Cinq questions au politologue Mohamed Chafik Mesbah

Est‑ce que la visite du ministre français des Affaires étrangères a pu rapprocher les points de vue entre l’Algérie et la France concernant la crise malienne ?
En diplomatie, la prise de contact pour la concertation entre protagonistes est toujours la bienvenue. Mais je ne pense pas que cette visite de deux jours puisse aplanir totalement les divergences à propos d’une situation complexe comme celle qui prévaut aussi bien pour les relations algéro‑françaises que pour le Sahel.Il reste néanmoins que la visite de M. Laurent Fabius, qui est crédité de sentiments plutôt hostiles vis‑à‑vis du monde arabe et de l’Algérie – c’est un courant qui existe au sein du PS français – vient signifier que la France, même après la victoire de la majorité socialiste, ne change pas fondamentalement sa politique algérienne, le pays restant incontournable pour la France.
La visite de M. Laurent Fabius s’inscrit dans la continuité de la politique algérienne de la France, elle ne préfigure pas un retournement spectaculaire. Ce serait une erreur d’imaginer qu’il existe, en France, une doctrine diplomatique de droite et de gauche. Les appareils qui concourent à la mise en œuvre de l’action diplomatique française sont là pour prévenir tout risque de retournement spectaculaire. M. François Hollande, tout comme M. Laurent Fabius, ne pourrait l’ignorer.
Des divergences demeurent donc entre les deux pays…
Prenons les choses dans l’ordre. En ce qui concerne les relations bilatérales, l’Algérie a, par exemple, une exigence de repentance de la part de la France qu’elle pose presque comme un préalable à l’assainissement des relations bilatérales en perspective de la mise en œuvre d’un partenariat stratégique entre les deux pays. À cet égard, M. François Hollande, qui a manifesté de bonnes dispositions, ne pourra pas prendre, pourtant, de mesures substantielles.
À côté de cet écueil important, d’autres contentieux bloquent la voie à une véritable éclaircie dans les relations algéro‑françaises .Il s’agit notamment du statut de l’immigration et de la politique de circulation des personnes. Faut‑il évoquer la conception française de la coopération économique, rappelée avec force par M. Laurent Fabius évoquant le projet d’implantation de Renault en Algérie ? Au plan diplomatique, les divergences entre les deux pays – malgré les propos lénifiants du ministre français des Affaires étrangères – sont évidentes par rapport au Sahel, au conflit du Sahara occidental et même à celui du Proche‑Orient.
L’Algérie rejette toujours l’option militaire, souhaitée par la France, pour régler la crise au Mali. Cette option est‑elle inévitable, selon vous ?
Sur le plan doctrinal, l’Algérie rejette effectivement l’option d’une intervention militaire au Mali. Mais à côté de ces préventions doctrinales, il faut reconnaître que les autorités algériennes nourrissent des craintes par rapport au risque d’enlisement sur le théâtre d’opérations au Mali. Un tel enlisement aurait, sans doute, des conséquences fâcheuses sur la situation interne dans le pays. Il est évident que l’option militaire souhaitée par la France tend, de plus en plus, à s’imposer comme la solution de denier recours.
L’Algérie a‑t‑elle les moyens de s’impliquer dans cette voie militaire ?
Le problème de l’intervention ne se pose pas en termes de moyens techniques et humains. L’Algérie dispose, en termes de dispositif militaire et d’encadrement humain, de la capacité d’intervenir avec l’assistance logistique et technologique des pays occidentaux. 
Le problème est que la France entend se servir de l’Algérie comme d’un auxiliaire – au sens péjoratif du terme – dans le dénouement de la crise au Mali. C’est‑à‑dire que l’Algérie est invitée à payer le prix politique de l’intervention militaire au Mali. Si par malheur, les autorités algériennes se résignaient à cette solution militaire sans avoir réuni un consensus national préalable, il faudrait s’attendre à un cataclysme qui affecterait jusqu’à l’intégrité territoriale du pays.
Les démarches française et américaine vous semblent‑elles converger à propos de la crise actuelle au Mali ?
À l’évidence, les États‑Unis d’Amérique et la France visent, par‑delà les stricts objectifs sécuritaires, des intérêts stratégiques qui peuvent être concurrents. Le plus important, cependant, reste que les deux pays veulent, graduellement, enferrer l’Algérie dans un système de sécurité régionale qui échapperait à sa maîtrise souveraine. Ce serait le reniement de toute la doctrine diplomatique passée de l’Algérie. Que faire cependant ? La nature a horreur du vide et, fatalement, un pays en particulier ou une force donnée règleront la crise du Mali et en tireront, pour leur compte, les dividendes. 

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