvoir marocain ne peut se dérober à assumer sa responsabilité écrasante dans cette question, et il ne peut compter éternellement sur l’hypocrisie occidentale pour maintenir une situation de non droit dans le territoire du Sahara occidental.
Il va falloir accepter et assumer politiquement la tenue d’un référendum libre et honnête, pour régler définitivement ce dossier et jeter les bases d’une solution pacifique qui contribue à la construction du grand Maghreb des peuples.
L’absurdité de la question du Sahara occidental, convient –paradoxalement –au régime politique marocain actuellement en place, qui tire profit de cette situation au plan intérieur, malgré les énormes efforts consentis par les Marocains.
Le Sahara occidental coûte aux Marocains entre 3 et 5% de leur PIB annuel, et les dépenses militaires avoisinent les 36 milliards de dirhams (360 millions de dollars environ), soit 100 millions de DH par jour ! (Chiffres de 2009)
Le Maroc se ruine pour entretenir le Sahara occidental.
Ces montants, peuvent aisément couvrir les intérêts et les commissions payés annuellement pour la dette publique marocaine que le régime a contractée.
Le Sahara occidental est un mirage devenu un véritable fardeau pour l’économie et pour le contribuable marocain, qu’on fait saigner à blanc.
Tôt ou tard, les Marocains demanderont des comptes, et ce serait aux responsables de ce fiasco d’en assumer les conséquences.
Saïd Karaoui (Bruxelles)
Demain, 8 Nov 2012