La sortie de crise au Sahel passe par une refondation de la relation franco-algérienne

Cette analyse reprend l’essentiel des éléments d’une intervention faite à Alger par Richard Labévière le 3 juin 2012 à l’initiative de l’Institut national des études de stratégie globale (INESG). Spécialiste des questions diplomatiques et expert du monde arabo-musulman, Richard Labévière [1] est rédacteur-en-chef du site espritcorsaire.com (Observatoire de la défense et de la sécurité). Cartes Hugues Dumont. Paris le 18 juin 2012.© 
Les derniers événements survenus dans la région sahélienne s’inscrivent dans l’arc traditionnel des crises méditerranéennes. A titre de rappel, on peut les formaliser à travers cinq dimensions constitutives d’une « zone grise » :
Premièrement, on finit toujours par revenir aux effets déstructurants du conflit israélo-palestinien dont le dernier avatar concerne les gisements gaziers disputés – dits du « Léviathan » – dans les eaux territoriales libanaises.
Deuxièmement, nous avons la question de Chypre qui met aux prises Turcs et Grecs depuis 1974 avec sa ligne verte qui coupe l’île en deux, la fameuse « ligne Attila ».
Troisièmement, la question du Sahara occidental qui n’est pas directement méditerranéen, mais qui bloque, qui empêche, l’émergence d’une Union du Maghreb unifié.
Quatrièmement, nous avons tous les flux du crime organisé, drogues, armes et êtres humains dont le port de Tanger constitue l’une des principales têtes de pont.
Enfin, cinquièmement, nous avons tous les produits dérivés des « mal nommées « révolutions arabes », en provenance de Tunisie, d’Égypte, du Yémen et de Libye.
Cette cinquième menace – service après-vente des dites révolutions arabes – fonctionne désormais comme le catalyseur de toutes les autres. Elle s’impose, en tout cas, comme la contradiction principale d’un espace méditerranéen plus que jamais problématique.
Le Sahel s’étend entre le Sahara au nord, les savanes du domaine soudanien au sud et d’est en ouest, de l’Atlantique à la mer Rouge
On assiste à un grand basculement « géographique » qui fait – qu’en termes sécuritaires – la région sahélienne est en train de basculer dans la Méditerranée en devenant la principale de nos préoccupations de proximité.
Par conséquent, il s’agit de se concentrer sur ce grand chambardement géographique et géopolitique, avant de revenir sur les sorties de crises possibles…
I) Trois niveaux de menaces
Il y a d’abord le triptyque criminalités/ rébellions/ et terrorisme sur lequel prospèrent trois géopolitiques morbides et anomiques qui se superposent – celle des États dits « faillis » permettant le développement de différentes formes de crime organisé ; celle des rébellions et des irrédentismes qui contestent les frontières stato-nationales et, enfin, celle du salafisme armé.
Ces trois géopolitiques prospèrent de manière « interactive ».
Il y a, ensuite, cette fameuse « coupure libyenne », convergence de deux dynamiques : les mal nommées « révolutions arabes » et la dernière guerre néo-coloniale de Benghazi, trop hâtivement baptisée « guerre humanitaire ».
Enfin, face à la nouvelle configuration de menaces qui s’est redéployée, notamment à la faveur du coup d’État survenu au Mali, il s’agira d’examiner quelques perspectives de gestion de crise, sinon de ripostes, face à cette « triple géopolitique morbide ».
A) Des difficultés d’affirmation d’une souveraineté nationale effective : [2]
Comme le suggère, notamment l’instrumentalisation par les trafiquants ou les salafistes de certains Touaregs et Harratines – ces Noirs arabisés de Mauritanie, d’origine esclave – et d’une jeunesse désœuvrée, les questions de sécurité au Sahel sont indissociables de celles liées à l’ordre social et économique, c’est-à-dire à la gouvernance politique locale.
La Mauritanie, le Mali et le Niger, en tant que Pays les moins avancés (PMA), ont des difficultés assez semblables à fournir des services de base à une population en rapide croissance et disséminée sur des territoires immenses. Chacun de ces trois États, avec près d’un million de Km2, dont la moitié nord est désertique, pourrait contenir trois fois le territoire de l’Allemagne.
Or, cette portion septentrionale où opèrent trafiquants, rebelles et terroristes, est précisément celle dont les habitants ont le moins de raisons d’être coopératifs avec leur gouvernement.
C’est justement ces populations qui ont le plus d’intérêts à tirer profit des opportunités matérielles offertes par les différents concurrents de l’État.
Parfois, comme au Mali et au Niger, la raison en est le clivage entre sédentaires du Sud et nomades du Nord. Dans la plupart des situations, il s’agit de la mutation de sociétés nomades avec son corollaire d’insatisfaction parmi une jeunesse désœuvrée. Partout, le sentiment de délaissement est palpable, comme le montra de manière anecdotique une levée de drapeaux maliens dans une petite ville des confins mauritaniens en 2007.

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