L’Espagne a tout intérêt à remettre à son voisin ses rochers volcaniques tout au long de la côte marocaine, mais en contrepartie elle doit obtenir un assainissement de la relation de ces deux villes avec leur environnement marocain.
Depuis quelques dizaines d’années l’Espagne savait que les îlots qu’elle possède tout au long de la côte méditerranéenne du Maroc n’avaient plus aucune valeur stratégique. Elle sait depuis cet été qu’ils sont en plus vulnérables.
Au début du mois de mai les premiers rafiots bourrés d’immigrés ont sillonné les eaux de l’archipel de Chafarinas, à 50 kilomètres à l’est de Melilla, et à partir de la mi-août d’autres subsahariens, arrivés en bateau ou à la nage, ont débarque sur l’archipel d’Al Hoceima, à 90 kilomètres à l’ouest de Melilla et à un jet de pierre de la côte marocaine. Qui plus est, à la fin de ce mois une petite poignée de nationalistes marocains est rentrée à la course sur le Rocher de Vélez de la Gomera, à 130 kilomètres à l’ouest de Melilla, pour y enfoncer le drapeau du royaume.
Face à un flot d’immigrés ou à une marche de nationalistes marocains ces anciens présides sont indéfendables par l’armée espagnole, qui y maintien de petites garnisons, ou même par la Garde Civile (Gendarmerie espagnole), plus apte à combattre l’immigration irrégulière. Le ministre de l’Intérieur espagnol, Jorge Fernández Díaz, voulait d’ailleurs l’envoyer à Chafarinas en juillet mais une protestation marocaine l’a incité à y renoncer. C’est déjà un début de cession de souveraineté.
Ces rochers volcaniques sont à la merci des sautes d’humeur des autorités marocaines qui peuvent regarder ailleurs quand les immigrés irréguliers cherchent à les atteindre. Même si le Maroc a mis le paquet pour faire échouer les assauts d’immigrants subsahariens sur Melilla cet été, il a été négligent du côté d’Al Hoceima.
Certains le soupçonnent même en Espagne, sans en apporter la preuve, d’avoir délibérément laissé que surgisse un problème migratoire, pour aider ensuite Madrid à le résoudre et présenter l’addition lors du prochain sommet bilatéral prévu pour le mois d’octobre. Après tout, rappellent-ils, le roi Mohamed VI avait déjà taquiné le gouvernement conservateur espagnol, en juillet 2002, en envoyant une poignée demokhazni (forces auxiliaires) prendre possession d’un autre îlot, Persil, que les marocains appellent Leila ou Tourah. Ils y sont restés six jours avant d’être délogés par les bérets verts espagnols.
Il fut un temps ou les voyageurs espagnols pouvaient visiter ces îlots et profiter de la beauté du paysage, mais ce n’est plus le cas depuis longtemps. Il est d’ailleurs impossible d’y effectuer un investissement touristique pour y construire, par exemple, un hôtel. Qui plus est tous ces lopins de terre sont juridiquement dans les limbes comme le souligne le professeur de droit international public Alejandro del Valle. Ils n’appartiennent à aucune région, à aucune province de l’Espagne. Ils n’ont finalement qu’une petite valeur sentimentale pour ceux qui y ont accompli leur service militaire.
Autant s’en débarrasser et les remettre au Maroc pour épargner un peu, en temps de crise économique, et surtout pour supprimer un élément de friction avec le voisin du sud qui les revendique. Cette idée a déjà effleuré nombre de gouvernements espagnols au XVIII et XIX siècles comme vient de le rappeler dansEL PAÍS María Rosa de Madariaga, spécialiste de l’histoire des relations entre l’Espagne et le Maroc. Au XXème le général Franco y songea aussi, quand il remit au Maroc Sidi Ifni, en 1969. Vingt ans plus tard Narcís Serra, alors ministre de Défense, s’apprêtait à faire une proposition dans ce sens quand un accroc avec Rabat, un de plus, l’en dissuada.
Même parmi le noyau dur des collaborateurs de José María Aznar, le président espagnol qui chassa manu militari les marocains de Persil, certains étaient dans le fond partisans de faire cadeau au Maroc de ces îlots devenus à leurs yeux encombrants. S’ils ne l’ont pas fait, m’expliquaient-ils à posteriori, c’est pour ne pas créer un précédent, pour ne pas faire croire à Rabat que ce serait là un premier pas avant que l’Espagne ne leur remette Ceuta et Melilla.
Ces deux villes sont espagnoles non pas parce-que l’Espagne s’y est installée depuis plus de cinq siècles mais parce-ce que la grande majorité de leurs 160.000 habitants veut être espagnole. Elle le veut pour toutes sortes de raisons à commencer parce-que l’obtention d’un passeport européen, avec lequel il est bien plus facile de voyager ou de s’installer en Europe, o parce qu’ils y vivent en démocratie. Les partis politiques musulmans, qui a Ceuta et Melilla sont dans l’opposition, ne prônent pas le rattachement au Maroc. Il y a eu, dans le temps, des petites formations qui ont demandé la « décolonisation » de ces villes. Elles n’ont recueilli que quelques centaines de voix avant de disparaître. Si un jour elles resurgissaient et qu’elles gagnaient les élections il serait difficile au Gouvernement espagnol de faire la sourde oreille.
Ces arguments sur le choix pro espagnol des populations des deux villes devraient obliger Madrid à tirer une conclusion douloureuse à propos de Gibraltar. Aussi longtemps que les llanitos, comme on appelle populairement les habitants du Rocher, ne veulent pas être espagnols, ils resteront britanniques.
Offrir au Maroc les îlots, mais en échange de quoi ? D’une normalisation de la relation entre Ceuta et Melilla et leur environnement marocain, de leur insertion dans le tissu économique du nord du Maroc autrement qu’à travers le trabendo (contrebande) dont le chiffre d’affaires atteint, selon les estimations espagnoles, un milliard d’euros par an ; presqu’un milliard et demi d’après les Douanes marocaines.
Assainir la relation des deux villes avec leur entourage signifie d’abord que les frontières terrestres, les plus transitées d’Afrique, puissent être franchies rapidement et non pas en trois heures comme ce fut le cas à Melilla cet été. Ces frontières sont une honte pour les deux pays mais plus encore pour le Maroc. Leurs premières victimes sont, en effet, les immigrés marocains qui rentrent au pays pour les vacances ou les femmes marocaines dont la contrebande est leur maigre gagne-pain. Cha
rgées avec leur balluchon, entassées les unes sur les autres aux points de passage, frappées par les mokhazi, il y a de temps en temps parmi elles des blessées voire même morts.
rgées avec leur balluchon, entassées les unes sur les autres aux points de passage, frappées par les mokhazi, il y a de temps en temps parmi elles des blessées voire même morts.
Assainir la relation cela veut aussi dire que Ceuta puisse disposer d’une frontière commerciale, dont jouit Melilla à la demande de Rabat, pour qu’elle exporte et importe légalement des marchandises du Maroc. Rabat ne peut se plaindre, à juste titre, de la fermeture de la frontière algérienne depuis 1994, et maintenir partiellement close sa frontière avec Ceuta, avec l’Europe. Il n’est, par ailleurs, pas concevable que les autorités marocaines envisagent de construire un nouvel aéroport pour mieux desservir Tanger et Tétouan sans qu’elles tiennent compte de Ceuta. La France, l’Allemagne et la Suisse exploitent en commun l’aéroport de Bâle-Mulhouse-Fribourg. Et la Suisse n’est même pas membre de l’Union Européenne ! C’est cela la coopération transfrontalière comme on la pratique en Europe et comme on devrait la pratiquer en Afrique du Nord.
Il fut un temps, jusqu’en 1958, ou un train reliait Tétouan à Ceuta et des bus qui partaient de cette ville sillonnaient tout le nord du Maroc. Jusqu’en 1969, Melilla partageait son aéroport avec Nador. En débarquant le passager avait le choix entre se rendre au Maroc ou en Espagne. C’est à cela qu’il faut revenir avec un accord précis couché sur papier. Tout le monde en profitera.
Mohamed VI acceptera-t-il ce que certains considéreront au Maroc comme un recouvrement partiel, incomplet des « territoires occupés » ? Probablement. Son grand-père, Mohamed V, est l’artisan de l’indépendance du Royaume, de la conquête de Tarfaya. Son père Hassan II a élargi les limites du pays en absorbant Sidi Ifni, le Sahara. Lui est le seul roi qui n’a pas gagné un seul lopin de terre. Il a essayé à Persil mais il a échoué. Les îlots espagnols lui fournissent une occasion rêvée de suivre la tradition dynastique à l’heure où les turbulences économiques et sociales se profilent sur le Maroc.
Par Ignacio Cembrero
Orilla Sur, 12/09/2012