Relations entre l’Algérie et la France : Entre scepticisme et pragmatisme

La visite prochaine du nouveau président français, François Hollande, en Algérie, se confirme. Elle sera d’ailleurs précédée par celle de Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères. Ce dernier annoncera-t-il la couleur, mais laquelle ? 
par Zhor Cherief
L’annonce de la visite du chef de la diplomatie française a été faite, la veille de la commémoration du cinquantenaire de l’Indépendance de l’Algérie. Le déplacement de M. Fabius dans notre pays est déjà interprété comme le énième «premier pas» vers le réchauffement des relations entre les deux pays, voire comme le signal d’une nouvelle ère, cette fois plus sereine dans les relations bilatérales. Il faut l’espérer, mais il faut aussi voir pour y croire. C’est peut-être cet état d’esprit qui a poussé, quelques jours auparavant, soit le 25 juin, le trop discret ministre des Moudjahidine, Mohamed Cherif Abbas, à sortir de sa réserve, pour confier, sur les ondes de la Radio nationale, que l’Algérie attend aujourd’hui des «actes» venant de l’Elysée. 
Il faut rappeler que Hollande, encore candidat à la présidence, avait multiplié les déclarations et les gestes, laissant entendra que la vision du Parti socialiste (PS) a bien changé par rapport à l’Afrique et au Monde arabe, mais également à l’égard de l’Algérie. Il avait même promis qu’une fois élu président, il allait en finir avec la «guerre des mémoires», en plaidant pour «un regard lucide, responsable sur notre passé colonial». 
Il avait, en outre, jugé que le moment était venu de donner à la relation bilatérale «une nouvelle impulsion, une nouvelle ambition» et de lui conférer «toute l’envergure», «la sérénité et la chaleur, qui conviennent». Le candidat du PS, comparativement aux autres candidats et présidents français, avait franchi un nouveau pas, en qualifiant les crimes du 8 mai 1945 de «répressions sanglantes». Sans pour autant minimiser ceux du 17 octobre 1961, ayant ciblé nos émigrés. 
A la fin de l’année 2011, François Hollande avait déposé, lors de la commémoration des événements du 17 Octobre 1961, à Paris, une gerbe de fleurs, au pont de Clichy, à l’endroit où des Algériens avaient été jetés à la Seine par des policiers français. Ce jour-là, il avait témoigné de sa «solidarité aux enfants et petits-enfants des familles endeuillées par ce drame», en martelant : «Il faut que la vérité soit dite. Reconnaître ce qui s’est produit». Allons-nous assister à une nouvelle copie de la politique extérieure de la France ? La vision défendue par le nouveau locataire de l’Elysée tranchera-t-elle vraiment, dans les faits, avec celle de son prédécesseur, Nicolas Sarkozy ? Ces questions semblent partager certains observateurs.
D’aucuns font un étrange parallèle entre Barack Obama, l’actuel président des Etats-Unis et François Hollande, le nouveau président français, alors qu’ils n’appartiennent pas aux mêmes familles politiques et idéologiques. L’essentiel à retenir, selon eux, c’est que l’un et l’autre sont venus «colmater» les brèches laissés par leur prédécesseur respectif et aussi «adoucir l’emballage de la politique extérieure». Parmi ces observateurs, l’on trouvera aussi ceux qui restent toujours méfiants par rapport aux socialistes français. D’après eux, l’implication de François Mitterrand, en sa qualité de ministre de l’Intérieur pendant la colonisation, dans l’exécution de militants nationalistes, est «une séquence bien trop grave pour être enterrée». 
De plus, disent-ils, le rôle joué par le même Mitterrand, durant les années 1990, surtout après l’interruption du processus électoral, n’est pas du tout apprécié. Plus tard, l’arrivée de Lionel Jospin (entre juin 1997 et mai 2002) à la tête du gouvernement français, n’a pas arrangé les choses. Selon eux, les relations bilatérales, ayant connu des «divergences», ont été parfois «sérieusement tendues». D’où leur scepticisme, quant à l’avenir immédiat des relations algéro-françaises, sous Hollande. La preuve, justifient-ils, D’autres observateurs, se disant «réalistes» et «pragmatiques», s’en remettent à la liste des contentieux, non sans avouer «la frustration algérienne» du temps de Nicolas Sarkozy. Ils prennent acte des gestes produits par le nouveau président français, censés apporter «l’apaisement», mais aussi «la normalisation». 
Si le président français compte consacrer l’une de ses premières visites à l’étranger à l’Algérie afin de booster les relations bilatérales, comment va-t-il s’y prendre ? Et, puisque Hollande considère que «l’image de la France a été abîmée par cinq années de sarkozysme», que fera-t-il pour l’améliorer ? Peu de résultats réels pour le moment. Outre le refus de ses prédécesseurs de reconnaître les crimes coloniaux, d’autres sujets sont encore en suspens. Ils sont liés en particulier à la loi du 23 février 2005 glorifiant le colonialisme, le problème relatif aux conséquences des explosions et essais nucléaires menés par la France dans le Sahara algérien. Sur un autre registre, la question des archives, détenues par la partie française et transférées entre 1961 et 1962 vers l’Hexagone, reste entière.
A cela, il faut ajouter le parti pris français dans le dossier du Sahara occidental. Sur ce dernier point, notons que même si François Hollande donne l’impression d’entretenir une relation équidistante avec l’Algérie et le Maroc, la position de la France ne semble pas avoir changé.
En mai dernier, alors que Rabat venait de retirer sa confiance à Christopher Ross, l’émissaire de l’ONU pour le Sahara occidental, le ministère français des Affaires étrangères a réitéré «son appui au plan d’autonomie marocain», qualifiant celui-ci de «seule proposition réaliste aujourd’hui sur la table des négociations et qui constitue la base sérieuse et crédible d’une solution dans le cadre des Nations unies».
Sur le plan économique, peu d’observateurs s’attendent, pour l’instant, à un changement significatif. Les uns admettent carrément que le seul gagnant actuellement est la partie française, en rappelant ce que Sarkozy a gagné, à savoir garantir «un contrat d’approvisionnement en gaz à long terme, des investissements stratégiques pour Total», tout en confortant la position des concessionnaires automobiles sur le marché algérien. Les autres, quant à eux, espèrent voir apparaître, à moyen terme, «un nouveau projet régional, consacrant les relations économiques et commerciales entre la France et les pays francophones, notamment l’Algérie».
Les données statistiques de 2010 montrent que les échanges e
ntre les deux pays ont plus que triplé en l’espace de 12 ans. La France est classée «premier fournisseur» et 4e client de l’Algérie. Elargies au reste du monde, ces comparaisons dévoilent que l’Algérie est le 3ème marché pour les exportations de la France hors pays de l’OCDE, après la Chine et la Russie. Comme elles démontrent également que notre pays est un partenaire stratégique en matière d’énergie pour l’Europe, dont la France. Pourtant, Abderrahmane Mebtoul soutient que ces chiffres, comparés aux exportations et aux importations des deux pays concurrents, que sont la Norvège et la Russie, affichent une réalité bien amère : ces échanges restent «dérisoires». Pour l’économiste, Alger et Paris pourraient passer à «une vitesse supérieure de coopération», pour peu qu’ils dépassionnent leurs relations «grâce à un partenariat équilibré et solidaire, loin de tout esprit de domination.» 
Les Débats, 07/07/2012

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